Pourquoi ne renverrait-il pas dans les forêts de la Germanie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d'être issues de la race des conquérants, et d'avoir succédé à leurs droits de conquête? La nation épurée alors pourra se consoler, je pense, d'être réduite à ne plus se croire composée que des descendants des Gaules

Enfin, M. Guizot, sous la dernière année de la restauration, écrivait ces éloquentes paroles:

«La révolution de 89 a été une guerre, la vraie guerre, telle que le monde la connaît, entre peuples étrangers. Depuis plus de treize cents ans, la France contenait deux peuples: un peuple vainqueur et un peuple vaincu. Depuis plus de treize cents ans le peuple vaincu luttait pour secouer le joug du peuple vainqueur. Notre histoire est l'histoire de cette lutte. De nos jours une bataille décisive a été livrée; elle s'appelait la révolution. Francs et Gaulois, seigneurs et paysans, nobles et roturiers, tous, bien longtemps avant cette révolution, s'appelaient également Français, avaient également la France pour patrie. Treize siècles se sont employés parmi nous à fondre dans une même nation la race conquérante et la race conquise, les vainqueurs et les vaincus; mais la division primitive a traversé le cours des siècles et a résisté à leur action; la lutte a continué dans tous les âges, sous toutes les formes, avec toutes les armes; et lorsqu'on 1789, les députés de la France entière ont été réunis dans une seule assemblée, les deux peuples se sont hâtés de reprendre leur vieille querelle. Le jour de la vider était enfin venu.» (Guizot, Du Gouvernement de la France depuis la restauration, et du ministère actuel, 1829.)

Ce véhément appel aux souvenirs révolutionnaires avait pour but de prouver que, malgré la révolution de 89, la monarchie légitime de 1815 voulait, en 1829, renouveler l'oppression des conquérants sur les conquis, des Francs sur les Gaulois; car M. Guizot terminait en ces termes, en s'adressant aux contre-révolutionnaires:

«On sait d'où vous venez... c'en est assez pour savoir où vous allez...» Or, aujourd'hui 5 août 1849, jour où nous écrivons ces lignes, le parti prêtre et légitimiste espère encore nous traiter en peuple conquis en nous inféodant de nouveau au dernier rejeton de cette royauté de race franque, prétendue de droit divin. C'est curieux après les notes que nous venons de citer.—Nous laisserons-nous faire?

—Parbleu... la différence du maître à l'esclave.

—Ou, si vous l'aimez mieux, du Franc au Gaulois, grand-père.

—Mais, c'est-à-dire,—s'écria le vieillard,—que je ne suis plus du tout, mais du tout, fier d'être Français... Mais, nom d'un petit bonhomme, comment se fait-il que nos pères les Gaulois se sont ainsi laissé martyriser par une poignée de Francs, non..... de cosaques, pendant des siècles?

—Ah! grand-père! ces Francs possédaient la terre qu'ils avaient volée; donc, ils possédaient la richesse. L'armée, très-nombreuse, se composait de leurs bandes impitoyables; puis, à demi épuisés par leur longue lutte contre les Romains, nos pères eurent bientôt à subir une terrible influence: celle des prêtres...

—Il ne leur manquait plus que cela pour les achever!

—À leur honte éternelle, la plupart des évêques gaulois ont, dès la conquête, renié leur pays et fait cause commune avec les rois et les seigneurs francs, qu'ils ont bientôt dominés par la ruse et la flatterie, et dont ils ont tiré le plus de terre et le plus d'argent possible. Aussi, de même que les conquérants, grand nombre de ces saints prêtres, ayant des serfs qu'ils vendaient et exploitaient, vivaient dans la plus horrible débauche, dégradaient, tyrannisaient, abrutissaient à plaisir les populations gauloises, leur prêchant la résignation, le respect, l'obéissance envers les Francs, menaçant du diable et de ses cornes les malheureux qui auraient voulu se révolter pour l'indépendance de la patrie contre ces seigneurs et ces rois étrangers qui ne devaient leur pouvoir et leurs richesses qu'à la violence, au vol et au meurtre [9].

