La paix qui suivit la guerre européenne est un des moments les plus significatifs de l’histoire ancienne ; car elle résume à la fois la vision naissante et l’aveuglement incurable, l’impulsion vers une loyauté supérieure et le tribalisme compulsif d’une espèce qui n’était après tout que superficiellement humaine.

II. LA GUERRE ANGLO-FRANÇAISE.

Un bref mais tragique accident qui se produisit dans le siècle qui suivit la guerre européenne décida du sort des Premiers Hommes. Au cours de ce siècle le désir de paix et de raison, formait déjà un sérieux facteur de l’histoire. À part quelques événements des plus malheureux dont on parlera le moment venu, le parti de la paix aurait pu l’emporter en Europe au cours de la période la plus dangereuse, et par l’Europe, dans le monde. Avec un peu moins de malchance ou un tout petit peu plus de pénétration et de maîtrise de soi en ce moment critique, l’ère de ténèbres dans laquelle les Premiers Hommes allaient être plongés n’eût peut-être jamais été. Car si la victoire avait été remportée avant que le niveau général de la vie mentale eût sérieusement commencé à décliner, la réalisation de l’État mondial eût pu être considérée non comme une fin, mais comme le premier pas vers une civilisation véritable. Ce ne devait pas être.

Après la guerre européenne, la nation vaincue, qui auparavant n’était pas moins militariste que les autres devint la plus pacifique de toutes, et une forteresse des lumières. À la vérité il s’était produit de profonds changements d’opinion presque partout, mais principalement en Allemagne. Les vainqueurs, d’autre part, malgré leur désir réel d’êtres humains et généreux et de fonder un monde nouveau, furent entraînés en partie par leur propre timidité, en partie par la diplomatie aveugle de leurs gouvernants, à tomber dans tous les vices contre lesquels ils croyaient avoir mené une croisade. Après une brève période pendant laquelle ils affectèrent désespérément d’avoir de l’amitié les uns pour les autres, ils retombèrent une fois de plus dans l’habitude des conflits physiques. Parmi lesquels il faut en étudier deux.

Le premier confit, le moins désastreux pour l’Europe, fut une courte lutte grotesque entre la France et l’Italie. Depuis la chute de la Rome antique, les Italiens avaient davantage excellé dans les arts et la littérature que dans les entreprises martiales. Mais la libération héroïque de l’Italie au dix-neuvième siècle chrétien avait rendu les Italiens particulièrement chatouilleux quant au prestige national, et comme parmi les peuples occidentaux, la vigueur nationale se mesurait en termes de gloire militaire, les Italiens furent poussés par leur succès contre une branlante domination étrangère à se laver complètement de l’accusation de médiocrité dans la guerre. Après la guerre européenne, cependant, l’Italie passa par une phase de désordres sociaux et de doute de soi. Puis un parti national de style flamboyant, mais sincère, prit le pouvoir et donna aux Italiens un nouveau respect de soi, basé sur les réformes des services publics, et sur une politique militariste. Les trains arrivèrent à l’heure, les rues furent propres et la morale puritaine. L’Italie battit des records d’aviation. On apprit aux jeunes en uniforme à jouer au soldat avec des armes à feu véritables et on les persuada de se considérer comme les sauveurs de la nation, on les encouragea à verser le sang, on les utilisa pour faire respecter la volonté du gouvernement. Le mouvement fut principalement organisé par un homme dont le génie de l’action, les discours creux et la pensée fruste firent un dictateur triomphant. Il entraîna presque miraculeusement la nation italienne à l’efficacité. En même temps, avec un incroyable manque d’humour, mais un effet certain sur les émotions, il proclama l’importance de l’Italie et son désir d’expansion. Comme les Italiens étaient lents à comprendre la nécessité de limiter leur population, cette « expansion » était un besoin réel.

Il arriva donc que l’Italie, désirant les territoires français en Afrique, jalouse que la France fût à la tête des races latines, et indignée de la protection accordée en France aux « traîtres » italiens, eut de plus en plus tendance à se quereller avec le plus assuré de ses alliés de naguère. Un incident de frontière, une imaginaire « insulte au drapeau italien » fut enfin la cause d’un raid injustifié sur le territoire français accompli par un petit groupe de la milice italienne. Les maraudeurs furent pris, mais du sang français fut versé. Il s’ensuivit une demande d’excuses et de réparations, calme, mais subtilement offensante pour la dignité italienne. Les patriotes italiens se déchaînèrent, animés d’une fureur myope. Le dictateur, loin d’oser s’excuser fut obligé d’exiger la libération des miliciens captifs, et finalement de déclarer la guerre. Après un vif engagement, les armées françaises pénétrèrent en Italie du Nord. La résistance, d’abord héroïque, devint bientôt chaotique. Consternés, les Italiens s’éveillèrent de leur rêve de gloire militaire.