Elle parle lentement.

LAUNCE.—Oh! le sot, qui met cela au nombre de ses défauts; parler lentement est la seule vertu d'une femme.—Allons, je te prie, efface-moi cela, et place-le au nombre de ses plus grandes vertus.

SPEED.—«Item. Elle est orgueilleuse.

LAUNCE.—Efface-moi cela encore.—C'est l'héritage d'Ève; on ne peut le lui ôter.

SPEED.—«Item. Elle n'a pas de dents.

LAUNCE.—Je ne m'embarrasse guère de cela non plus, parce que j'aime la croûte.

SPEED.—«Item. Elle est méchante.

LAUNCE.—Eh bien! il est heureux qu'elle n'ait pas de dents pour mordre.

SPEED.—«Item. Elle fera souvent l'éloge du vin.

LAUNCE.—Si le vin est bon, elle le louera; si elle ne le veut pas, je le louerai, moi; car les bonnes choses doivent être louées.

SPEED.—«Item. Elle est trop libre.

LAUNCE.—En paroles; cela est impossible, car il est écrit plus haut qu'elle parlait lentement:—en argent; elle ne le pourra pas, je le tiendrai sous la clef; si elle donne quelque autre chose, elle en est la maîtresse, et je ne puis l'en empêcher.—Bon, continue.

SPEED.—«Item.—Elle a plus de cheveux que d'esprit, plus de défauts que de cheveux, et plus d'écus que de défauts.

LAUNCE.—Arrête-toi là.—Je veux l'avoir. Deux ou trois fois, dans ce dernier article, j'ai dit qu'elle était à moi, et qu'elle n'était pas à moi. Relis-moi ce passage, je te prie.

SPEED.—«Item.—Elle a plus de cheveux que d'esprit.

LAUNCE.—Plus de cheveux que d'esprit, cela peut être, je le verrai bien: le couvercle du sel cache le sel, et c'est pourquoi il est plus que le sel. Les cheveux qui couvrent l'esprit sont plus que l'esprit, car le plus grand cache le moindre.—Après.

SPEED.—«Et plus de défauts que de cheveux.

LAUNCE.—Cela est affreux.—Oh! s'il était possible que cela n'y fût pas!

SPEED.—«Et plus d'écus que de défauts.»

LAUNCE.—Ha! ha! voilà un mot qui rend ses défauts aimables; oui, je veux l'avoir, et s'il se fait un mariage, comme il n'y a rien d'impossible...

SPEED.—Eh bien! après?

LAUNCE.—Oh! après!... Je te dirai que ton maître t'attend à la porte du Nord.

SPEED.—Moi?

LAUNCE.—Toi? Vraiment, qui es-tu? Il a attendu quelqu'un qui vaut mieux que toi.

SPEED.—Et faut-il que j'aille le trouver?

LAUNCE.—Que tu coures le trouver; car tu es resté ici si longtemps que ta course à peine pourra réparer le temps que tu as perdu.

SPEED.—Que ne me le disais-tu plus tôt? Que la peste soit de tes lettres d'amour!

(Il sort.)

LAUNCE.—Oh! il sera étrillé de la bonne manière pour avoir lu ma lettre. Cet impoli faquin, qui veut mettre le nez dans les secrets d'autrui. Ha! ha! je vais le suivre pour rire, en lui voyant recevoir sa correction.

(Il sort.)


SCÈNE II

Appartement du palais ducal, à Milan.

LE DUC et THURIO, PROTÉO suit derrière.

LE DUC.—Seigneur Thurio, ne craignez rien, elle viendra à vous aimer à présent que Valentin est banni de sa vue.

THURIO.—Depuis qu'il est exilé, elle me méprise encore davantage; elle déteste ma présence et me traite avec tant de dédain que je désespère de gagner son coeur.

LE DUC.—Cette faible impression de l'amour est comme une figure tracée sur la glace, qu'une heure de chaleur efface et dissout. Un peu de temps fondra la glace de son coeur, et l'indigne Valentin sera oublié. (Protéo les joint.) Eh bien! seigneur Protéo, votre compatriote est-il parti suivant mon décret?

PROTÉO.—Il est parti, seigneur.

LE DUC.—Ma fille est bien triste de ce départ.

PROTÉO.—Un peu de temps dissipera son chagrin, seigneur.

LE DUC.—Je le crois, mais le seigneur Thurio ne le pense pas. Protéo, la bonne opinion que j'ai de vous (car vous m'avez donné quelques preuves de votre attachement) m'engage de plus en plus à conférer avec vous.

PROTÉO.—Puisse le moment où vous me trouverez infidèle à vos intérêts, seigneur, être le dernier de ma vie!

LE DUC.—Vous savez combien je désirerais former une alliance entre le seigneur Thurio et ma fille.

PROTÉO.—Je le sais, mon seigneur.

LE DUC.—Et je crois bien aussi que vous n'ignorez pas combien elle résiste à mes volontés.

PROTÉO.—Elle y résistait, mon prince, lorsque Valentin était ici.

LE DUC.—Mais elle persévère encore dans sa perversité. Que pourrions-nous inventer, pour faire oublier Valentin à cette fille et lui faire aimer le seigneur Thurio?

PROTÉO.—Le meilleur moyen est d'accuser Valentin d'être infidèle, lâche et de basse extraction, trois défauts que les dames détestent mortellement.

LE DUC.—Fort bien, mais elle croira qu'on le calomnie par haine.

PROTÉO.—Oui, si c'était un ennemi de Valentin qui le dit; il faudrait que cela fût dit, avec des circonstances plausibles, par un homme qu'elle croirait être son ami.

LE DUC.—Alors il faut vous charger de le calomnier.

