Les plus remarquables sont Odd John (1935), Star Maker (1937), Sirius (1944) et The Flames (1947). Ces œuvres ont en commun la grandeur et l’étrangeté de leurs concepts. Toutes ont pour but philosophique de considérer l’homo sapiens sous son vrai jour.
Peut-être Stapledon a-t-il été qualifié de pessimiste parce que nous ne sommes pas très impressionnants, même présentés sous un jour favorable. Non qu’il le fût, bien que certains de ses écrits fassent paraître gaie la fiction de Wells, y compris les sombres aventures de L’île du docteur Moreau. Il y avait dans l’écriture de Stapledon quelque chose de glacé qui convenait parfaitement à son thème.
Dans La Machine à explorer le temps (1895), Wells voulut démontrer aux Victoriens qu’ils avaient tort de voir en l’Évolution un processus imaginé par un des leurs pour faire du monde un lieu de plus en plus agréable pour les hommes. Mais aussi punitive que fût la conception de Wells, ses personnages – même les Éloïs et les détestables Morlocks – appartiennent à l’humanité, sont en grande partie assujettis aux lois naturelles et aux lois humaines de l’économie, etc. Ses deux messieurs qui se servent du temps dans Le Nouvel Accélérateur reviennent à la vie normale sous l’œil désapprobateur d’un colonel dans son fauteuil roulant. En fait, les merveilles de Wells se produisent dans le cadre rigide de la nature humaine telle qu’on l’envisageait de son temps.
Avec Stapledon, la situation change. Plus de fauteuil roulant, de colonel, ni d’immuables faits économiques. Mais des navires spatiaux, des États mondiaux, des présidents et des surhommes. S’inclinant devant les forces dynamiques de la vie, les milieux planétaires même peuvent être changés ; l’homme peut subir douze fois une mutation complète – et à cet égard, le seul peut-être, il est plus satisfaisant de lire Stapledon que Wells. Wells a écrit plusieurs excellents romans, mais Les derniers et les premiers est un chef-d’œuvre.
Je découvris ce livre en Birmanie, en 1943. J’étais alors un membre insignifiant des forces britanniques qui repoussaient lentement les Japonais des collines de l’Assam aux plaines de Mandalay. Ces circonstances inhabituelles convenaient à la révélation d’un point de vue si éloigné de l’expérience ordinaire.
Je lus l’œuvre dans l’édition du Pélican. Les derniers et les premiers peut revendiquer l’honneur d’être le seul ouvrage de fiction paru sous cette couverture bleue. Quand j’eus fini de le lire au bivouac, la couverture en était en lambeaux et j’avais été converti à la conception cosmique des choses qui hante bien des hommes de ma génération, en grande partie grâce à Stapledon, Wells et quelques lumières de moindre envergure à leur suite. L’influence qu’eut alors sur moi Stapledon se sent encore dans mes livres. Il impressionna également bien des écrivains d’anticipation (on pense en particulier à James Blish) ; tous ont ce sentiment que nous sommes tels des moineaux qui tombent – et sans qu’aucun regard divin nous suive comme nous passons.
Stapledon était un grand visionnaire. Les derniers et les premiers doit être compté parmi les plus grandes œuvres d’imagination jamais écrites. Si même les savants myopes qui compilent des histoires de la littérature anglaise oublient de la mentionner, son influence sur d’autres œuvres est forte et vivante, comme le livre lui-même est fort et bien vivant.
La façon qu’a Stapledon de distribuer impartialement les catastrophes ; son absence de sadisme ; sa constante remise en question des valeurs reçues, inévitablement associée à sa trop facile acceptation de certaines autres ; son utilisation de la sexualité pour la propagation de la race plutôt que comme prétexte à scènes érotiques ; la générosité de ses vues ; son refus du cœur ; sa conscience du dynamisme des chromosomes ; et par-dessus tout sa conception de l’union paradoxale de la grandeur et de l’insignifiance de l’homme ; tout cela trouve un écho dans les meilleurs romans de l’école florissante des écrivains d’anticipation contemporains.
Cette école, tout comme ses milliers de lecteurs, a envers Stapledon une grande dette. Car il eut plus qu’une vision unique de ce monde. Il eut le courage, en un pays et en une époque encore relativement satisfaits d’eux-mêmes et trop sûrs de leurs valeurs, d’ouvrir grand la fenêtre du doute. Aujourd’hui, nous avons perdu ces certitudes ; la mutabilité de l’humanité et de ses normes a été prouvée par la guerre, les radiations atomiques, les lavages de cerveau et les drogues. Comme le Dernier Homme, comme le spermatozoïde, il semble que nous nous précipitions souvent sans gouvernail d’une catastrophe à l’autre.
Il est possible à présent de regarder de l’autre côté de la fenêtre de Stapledon. Le courage de ses vues demeure ; elles ont engendré naguère la qualité libératrice du doute, on peut aujourd’hui tirer d’elles le principe fortifiant du réconfort.
BRIAN ALDISS.
Oxford, septembre 1962.
Préface
Ceci est un ouvrage de fiction. J’ai essayé d’inventer une histoire de l’avenir de l’homme qui pût paraître possible ou à tout le moins plausible. Et j’ai tenté de la faire correspondre au changement qui se dessine actuellement dans les conceptions de l’homme.
Imaginer l’avenir peut paraître se complaire en des spéculations désordonnées par amour du merveilleux. Et pourtant, en ce domaine, user de son imagination tout en la freinant peut être un exercice précieux pour des esprits désorientés par le présent et ses virtualités. Aujourd’hui, nous devrions bien accueillir, étudier même, toute tentative sérieuse d’envisager l’avenir de notre espèce, non seulement pour saisir les possibilités diverses et souvent tragiques qui s’offrent à nous, mais aussi pour nous familiariser avec la certitude que nos idéaux les plus chéris pourraient sembler puérils à des esprits plus évolués. Inventer le lointain avenir c’est donc s’efforcer de voir la race humaine dans son cadre cosmique, et de former nos cœurs à accepter de nouvelles valeurs.
Mais si ces constructions imaginaires d’avenirs possibles veulent être quelque peu efficaces, notre imagination doit être sévèrement disciplinée.
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