Les émotions d'une joie foudroyante ont aussi leurs dangers.

—Votre pâleur augmente, vous contenez à peine une violente agitation, dit Rodolphe; tout ceci est, je le crois, grave et solennel.

—Grave et solennel, reprit Sarah d'une voix émue; car, malgré son impassibilité habituelle, en songeant à l'immense portée de la révélation qu'elle allait faire à Rodolphe, elle se sentait plus troublée qu'elle n'avait cru l'être; aussi, ne pouvant se contraindre plus longtemps, elle s'écria:

—Rodolphe... notre fille existe...

—Notre fille!...

—Elle vit! vous dis-je...

Ces mots, l'accent de vérité avec lequel ils furent prononcés, remuèrent le prince jusqu'au fond des entrailles.

—Notre enfant? répéta-t-il en se rapprochant précipitamment du fauteuil de Sarah, notre enfant! ma fille!

—Elle n'est pas morte, j'en ai des preuves irrécusables... je sais où elle est... demain vous la reverrez.

—Ma fille! ma fille! répéta Rodolphe avec stupeur, il se pourrait! elle vivrait!

Puis tout à coup, réfléchissant à l'invraisemblance de cet événement, et craignant d'être dupe d'une nouvelle fourberie de Sarah, il s'écria:

—Non... non... c'est un rêve! c'est impossible! vous me trompez, c'est une ruse, un mensonge indigne!

—Rodolphe! écoutez-moi.

—Non, je connais votre ambition, je sais de quoi vous êtes capable, je devine le but de cette tromperie!

—Eh bien! vous dites vrai, je suis capable de tout. Oui, j'avais voulu vous abuser; oui, quelques jours avant d'être frappée d'un coup mortel, j'avais voulu trouver une jeune fille... que je vous aurais présentée à la place de notre enfant... que vous regrettiez amèrement.

—Assez... oh! assez, madame.

—Après cet aveu, vous me croirez peut-être, ou plutôt vous serez bien forcé de vous rendre à l'évidence.

—À l'évidence...

—Oui, Rodolphe, je le répète, j'avais voulu vous tromper, substituer une jeune fille obscure à celle que nous pleurions; mais Dieu a voulu, lui, qu'au moment où je faisais ce marché sacrilège... je fusse frappée à mort.

—Vous... à ce moment!

—Dieu a voulu encore qu'on me proposât... pour jouer ce rôle... de mensonge... savez-vous qui? notre fille...

—Êtes-vous donc en délire... au nom du ciel?

—Je ne suis pas en délire, Rodolphe. Dans cette cassette, avec des papiers et un portrait qui vous prouveront la vérité de ce que je vous dis, vous trouverez un papier taché de mon sang.

—De votre sang?

—La femme qui m'a appris que notre fille vivait encore me dictait cette révélation, lorsque j'ai été frappée d'un coup de poignard.

—Et qui était-elle? comment savait-elle?...

—C'est à elle qu'on avait livré notre fille... tout enfant... après l'avoir fait passer pour morte.

—Mais cette femme... son nom?... peut-on la croire? où l'avez-vous connue?

—Je vous dis, Rodolphe, que tout ceci est fatal, providentiel. Il y a quelques mois, vous aviez tiré une jeune fille de la misère pour l'envoyer à la campagne, n'est-ce pas?

—Oui, à Bouqueval.

—La jalousie, la haine, m'égaraient. J'ai fait enlever cette jeune fille par la femme... dont je vous parle...

—Et on a conduit la malheureuse enfant à Saint-Lazare.

—Où elle est encore.

—Elle n'y est plus. Ah! vous ne savez pas, madame, le mal affreux que vous avez fait... en arrachant cette infortunée de la retraite où je l'avais placée... mais...

—Cette jeune fille n'est plus à Saint-Lazare, s'écria Sarah avec épouvante, et vous parlez d'un malheur affreux!

—Un monstre de cupidité avait intérêt à sa perte. Ils l'ont noyée, madame... Mais répondez... vous dites que...

—Ma fille! s'écria Sarah, en interrompant Rodolphe et se levant droite, immobile comme une statue de marbre.

—Que dit-elle? mon Dieu! s'écria Rodolphe.

—Ma fille! répéta Sarah, dont le visage devint livide et effrayant de désespoir; ils ont tué ma fille!

—La Goualeuse, votre fille!!!...