PROTÉO.—C'est, mon prince, ce que j'aurais bien de la répugnance à faire: c'est un vilain rôle pour un gentilhomme, surtout contre son intime ami.

LE DUC.—Lorsque tous vos éloges ne lui peuvent faire aucun bien, vos calomnies ne peuvent certainement lui faire aucun tort. Ce rôle alors devient indifférent, surtout quand votre ami vous prie de le faire.

PROTÉO.—Vous l'emportez, seigneur; elle ne l'aimera pas longtemps, je vous assure, si je puis y réussir, par tout ce que je pourrai dire à son désavantage. Mais s'il arrive que j'extirpe son amour pour Valentin, il ne s'ensuit pas qu'elle aimera le seigneur Thurio.

THURIO.—Aussi, en arrachant cet amour fixé sur Valentin, il faut, de peur qu'il ne se perde et ne soit bon à personne, faire en sorte de l'attacher à moi; c'est ce que vous devez faire en me louant autant que vous le déprécierez.

LE DUC.—Mon cher Protéo, nous pouvons nous fier à vous en cette affaire, car nous savons, d'après ce que nous a dit Valentin, que vous êtes déjà un fidèle sujet de l'amour, et en si peu de temps votre âme ne saurait changer, ni se rendre parjure. Avec cette garantie, nous ne craignons pas de vous donner accès dans un lieu où vous pouvez causer longtemps avec Silvie, car elle est chagrine, languissante, mélancolique, et pour l'amour de votre ami, elle sera bien aise de vous voir; par vos discours adroits, vous pourrez la consoler et lui persuader de haïr le jeune Valentin et d'aimer mon ami.

PROTÉO.—Tout ce qu'il me sera possible de faire, je le ferai. Mais vous, seigneur Thurio, vous n'êtes pas assez pressant. Vous devez aussi préparer votre glu pour prendre au piège ses désirs par des sonnets plaintifs dont les rimes composées exprimeraient votre hommage et vos voeux.

LE DUC.—Oui, la poésie, fille du ciel, a un grand pouvoir.

PROTÉO.—Dites à Silvie que sur l'autel de sa beauté vous sacrifiez vos larmes, vos soupirs, votre coeur; écrivez jusqu'à ce que votre encre soit épuisée, et alors que vos larmes remplissent votre écritoire, tracez quelques lignes de sentiment qui puissent attester votre sincérité. La lyre d'Orphée était munie de cordes poétiques, dont la touche d'or pouvait attendrir le fer et les rochers, apprivoiser les tigres, attirer des profonds abîmes de l'Océan l'énorme Léviathan et le faire danser sur le sable. Après vos plaintives élégies, venez pendant la nuit sous les fenêtres de votre maîtresse; joignez une chanson mélancolique au son des instruments accompagné de quelque doux concert. Le morne silence de la nuit est favorable aux douces plaintes des amants malheureux; tout ceci la touchera, ou rien n'y fera.

LE DUC.—Ces conseils prouvent que vous avez été amoureux.

THURIO.—Et, dès ce soir même, je veux les mettre en pratique. Ainsi, mon cher Protéo, mon Mentor, allons tout à l'heure à la ville pour réunir quelques habiles musiciens. J'ai un sonnet qui fera l'affaire pour commencer à suivre tes bons conseils.

LE DUC.—Allons, messieurs, à l'oeuvre!

PROTÉO.—Nous resterons auprès de vous, mon prince, jusqu'après le souper, et nous déciderons ensuite la marche à tenir.

LE DUC.—Non, non, mettez-vous de suite à l'oeuvre. Je vous dispense de me suivre.

(Ils sortent.)

FIN DU TROISIÈME ACTE.




ACTE QUATRIÈME


SCÈNE I

Une forêt près de Mantoue.

Une troupe de BRIGANDS.

PREMIER VOLEUR.—Camarades, tenez ferme: je vois un voyageur.

SECOND VOLEUR.—Et quand il y en aurait dix, ne reculez pas, mais terrassons-les.

(Arrivent Valentin et Speed.)

TROISIÈME VOLEUR.—Halte-là, monsieur, jetez à terre ce que vous avez sur vous, sinon nous vous ferons asseoir et nous vous dépouillerons.

SPEED.—Ah! monsieur, nous sommes perdus, ce sont ces brigands que tous les voyageurs craignent tant.

VALENTIN.—Mes amis...

PREMIER VOLEUR.—Point du tout, monsieur, nous sommes vos ennemis.

SECOND VOLEUR.—Paix! Nous voulons l'entendre.

TROISIÈME VOLEUR.—Oui, par ma barbe, nous le voulons, car il a l'air d'un brave homme.

VALENTIN.—Sachez donc que j'ai bien peu de chose à perdre. Je suis un homme accablé d'infortunes. Toute ma richesse consiste dans ces pauvres habillements; si vous me les ôtez, vous prendrez tout ce que je possède.

SECOND VOLEUR.—Où allez-vous?

VALENTIN.—A Vérone.

PREMIER VOLEUR.—D'où venez-vous?

VALENTIN.—De Milan.

TROISIÈME VOLEUR.—Y avez-vous séjourné longtemps?

VALENTIN.—Environ seize mois, et j'y serais encore si la fortune perfide ne m'en avait chassé.

PREMIER VOLEUR.—Comment, vous en êtes banni?

VALENTIN.—Je le suis.

SECOND VOLEUR.—Et pour quel crime?

VALENTIN.—Pour un forfait que je ne puis redire sans en être tourmenté. J'ai tué un homme, dont je regrette beaucoup la mort; mais cependant je l'ai tué bravement, les armes à la main, sans avantage et sans lâche trahison.

PREMIER VOLEUR.—Ne vous en repentez jamais, si vous l'avez tué ainsi.