L’exécution, voilà la chose ! Ah ! si les femmes me donnaient carte blanche, si je pouvais exécuter tout ce qui me vient d’idées... c’est que j’ai, voyez-vous, une imagination d’enfer !... mais les femmes ne s’y prêtent pas, elles ont leurs plans, elles vous fourrent des coups de doigts ou de peigne, quand vous êtes parti, dans nos délicieux édifices qui devraient être gravés et recueillis, car nos œuvres, monsieur, ne durent que quelques heures... Un grand coiffeur, hé ! ce serait quelque chose comme Carême et Vestris, dans leurs parties...(— Par ici la tête, là, s’il vous plait, je fais les faces, bien.) Notre profession est gâtée par des massacres qui ne comprennent ni leur époque ni leur art... Il y a des marchands de perruques ou d’essences à faire pousser les cheveux... ils ne voient que des flacons à vous vendre !... cela fait pitié !... c’est du commerce. Ces misérables coupent les cheveux ou ils coiffent comme ils peuvent... Moi, quand je suis arrivé de Toulouse ici, j’avais l’ambition de succéder au grand Marius, d’être un vrai Marius, et d’illustrer le nom, à moi seul, plus que les quatre autres. Je me suis dit : vaincre ou mourir... (— Là ! tenez-vous droit, je vais vous achever.) C’est moi qui, le premier, ai fait de l’élégance. J’ai rendu mes salons l’objet de la curiosité. Je dédaigne l’annonce, et ce que coûte l’annonce, je le mettrai, monsieur, en bien-être, en agrément. L’année prochaine, j’aurai dans un petit salon un quatuor, on fera de la musique et de la meilleure. Oui, il faut charmer les ennuis de ceux que l’on coiffe. Je ne me dissimule pas les déplaisirs de la pratique. (Regardez-vous, ) Se faire coiffer, c’est fatigant, peut-être autant que de poser pour son portrait ; et, monsieur sait peut-être que le fameux monsieur de Humboldt (j’ai su tirer parti du peu de cheveux que l’Amérique lui a laissés. La Science a ce rapport avec le Sauvage qu’elle scalpe très-bien son homme), cet illustre savant a dit qu’après la douleur d’aller se faire pendre, il y avait celle d’aller se faire peindre ; mais, d’après quelques femmes, je place celle de se faire coiffer, avant celle de se faire peindre. Eh ! bien, monsieur, je veux qu’on vienne se faire coiffer par plaisir. (Vous avez un épi qu’il faut dompter.) Un Juif m’avait proposé des cantatrices italiennes qui, dans les entr’actes, auraient épilé les jeunes gens de quarante ans ; mais elles se sont trouvées être des jeunes filles du Conservatoire, des maîtresses de piano de la rue Montmartre. Vous voilà coiffé, monsieur, comme un homme de talent doit l’être. — Ossian, dit-il à son laquais en livrée, brossez et reconduisez monsieur. — A qui le tour ? ajouta-t-il avec orgueil en regardant les personnes qui attendaient.

— Ne ris pas, Gazonal, dit Léon à son cousin en atteignant au bas de l’escalier d’où son regard plongeait sur la place de la Bourse, j’aperçois là-bas un de nos grands hommes, et tu vas pouvoir en comparer le langage à celui de cet industriel, et tu me diras après l’avoir entendu, lequel des deux est le plus original.

— Ne ris pas, Gazonal, dit Bixiou qui répéta facétieusement l’intonation de Léon. De quoi croyez-vous Marius occupé ?

— De coiffer.

— Il a conquis, reprit Bixiou, le monopole de la vente des cheveux en gros, comme tel marchand de comestibles qui va nous vendre une terrine d’un écu s’est attribué celui de la vente des truffes ; il escompte le papier de son commerce, il prête sur gages à ses clientes dans l’embarras, il fait la rente viagère, il joue à la Bourse, il est actionnaire dans tous les journaux de Modes ; enfin il vend, sous le nom d’un pharmacien, une infâme drogue qui, pour sa part, lui donne trente mille francs de rentes, et qui coûte cent mille francs d’annonces par an.

— Est-ce possible ? s’écria Gazonal.

— Retenez ceci, dit gravement Bixiou. A Paris, il n’y a pas de petit commerce, tout s’y agrandit, depuis la vente des chiffons jusqu’à celle des allumettes. Le limonadier qui, la serviette sous le bras, vous regarde entrer chez lui, peut avoir cinquante mille francs de rentes, un garçon de restaurant est électeur-éligible, et tel homme que vous prendriez pour un indigent à le voir passer dans la rue, porte dans son gilet pour cent mille francs de diamants à monter, et ne les vole pas...

Les trois inséparables, pour la journée du moins, allaient sous la direction du paysagiste de manière à heurter un homme d’environ quarante ans, décoré, qui venait du boulevard par la rue Neuve-Vivienne.

— Hé ! bien, dit Léon, à quoi rêves-tu, mon cher Dubourdieu ? à quelque belle composition symbolique !... Mon cher cousin, j’ai le plaisir de vous présenter notre illustre peintre Dubourdieu, non moins célèbre par son talent que par ses convictions humanitaires... — Dubourdieu, mon cousin Palafox ?

Dubourdieu, petit homme à teint pâle, à l’œil bleu mélancolique, salua légèrement Gazonal qui s’inclina devant l’homme de génie.

— Vous avez donc nommé Stidman à la place de...

— Que veux-tu, je n’y étais pas, répondit le grand paysagiste.

— Vous déconsidérerez l’Académie, reprit le peintre. Aller choisir un pareil homme, je ne veux pas en dire du mal, mais il fait du métier !...