— Ah! fit Julius, sur un ton de contrariété si vive que la femme lui demanda:

— C'est pressé, ce que vous aviez à lui dire?

Julius, uniquement armé pour affronter l'inconnu Lafcadio, restait décontenancé; pourtant l'occasion était belle; cette femme, peut-être, en savait long sur le jeune homme; s'il savait la faire parler...

— C'est un renseignement que je voulais lui demander.

— De la part de qui?

“Me croirait-elle de la police?” pensa Julius.

— Je suis le comte Julius de Baraglioul, dit-il d'une voix un peu solennelle, en soulevant légèrement son chapeau.

— Oh! Monsieur le comte... Je vous demande bien pardon de ne pas vous avoir... Dans ce couloir il fait si sombre! Donnez-vous la peine d'entrer. (Elle poussa la porte du fond). Lafcadio ne doit pas tarder à... Il a seulement été jusque chez le... Oh! permettez!...

Et, comme Julius allait entrer, elle s'élança d'abord dans la pièce, vers un pantalon de femme, indiscrètement étalé sur une chaise, que ne parvenant pas à dissimuler, elle s'efforça du moins de réduire.

— C'est dans un tel désordre, ici...

— Laissez! laissez! Je suis habitué, disait complaisamment Julius.

Carola Venitequa était une jeune femme assez forte, ou mieux: un peu grasse, mais bien faire et saine d'aspect, de traits communs mais non vulgaires et passablement engageants, au regard animal et doux, à la voix bêlante. Comme elle était prête à sortir, un petit feutre mou la coiffait; sur son corsage en forme de blouse, qu'un noeud marin coupait par le milieu, elle portait un col d'homme et des poignets blancs.

— Il y a longtemps que vous connaissez M. Wluiki?

— Je pourrais peut-être lui faire votre commission? reprenait-elle sans répondre.

— Voilà... J'aurais voulu savoir s'il est très occupé pour le moment!

— Ça dépend des jours.

— Parce que, s'il avait eu un peu de temps de libre, je pensais lui demander de... s'occuper pour moi d'un petit travail.

— Dans quel genre?

— Eh bien! précisément, voilà... J'aurais voulu d'abord connaître un peu le genre de ses occupations.

La question était sans astuce, mais l'apparence de Carola n'invitait guère aux subtilités. Cependant le comte de Baraglioul avait recouvré son assurance; il était assis à présent sur la chaise qu'avait débarrassée Carola, et celle-ci, près de lui, accotée contre la table, déjà commençait de parler, lorsqu'un grand bruit se fit dans le corridor: la porte s'ouvrit avec fracas et cette femme parut, que Julius avait aperçue dans la voiture.

— J'en était sûre, dit-elle; quand je l'ai vu monter...

Et Carola, tout aussitôt, s'écartant un peu de Julius:

— Mais pas du tout, ma chère... nous causions. Mon amie Bertha Grand-Marnier; Monsieur le comte...