la vue du prince... les souvenirs de ce temps...
—Votre main, mon frère, dit Sarah.
Puis, appuyant sur son cœur impassible la main de Thomas Seyton, elle ajouta avec un sourire sinistre et glacial:
—Suis-je émue?
—Non... rien... rien... pas un battement précipité, dit Seyton avec stupeur, je sais quel empire vous avez sur vous-même. Mais dans un tel moment, mais quand il s'agit pour vous ou d'une couronne ou de la mort... car, encore une fois, songez-y, la perte de cette dernière espérance vous serait mortelle. En vérité, votre calme me confond!
—Pourquoi cet étonnement, mon frère? Jusqu'ici, ne le savez-vous pas? rien... non, rien n'a jamais fait battre ce cœur de marbre: il ne palpitera que le jour où je sentirai poser sur mon front la couronne souveraine. J'entends Rodolphe... laissez-moi...
—Mais...
—Laissez-moi, s'écria Sarah d'un ton si impérieux, si résolu, que son frère quitta l'appartement quelques moments avant qu'on y eût introduit le prince.
Lorsque Rodolphe entra dans le salon, son regard exprimait la pitié. Mais, voyant Sarah assise dans son fauteuil et presque parée, il recula de surprise, sa physionomie devint aussitôt sombre et méfiante.
La comtesse, devinant sa pensée, lui dit d'une voix douce et faible:
—Vous croyiez me trouver expirante, vous veniez pour recevoir mes derniers adieux?
—J'ai toujours regardé comme sacrés les derniers vœux des mourants: mais il s'agit d'une tromperie sacrilège...
—Rassurez-vous, dit Sarah en interrompant Rodolphe, rassurez-vous, je ne vous ai pas trompé; il me reste, je crois, peu d'heures à vivre. Pardonnez-moi une dernière coquetterie. J'ai voulu vous épargner le sinistre entourage qui accompagne ordinairement l'agonie; j'ai voulu mourir vêtue comme je l'étais la première fois où je vous vis. Hélas! après dix années de séparation, vous voilà donc enfin? Merci! oh! merci! Mais, à votre tour, rendez grâces à Dieu de vous avoir inspiré la pensée d'écouter ma dernière prière. Si vous m'aviez refusé... j'emportais avec moi un secret qui va faire la joie... le bonheur de votre vie. Joie mêlée de quelque tristesse... bonheur mêlé de quelques larmes... comme toute félicité humaine; mais cette félicité, vous l'achèteriez encore au prix de la moitié des jours qui vous restent à vivre!
—Que voulez-vous dire? lui demanda le prince avec surprise.
—Oui, Rodolphe, si vous n'étiez pas venu... ce secret m'aurait suivie dans la tombe... c'eût été ma seule vengeance... et encore... non, non, je n'aurais pas eu ce terrible courage. Quoique vous m'ayez bien fait souffrir, j'aurais partagé avec vous ce suprême bonheur dont, plus heureux que moi, vous jouirez longtemps, bien longtemps, je l'espère.
—Mais encore, madame, de quoi s'agit-il?
—Lorsque vous le saurez, vous ne pourrez comprendre la lenteur que je mets à vous en instruire, car vous regarderez cette révélation comme un miracle du ciel. Mais, chose étrange, moi qui d'un mot peux vous causer le plus grand bonheur que vous ayez peut-être jamais ressenti... j'éprouve, quoique maintenant les minutes de ma vie soient comptées, j'éprouve une satisfaction indéfinissable à prolonger votre attente... et puis je connais votre cœur... et, malgré la fermeté de votre caractère, je craindrais de vous annoncer sans préparation une découverte aussi incroyable.
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