Elle doit donc trois cents francs à sa cordonnière, et ça donnait un dîner, une soirée, pas plus tard qu’avant-hier. La cordonnière, qui apprend cela par la cuisinière, vient me voir ; nous nous montons la tête, elle veut faire une esclandre, moi je lui dis : — Ma petite mère Mahuchet, à quoi cela sert-il ? à se faire haïr. Il vaut mieux obtenir de bons gages. A râleuse, râleuse et demie ! Et l’on épargne sa bile... Elle veut y aller, me demande de la soutenir, nous y allons. — Madame n’y est pas. — Connu ! — Nous l’attendrons, dit la mère Mahuchet, dussé-je rester là jusqu’à minuit. Et nous nous campons dans l’antichambre et nous causons. Ah ! voilà les portes qui vont, qui viennent, des petits pas, des petites voix... Moi, cela me faisait de la peine. Le monde arrivait pour dîner. Vous jugez de la tournure que ça prenait. La comtesse envoie sa femme de chambre pour amadouer la Mahuchet. « Vous serez payée, demain ! » Enfin, toutes les colles !... Rien ne prend. La comtesse, mise comme un dimanche, arrive dans la salle à manger. Ma Mahuchet, qui l’entend, ouvre la porte et se présente. Dame ! en voyant une table étincelant d’argenterie (les réchauds, les chandeliers, tout brillait comme un écrin), elle part comme du sodavatre et lance sa fusée : — Quand on dépense l’argent des autres, on devrait être sobre, ne pas donner à dîner. Être comtesse et devoir cent écus à une malheureuse cordonnière qui a sept enfants !... Vous pouvez deviner tout ce qu’elle débagoule, c’te femme qu’a peu d’éducation. Sur un mot d’excuse (Pas de fonds !) de la comtesse, ma Mahuchet s’écrie : — Eh ! madame, voilà de l’argenterie ! engagez vos couverts et payez-moi ! — Prenez-les vous-même, dit la comtesse en ramassant six couverts et les lui fourrant dans la main. Nous dégringolons les escaliers... ah ! bah ! comme un succès !.. Non, dans la rue les larmes sont venues à la Mahuchet, car elle est bonne femme, elle a rapporté les couverts en faisant des excuses, elle avait compris la misère de cette comtesse, ils étaient en maillechort !...

— Elle est restée à découvert, dit Léon de Lora chez qui l’ancien Mistigris reparaissait souvent.

— Ah ! mon cher monsieur, dit madame Nourrisson éclairée par ce calembour, vous êtes un artiste, vous faites des pièces de théâtre, vous demeurez rue du Helder, et vous êtes resté avec madame Antonia, vous avez des tics que je connais... Allons, vous voulez avoir quelque rareté dans le grand genre, Carabine ou Mousqueton, Malaga ou Jenny Cadine.

— Malaga, Carabine, c’est nous qui les avons faites ce qu’elles sont !... s’écria Léon de Lora.

— Je vous jure, ma chère madame Nourrisson, que nous voulions uniquement avoir le plaisir de faire votre connaissance et que nous souhaitons des renseignements sur vos antécédents, savoir par quelle pente vous avez glissé dans votre métier, dit Bixiou.

— J’étais femme de confiance chez un maréchal de France, le prince d’Ysembourg, dit-elle en prenant une pose de Dorine. Un matin, il vint une des comtesses les plus huppées de la cour impériale, elle veut parler au maréchal, et secrètement. Moi, je me mets aussitôt en mesure d’écouter. Ma femme fond en larmes, elle confie à ce benêt de maréchal (le prince d’Ysembourg, ce Condé de la République, un benêt !) que son mari, qui servait en Espagne l’a laissée sans un billet de mille francs, que si elle n’en a pas un ou deux à l’instant, ses enfants sont sans pain, elle n’a pas à manger demain. Mon maréchal, assez donnant dans ce temps là, tire deux billets de mille francs de son secrétaire.