Ses cheveux, longs, emmêlés, graisseux, retombaient autour de sa tête comme les rameaux d’un arbre à travers lesquels on voyait briller ses yeux. Ils étaient encore tout noirs, aussi noirs que sa barbe et ses favoris ébouriffés. Son visage, ou ce que l’on pouvait voir de son visage, n’avait pas de couleur ; il était blanc, mais d’un blanc à vous donner la chair de poule – le blanc d’un ventre de poisson. Quant à ses vêtements, c’étaient des loques, rien de plus. Il se tenait assis, le pied gauche appuyé sur le genou droit. La botte de ce pied était crevée et deux des doigts, qui passaient à travers la crevasse, remuaient de temps à autre. Son chapeau de feutre noir, un vieux chapeau à moitié défoncé, gisait par terre.

Je restai à le regarder, tandis qu’il me regardait de son côté, sa chaise un peu renversée en arrière, puis je posai la chandelle sur la table. Je vis que le châssis de la fenêtre était levé et je devinai qu’il avait dû entrer par là en se glissant le long du toit de l’appentis. Après m’avoir examiné des pieds à la tête, il dit enfin :

– Bien nippé, très bien nippé ! Tu te figures que c’est le beau plumage qui fait le bel oiseau ?

– Peut-être que oui, peut-être que non, répliquai-je.

– Oh ! oh ! tu n’as plus ta langue dans ta poche. Tu as pris de l’aplomb depuis mon départ. Je te descendrai de quelques crans avant d’en avoir fini avec toi. Tu es éduqué aussi, à ce qu’on m’a dit. Est-ce vrai que tu sais lire, et même écrire ? Je ne veux pas de ça ! Qui t’a permis de donner dans ces bêtises-là ?

– Mme Douglas.

– La veuve, hein ? Je lui apprendrai à se mêler de ce qui ne la regarde pas. Tu lâcheras cette école, entends-tu ? Élever un enfant pour qu’il rougisse de son père ! Tu crois peut-être que tu vaux mieux que moi, parce que je n’ai jamais mis le nez dans un livre ? Allons, laisse-moi t’entendre lire.

Je pris un livre sur la table et je lui lus une dizaine de lignes à propos du général Washington et de la guerre de l’Indépendance. Il m’écouta pendant deux ou trois minutes ; puis, d’un coup de poing, il envoya le livre à l’autre bout de la chambre.

– C’est vrai ! dit-il. Maintenant, écoute-moi bien. Tu vas cesser de faire jabot, mon garçon. Je te surveillerai. Si je t’attrape près de l’école, gare à ton dos !

Tout en parlant, il allongea le bras pour ramasser sur la table une petite image où il y avait trois vaches rouges et un bonhomme bleu.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il.

– Un bon point qu’on m’a donné parce que j’ai bien récité mes leçons.

Il déchira l’image en morceaux.

– Un bon point ! répéta-t-il. Une bonne raclée, voilà ce que je te donnerai, moi, si tu retournes là-bas.

Après avoir un peu grommelé et regardé autour de lui, il reprit :

– Un lit, et des couvertures, et une glace et un tapis, quand ton père a eu à dormir avec les porcs sous le hangar de la vieille tannerie ! Je n’ai jamais vu un fils pareil ! Tu rentreras dans ta coquille avant peu, je t’en réponds. Est-ce à l’école qu’on t’apprend à te donner ces airs-là ? Et on dit que tu es riche. Comment ça se fait-il, hein ?

– On a menti, voilà comment ça se fait.

– Prends garde, mon gaillard. Je te passe bien des choses, mais je perdrais patience à la fin. Depuis deux jours je n’entends parler que de ta chance. On en parlait aussi là-bas, de l’autre côté du Mississipi, et c’est pour ça que je suis revenu. Tu iras chercher ton argent demain et tu me le remettras ; j’en ai besoin.

– Je n’ai pas d’argent.

– Possible. C’est l’avocat Thatcher qui a tes fonds. Tu les lui reprendras ; j’en ai besoin.

– Je n’ai plus rien. Demandez à M. Thatcher, il vous dira la même chose.

– C’est bon.