Le peuple se retourna contre le dictateur qu’il avait forcé à déclarer la guerre. Il échoua dans sa tentative théâtrale mais valeureuse de maîtriser la foule romaine, et fut tué. Le nouveau gouvernement fit hâtivement la paix en cédant aux Français un territoire le long de la frontière qu’ils avaient déjà annexé par mesure de sécurité.

À partir de là, les Italiens s’occupèrent moins d’éclipser la gloire de Garibaldi que de rivaliser avec celles plus nobles de Dante, de Giotto et de Galilée.

La France dominait alors complètement le continent européen, mais ayant beaucoup à perdre, elle se conduisit avec arrogance et nervosité. Avant longtemps la paix fut encore troublée.

Les vétérans de la guerre européenne avaient à peine fini de lasser leurs cadets avec leurs réminiscences que l’ancienne rivalité entre la France et l’Angleterre atteignit son plus haut point en une dispute entre leurs gouvernements respectifs à propos d’une affaire de crime sexuel commis, disait-on, par un soldat africain français sur une Anglaise. En cette querelle, le gouvernement anglais fut dans son tort, sans doute égaré par ses propres répressions sexuelles. L’attentat n’avait pas été commis. Les faits qui avaient donné naissance à cette rumeur étaient qu’une Anglaise oisive et névrosée habitant le sud de la France, obsédée par le désir de l’étreinte d’un « homme des cavernes », avait séduit un caporal sénégalais dans son propre appartement. Quand, par la suite, il avait montré des signes d’ennui, elle s’était vengée en l’accusant d’attentat à la pudeur dans les bois au-dessus de la ville. Cette rumeur était de l’espèce que les Anglais ne sont que trop enclins à savourer et à croire. D’ailleurs, les magnats de la presse anglaise ne purent résister à cette occasion d’exploiter la sexualité, le tribalisme et le pharisaïsme du public. Il s’ensuivit une épidémie d’injures et quelques voies de fait contre les Français résidant en Angleterre. Le parti de la peur et du militarisme en France se vit ainsi donner l’occasion qu’il cherchait depuis longtemps. Car les causes réelles de cette guerre avaient trait à la puissance aérienne. La France avait persuadé la Société des Nations (dans un de ses moments de moindre intelligence) de limiter la taille des avions militaires, de telle manière que Paris pouvait difficilement être atteint d’Angleterre, alors que Londres était à portée de tir de la côte française. Cette situation ne pouvait évidemment durer longtemps. La Grande-Bretagne menait une campagne de plus en plus insistante pour l’abolition de ces restrictions. Mais il y avait d’autre part une demande croissante d’un désarmement aérien total de l’Europe. Et le parti de la raison était si fort en France que ce plan eût certainement été accepté par le gouvernement français. Pour ces deux motifs, les militaristes français étaient donc impatients de frapper quand l’occasion leur en fut donnée.

En un instant, le fruit des efforts en faveur du désarmement fut anéanti. La subtile différence de mentalité qui avait toujours empêché ces deux nations de se comprendre, fut subitement exagérée par cet incident provocateur, jusqu’à devenir un désaccord apparemment insoluble. Les Anglais retournèrent à leur conviction que tous les Français étaient des jouisseurs alors que pour la France les Anglais furent comme souvent auparavant, les plus déplaisants des hypocrites. En vain les esprits les plus raisonnables de chaque pays tentèrent-ils de montrer l’humanité fondamentale des deux peuples. En vain les Allemands, instruits par la correction reçue, tentèrent-ils d’offrir leur médiation. En vain la Société des Nations, qui avait alors un grand prestige et de l’autorité, menaça-t-elle d’expulsion et même de représailles les deux nations. La rumeur se répandit dans Paris que l’Angleterre, au mépris de ses engagements internationaux, construisait fébrilement des avions géants qui détruiraient la France de Calais à Marseille. À la vérité, la rumeur n’était pas entièrement calomnie, car au moment où la lutte commença, l’aviation britannique se révéla avoir un rayon d’action beaucoup plus vaste qu’on ne s’y était attendu. Pourtant l’ouverture des hostilités prit l’Angleterre au dépourvu. Alors qu’on s’arrachait les journaux londoniens annonçant que la guerre était déclarée, des avions ennemis apparurent au-dessus de la ville. Deux heures après, un tiers de Londres n’était plus que ruines, et la moitié de sa population gisait empoisonnée dans ses rues. Une bombe, tombant près du British Museum, transforma Bloomsbury en cratère, où des fragments de momies, de statues et de manuscrits se mêlaient au contenu des boutiques, et aux restes des vendeurs et des membres de l’intelligentsia.