Les derniers et les premiers
Présence du futur 155
DU MÊME AUTEUR AUX MÊMES ÉDITIONS
Rien qu’un surhomme
Les derniers hommes à Londres
Sirius
OLAF STAPLEDON
Les
derniers
et les
premiers
TRADUIT DE l’ANGLAIS
PAR CLAUDE SAUNIER
DENOËL
Titre original :
LAST AND FIRST MEN
(Methuen & Co)
© 1930, by Olaf Stapledon
et pour la traduction française.
© 1972, by Éditions Denoël, Paris 7e.
Avant-propos
Les derniers et les premiers est la plus grande œuvre d’Olaf Stapledon. Écrite en 1930, elle sonde les lointains siècles à venir jusqu’au temps où notre présent et tout ce qu’il contient a disparu de l’horizon du futur.
Stapledon nous montre des races d’hommes qui meurent et renaissent au cours de deux milliards d’années, passant du sous-homme à l’esprit, quittant la Terre pour des planètes plus proches ou plus éloignées du Soleil. L’homme est le héros de cette chronique, les hommes importent peu. « Les deux cents millions d’êtres humains », nous dit laconiquement un passage, « furent tous brûlés, rôtis, asphyxiés dans les trois mois qui suivirent, sauf trente-cinq qui se trouvaient alors près du pôle Nord ». Comme se succèdent les différentes espèces d’hommes, chacune à son tour terrassée par la folie humaine, les périls naturels ou les catastrophes cosmiques, nous finissons par nous voir tels les millions de millions de spermatozoïdes dans le poème d’Aldous Huxley où : « Un seul pauvre Noé osa espérer survivre. »
Mais Stapledon imagina que notre race se détruirait pour des raisons esthétiques (dans les années cinquante et soixante, il eût pu en trouver de plus urgentes et concrètes). Il peut être austère, mais enfin sans dégoût ni désespoir. Il dit simplement : « Quelle bonne chose d’avoir été l’Homme. » L’extinction même n’y change rien. Ce n’est peut-être pas un point de vue très réconfortant, mais en ces années soixante, il ne peut manquer d’avoir pour nous un austère attrait.
Que ce qu’il conte garde encore son pouvoir en dit long sur la grandeur de sa vision. C’est dû en partie à ce que son discours est toujours trompeusement simple, son ton égal, même quand il nous dit : « La durée du séjour de l’homme sur Vénus fut quelque peu plus longue que celle de toute son histoire sur la Terre, » ou quelque chose d’aussi difficile à concevoir. C’est également parce que ses concepts n’ont rien perdu de leur force poétique et scientifique. C’est particulièrement vrai de son thème essentiel : la mutabilité de l’homme.
Stapledon fut le premier à parler de « la nature fluide de l’homme » et le premier à le peindre comme une sorte d’affleurement de l’énergie cosmique – bien qu’on puisse également penser ici à George Bernard Shaw et au poème épique de Thomas Hardy, Les Dynastes. Dans son roman Star Maker, il parle de soleils conscients et dans Les derniers et les premiers d’hommes parasites du Soleil.
Et, suite logique de cette vision, ses Derniers Hommes préparent des semences humaines artificielles qui se propageront à travers la galaxie, utilisant comme force motrice la pression du rayonnement solaire, pour atteindre une vitesse presque égale à celle de la lumière. Conception étonnamment moderne. On pourrait trouver l’idée dans un roman d’anticipation contemporain et la croire neuve.
William Olaf Stapledon (1886-1950) naquit à Liverpool, il y travailla par la suite dans une agence maritime, puis y revint donner des cours à l’Université. Il passa une grande partie de son enfance en Égypte. Pendant la Première Guerre mondiale il fut attaché à une ambulance et reçut la croix de guerre. Il avait vingt ans de moins que H. G. Wells. Il semble naturel de comparer ces deux hommes, sans aucun doute les deux grands noms du roman d’anticipation anglais. Wells fut célèbre jeune et longtemps. Stapledon ne le fut jamais dans la même mesure, bien qu’à sa parution en 1930 Les derniers et les premiers ait été très goûté du public et loué par les milieux littéraires des deux côtés de l’Atlantique.
J. B. Priestley le qualifia de chef-d’œuvre. Hugh Walpole, légèrement incertain de son astronomie, dit que le livre était « aussi original que le système solaire ». Arnold Bennett dit : « Il y a eu bien des visions de l’avenir… mais à ma connaissance aucune aussi étrange que Les derniers et les premiers. M. Stapledon possède une imagination aussi extraordinaire que superbe. »
Les termes utilisés par ces critiques s’appliquent encore aujourd’hui au livre (on ne peut appeler l’œuvre un roman c’est davantage une méditation). Et c’est assez surprenant, quand on considère que les événements des trente dernières années ont rendu périmée la première partie du livre. L’histoire contée par Stapledon va de 1930 à l’éventuelle destruction du système solaire. Certains détails du début paraîtront inévitablement bizarres au lecteur d’aujourd’hui.
Comme Shaw – et leurs points de vue sont similaires en d’autres domaines (1) – Stapledon semble avoir vénéré la puissance. Son panégyrique de la Russie paraît aujourd’hui naïf (à un certain stade de sa carrière il embrassa le communisme), ses éloges comme ses condamnations de l’Amérique frappent à faux, tandis que sa crédulité en ce qui concerne l’Allemagne a des proportions stapledoniennes. Après la Première Guerre, nous dit-il, l’Allemagne « devint la plus pacifique des nations et une citadelle des lumières ». Il est aisé de trouver des excuses pour une telle erreur optimiste dans une admiration pour Spengler et sa conception majestueusement cyclique de l’histoire, d’autant plus que Stapledon écrivit avant la montée au pouvoir d’Hitler, mais comment expliquer qu’il fasse apparaître un Chinois à longue natte en 2 300 ?
Certains passages de ce tour de force futuriste n’ont plus à présent qu’un charme suranné, mais Les derniers et les premiers n’a jamais voulu être une prophétie ; c’est une œuvre de spéculation philosophique et à cet égard elle n’a rien perdu de sa puissance première. Stapledon était docteur en philosophie et composa plusieurs ouvrages en la matière, dont Philosophy and Living, commandé par Pélican en 1939. Il écrivit plusieurs romans dont beaucoup ont d’étonnants thèmes d’anticipation.
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