Le juge a dit qu’il l’étreindrait volontiers à
cause de ces paroles ; alors il a pleuré, et sa femme, elle s’est
mise à pleurer, et le vieux il s’est mis à pleurer à son tour ; pap a dit
qu’il avait été un homme qu’avait jamais été compris jusqu’à ce jour, et le
juge a dit qu’il le croyait bien. Le vieux, il a dit que ce que voulait un
homme qu’était dans la débine, c’était de la sympathie ; et le juge il a
dit que oui ; alors ils se sont remis à pleurer. Et au moment d’aller se
coucher, le vieux s’est levé et a tendu une main et a dit :
« Regardez-la, messieurs et mesdames, tous
autant que vous êtes ; prenez-la ; serrez-la. Voici une main qu’était
celle d’un porc ; mais c’est qu’elle est plus ça ; c’est la main d’un
homme qui commence une nouvelle vie, et qui préférerait mourir plutôt que de
retourner à l’ancienne. Faut pas vous tromper – n’oubliez pas ce que j’ai dit. C’est
une main propre à présent ; serrez-la – faut pas avoir les foies. »
Alors ils l’ont serrée, l’un après l’autre, chacun
à son tour, et ils ont pleuré. La femme du juge, elle l’a baisée. Alors le
vieux a signé une promesse, il a mis sa marque.
Le juge a dit que c’était un des moments les
plus sanctifiés jamais vécus, ou un truc comme ça. Ensuite ils ont couché le
vieux dans une belle chambre, qui était la chambre d’amis, et à un moment
pendant la nuit il s’est trouvé sacrément assoiffé, et il est descendu par le
toit du porche et il a glissé le long d’un étançon et échangé sa nouvelle veste
contre une cruche de tord-boyaux, et il a regrippé, et il s’est payé du sacré
bon temps ; et au petit jour il est ressorti à quatre pattes, bourré comme
un coing, il a roulé, est tombé du porche et s’est cassé le bras en deux
endroits et il était plus ou moins mort de froid quand quelqu’un l’a trouvé
après le lever du soleil. Et quand ils sont montés voir cette chambre d’amis, ils
ont dû sonder le fond avant de pouvoir y naviguer.
Le juge, il se sentait plutôt vexé. Il a dit
qu’il pensait qu’on pourrait réformer le vieux avec un fusil, peut-être, mais
il connaissait pas d’autre moyen.
Chapitre 6
Pap va voir le juge Thatcher –
Huck se décide à partir – Économie politique – Convulsions
Eh bien, le vieux a pas tardé à se retrouver
dehors et dans les parages, et il a alors attaqué le juge Thatcher en justice
pour qu’il abandonne cet argent, et il s’en est pris à moi aussi, pasque j’allais
toujours à l’école. Y m’a attrapé une ou deux fois et m’a filé une raclée, mais
j’allais quand même à l’école, et je l’esquivais ou le distançais la plupart du
temps. J’avais pas très envie d’aller à l’école, avant, mais je me suis dit que
j’irais juste pour embêter pap. Ce procès était plutôt lent ; on aurait dit
qu’ils allaient jamais s’y mettre ; et alors, de temps en temps, pendant l’hiver,
j’empruntais deux ou trois dollars au juge pour lui, comme ça le vieux me
tannait pas le cuir. Chaque fois qu’il avait de l’argent, il se soûlait ; et
chaque fois qu’il se soûlait, il faisait tout un chahut en ville ; et
chaque fois qu’il faisait du chahut, il finissait en prison. Ça lui allait
comme un gant – ce genre de truc était tout à fait son genre.
Il s’est mis à rôder un peu trop autour de la
maison de la veuve, et elle a fini par lui dire que s’il ne cessait pas de se
montrer dans les parages elle lui causerait des ennuis. Eh bien, ça lui a filé
la rage. Il a dit qu’on allait bien voir qui était le patron de Huck Finn. Alors
il m’a suivi un jour au printemps, et il m’a attrapé, et m’a emmené en
remontant le fleuve sur à peu près trois miles, dans un canot, et il a traversé
jusqu’à la rive de l’Illinois où c’était boisé et où qu’y avait pas de maison
autre qu’une vieille cabane en rondins dans un endroit où les arbres étaient si
serrés que vous l’auriez jamais trouvée si vous saviez pas où elle était.
Il me gardait tout le temps avec lui, et j’avais
jamais d’occasion de me tirer. Nous vivions dans cette vieille cabane, et il
verrouillait chaque fois la porte et il mettait la clé sous sa tête la nuit. Il
avait un fusil, qu’il avait volé, je crois bien, et on pêchait et on chassait
et c’était comme ça qu’on vivait. De temps en temps, il m’enfermait et il
allait à la boutique, à trois miles de là, près de l’embarcadère du bac, et il
échangeait du poisson et du gibier contre du whisky et le rapportait à la
maison et se payait du bon temps et me filait une raclée. La veuve, elle a
découvert où j’étais, au bout de quelque temps, et elle a envoyé quelqu’un pour
essayer de me ramener, mais pap l’a chassé à coups de fusil, et pas longtemps
après ça j’ai commencé à m’habituer à être où j’étais, et j’aimais bien, tout
sauf les raclées.
C’était plutôt paresseux et gai, être couché
confortablement toute la journée, à fumer et à pêcher, et pas de livres à
apprendre. Deux mois ou plus ont passé, et mes habits étaient plutôt crasseux
et en haillons, et je comprenais pas comment j’avais pu tellement aimer vivre
chez la veuve, où il fallait se laver, et manger dans une assiette, et se
peigner, aller au lit et se lever aux mêmes heures, et être sans arrêt à s’occuper
d’un livre et avoir Miss Watson tout le temps sur le dos à m’embêter. Je
voulais plus retourner là-bas du tout. J’avais arrêté de jurer pasque la veuve
aimait pas ça ; mais maintenant je reprenais l’habitude pasque pap y
faisait aucune objection. C’était plutôt du bon temps que j’avais là dans les
bois, en grande partie.
Mais il a pas tardé à se débrouiller un peu
trop bien avec sa baguette de noyer, et j’en pouvais plus. J’étais plus que
zébrures. Et puis aussi, il a commencé à être un peu trop souvent parti, et à m’enfermer.
Une fois, il m’a enfermé et est parti trois jours. J’étais terriblement seul.
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