— Ossian ?
Le laquais entra et s’empara du client pour le vêtir.
— Vous payerez à la caisse, monsieur, dit Marius à la pratique stupéfaite qui déjà tirait sa bourse.
— Est-ce bien utile, mon cher, de procéder à cette opération des petits ciseaux ? dit Bixiou.
— Aucune tête ne m’arrive que nettoyée, répondit l’illustre coiffeur ; mais pour vous, je ferai celle de monsieur tout entière. Mes élèves ébauchent, car je n’y tiendrais pas. Le mot de tout le monde est le vôtre : « Être coiffé par Marius ? » Je ne puis donner que le fini... Dans quel journal travaille monsieur ?
— A votre place, j’aurais trois ou quatre Marius, dit Gazonal.
— Ah ! monsieur, je le vois, est feuilletoniste ! dit Marius. Hélas, en coiffure, où l’on paye de sa personne, c’est impossible... Pardon !
Il quitta Gazonal pour aller surveiller Régulus qui préparait une tête nouvellement arrivée. Il fit, en frappant la langue contre le palais, un bruit désapprobatif qui peut se traduire par : titt, titt, titt.
— Allons, bon Dieu ! ça n’est pas assez carré, votre coup de ciseaux fait des hachures... Tenez... voilà ! Régulus, il ne s’agit pas de tondre des caniches... c’est des hommes qui ont leur caractère, et si vous continuez à regarder le plafond au lieu de vous partager entre la glace et la face, vous déshonorerez ma maison.
— Vous êtes sévère, monsieur Marius.
— Je leur dois les secrets de l’art...
— C’est donc un art ? dit Gazonal.
Marius indigné regarda Gazonal dans la glace et s’arrêta, le peigne d’une main, les ciseaux de l’autre.
— Monsieur, vous en parlez comme un... enfant ! et cependant, à l’accent, vous paraissez être du Midi, le pays des hommes de génie.
— Oui, je sais qu’il faut une sorte de goût, répliqua Gazonal.
— Mais taisez-vous donc, monsieur, j’attendais mieux de vous. C’est-à-dire qu’un coiffeur, je ne dis pas un bon coiffeur, car on est ou l’on n’est pas coiffeur.... un coiffeur.... c’est plus difficile à trouver.... que... qu’est-ce que je dirai bien ?... qu’un... je ne sais pas quoi... un ministre... (restez en place) non, car on ne peut pas juger de la valeur d’un ministre, les rues sont pleines de ministres... un Paganini... non, ce n’est pas assez ! Un coiffeur, monsieur, un homme qui devine votre âme et vos habitudes, afin de vous coiffer à votre physionomie, il lui faut ce qui constitue un philosophe. Et les femmes donc !... Tenez, les femmes nous apprécient, elles savent ce que nous valons... nous valons la conquête qu’elles veulent faire le jour où elles se font coiffer pour remporter un triomphe... c’est-à-dire qu’un coiffeur... On ne sait pas ce que c’est. Tenez, moi qui vous parle, je suis à peu près ce qu’on peut trouver de... sans me vanter, on me connaît... Eh ! bien, non, je trouve qu’il doit y avoir mieux...
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