Sur le point de monter au lit, il toucha l'épaule de sa femme.
— Et toi, qu'est-ce que tu en penses, de mon livre?
Marguerite entrouvrit un oeil morne. Julius dut répéter sa question. Marguerite, se retournant à demi, le regarda. Les sourcils relevés sous un amas de rides, les lèvres contractées, Julius faisait pitié.
— Mais qu'est-ce que tu as, mon ami? Quoi! tu crois donc vraiment que ton dernier livre est moins bon que les autres?
Ce n'était pas une réponse, cela; Marguerite se dérobait.
— Je crois que les autres ne sont pas meilleurs que celui-ci, na!
— Oh! alors!...
Et Marguerite, devant ces excès, perdant coeur et sentant ses tendres arguments inutiles, se retourna vers l'ombre et rendormit.
II.
Malgré certaine curiosité professionnelle et la flatteuse illusion que rien d'humain ne lui devait demeurer étranger, Julius était peu descendu jusqu'à présent hors des coutumes de sa classe et n'avait guère eu de rapports qu'avec des gens de son milieu. L'occasion, plutôt que le goût, lui manquait. Sur le point de sortir pour cette visite, Julius se rendit compte qu'il n'avait point non plus tout à fait le costume qu'il y fallait. Son pardessus, son plastron, son chapeau cronstadt même, présentaient je ne sais quoi de décent, de restreint et de distingué... Mais peut-être, après tout, valait-il mieux que sa mise n'invitât pas à trop brusque familiarité le jeune homme. C'est par les propos, pensait-il, qu'il sied de l'amener à confiance. Et, tout en se dirigeant vers l'impasse Claude-Bernard, Julius imaginait avec quelles précautions, sous quel prétexte, s'introduire et pousser son inquisition.
Que pouvait bien avoir affaire avec ce Lafcadio le comte Juste-Agénor de Baraglioul? La question bourdonnait autour de Julius, importune. Ce n'est pas maintenant qu'il venait d'achever d'écrire la vie de son père, qu'il allait se permettre des questions à son sujet. Il n'en voulait savoir que ce que son père voudrait lui dire. Ces dernières années le comte était devenu taciturne, mais il n'avait jamais été cachottier.
Une averse surprit Julius tandis qu'il traversait le Luxembourg.
Impasse Claude-Bernard, devant la porte du douze, un fiacre stationnait où Julius, en passant, put distinguer, sous un trop grand chapeau, une dame à toilette un peu tapageuse.
Son coeur battit tandis qu'il jetait le nom de Lafcadio Wluiki au portier de la maison meublée; il semblait au romancier qu'il s'enfonçât dans l'aventure; mais, tandis qu'il montait l'escalier, la médiocrité du lieu, l'insignifiance du décor le rebutèrent; sa curiosité qui ne trouvait où s'alimenter fléchissait et cédait à la répugnance.
Au quatrième étage le couloir sans tapis, qui ne recevait de jour que par la cage de l'escalier, à quelques pas du palier faisait coude; de droite et de gauche, des portes closes y donnaient; celle du fond, entrouverte, laissait passer un mince rai de jour. Julius frappa, en vain; timidement poussa la porte un peu plus: personne dans la chambre. Julius redescendit.
— S'il n'est pas là, il ne tardera pas à entrer, avait dit le portier.
La pluie tombait à flots. Dans le vestibule, en face de l'escalier, ouvrait un salon d'attente où Julius allait pénétrer; l'odeur poisseuse, l'aspect désespéré du lieu le reculèrent jusqu'à penser qu'il eût aussi bien pu pousser la porte, là-haut, et de pied ferme attendre le jeune homme dans la chambre. Julius remonta.
Comme il tournait à nouveau le corridor, une femme sortit de la chambre voisine de celle du fond. Julius donna contre elle et s'excusa.
— Vous désirez?
— Monsieur Wluiki, c'est bien ici?
— Il est sorti.
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