d'Harville cessèrent comme par enchantement. Il attendit le jour avec impatience.
Dès le matin, M. d'Harville sonna son valet de chambre.
Le vieux Joseph en entrant chez son maître l'entendit, à son grand étonnement, fredonner un air de chasse, signe aussi rare que certain de la bonne humeur de M. d'Harville.
—Ah! monsieur le marquis, dit le fidèle serviteur attendri, quelle jolie voix vous avez... quel dommage que vous ne chantiez pas plus souvent!
—Vraiment, monsieur Joseph, j'ai une jolie voix? dit M. d'Harville en riant.
—Monsieur le marquis aurait la voix aussi enrouée qu'un chat-huant ou qu'une crécelle, que je trouverais encore qu'il a une jolie voix.
—Taisez-vous, flatteur!
—Dame! quand vous chantez, monsieur le marquis, c'est signe que vous êtes content... et alors votre voix me paraît la plus charmante musique du monde...
—En ce cas, mon vieux Joseph, apprête-toi à ouvrir tes longues oreilles.
—Que dites-vous?
—Tu pourras jouir tous les jours de cette charmante musique, dont tu parais si avide.
—Vous seriez heureux tous les jours, monsieur le marquis! s'écria Joseph en joignant les mains avec un radieux étonnement.
—Tous les jours, mon vieux Joseph, heureux tous les jours. Oui, plus de chagrins, plus de tristesse. Je puis te dire cela, à toi, seul et discret confident de mes peines... Je suis au comble du bonheur... Ma femme est un ange de bonté... elle m'a demandé pardon de son éloignement passé, l'attribuant, le devinerais-tu?... à la jalousie!...
—À la jalousie?
—Oui, d'absurdes soupçons excités par des lettres anonymes...
—Quelle indignité!...
—Tu comprends... les femmes ont tant d'amour-propre... Il n'en a pas fallu davantage pour nous séparer; mais heureusement hier soir elle s'en est franchement expliquée avec moi. Je l'ai désabusée; te dire son ravissement me serait impossible, car elle m'aime, oh! elle m'aime! La froideur qu'elle me témoignait lui pesait aussi cruellement qu'à moi-même... Enfin notre cruelle séparation a cessé... juge de ma joie!...
—Il serait vrai! s'écria Joseph les yeux mouillés de larmes. Il serait donc vrai, monsieur le marquis! Vous voilà heureux pour toujours, puisque l'amour de Mme la marquise vous manquait seul... ou plutôt puisque son éloignement faisait seul votre malheur, comme vous me le disiez...
—Et à qui l'aurais-je dit, mon pauvre Joseph?... Ne possédais-tu pas un secret plus triste encore? Mais ne parlons pas de tristesse... ce jour est trop beau... Tu t'aperçois peut-être que j'ai pleuré?... C'est qu'aussi, vois-tu, le bonheur me débordait... Je m'y attendais si peu!... Comme je suis faible, n'est-ce pas?
—Allez... allez... monsieur le marquis, vous pouvez bien pleurer de contentement, vous avez assez pleuré de douleur. Et moi donc! tenez... est-ce que je ne fais pas comme vous? Braves larmes! je ne les donnerais pas pour dix années de ma vie...
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