[9] Les druides (ministres de l'antique et sublime religion gauloise) ont, au contraire, avec un héroïsme admirable, lutté pendant des siècles contre les Romains, contre les Francs et contre le clergé catholique, pour reconquérir l'indépendance et la nationalité de la Gaule, soulevant les populations contre l'étranger et expiant leur patriotisme dans les tortures, tandis que le haut clergé catholique, allié des rois et seigneurs francs qu'il captait par la ruse et par des flatteries infâmes, regorgeait de richesses.

Ainsi Grégoire, évêque de Tours, le seul historien des rois de la première race, dit de Clovis, ce premier roi de droit divin:

«Ayant encore fait périr plusieurs autres rois, et même ses plus proches parents, Clovis étendit son pouvoir sur toutes les Gaules. Cependant ayant un jour rassemblé les siens, on rapporte qu'il leur parla ainsi des parents qu'il avait fait lui-même périr.—Malheur à moi qui suis resté comme un voyageur parmi des voyageurs et qui n'ai plus de parents qui puissent, en cas d'adversité, me prêter leur appui!—Ce n'était pas qu'il s'affligeât de leur mort,—ajoute l'évêque de Tours;—mais il parlait ainsi par ruse et pour découvrir s'il lui restait encore quelqu'un à tuer.» (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, l. II, ch XLII.)

Croit-on que le prêtre chrétien, le serviteur du christ, l'évêque gaulois, flétrisse cette épouvantable hypocrisie du roi franc conquérant, souillé de vols, de meurtres, d'incestes, de fratricides, comme tous ceux de cette première race? On va le voir:

«.....Chaque jour Dieu faisait ainsi tomber les ennemis de Clovis sous sa main et étendait son royaume, parce qu'il marchait avec un cœur pur devant lui, et faisait ce qui était agréable aux yeux de Dieu.» (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, l. II, ch. xl.)

Quant aux débauches et aux crimes d'un grand nombre d'évêques gaulois, nous citerons au hasard, car la mine est féconde:

«Cependant Tautin, devenu évêque, se conduisait de manière à mériter l'exécration générale.» (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, l. IV, ch. XII.)

«... Ceux de Langres demandèrent un évêque; on leur donna Pappol, autrefois archidiacre d'Autun. Au rapport de plusieurs, il commit beaucoup d'iniquités.» (Grégoire de Tours, l. V.)

«... Salone et Sagiltaire, évêques d'Embrun et de Gap, une fois maîtres de l'épiscopat, commencèrent à se signaler avec une fureur insensée par des usurpations, des meurtres, des adultères et d'autres excès.» (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, l. V, ch xxi.)

Certes, l'évêque de Tours ne pouvait être soupçonné de partialité envers ses confrères de l'épiscopat.

—Ah ça, mais, nom d'un petit bonhomme, est-ce que, malgré ces diables d'évêques, notre bonne vieille petite mère l'insurrection n'est pas venue de temps à autre montrer le bout de son nez? Est-ce que nos pères se sont laissé tondre sans regimber, depuis l'époque de la conquête jusqu'à ces beaux jours de la révolution, où nous avons commencé à faire rendre gorge à ces seigneurs, à ces rois francs et à leur allié le clergé, qui, par habitude, avait continué de fièrement s'arrondir?

—Il n'est pas probable que tout se soit passé sans nombreuses révoltes des serfs contre les rois, les seigneurs et les prêtres. Mais, grand-père, je vous ai dit le peu que je savais... et ce peu là, je l'ai appris tout en travaillant à la menuiserie du magasin de monsieur Lebrenn, le marchand de toile d'en face...

—Comment donc cela, mon garçon?

—Pendant que j'étais à l'ouvrage, monsieur Lebrenn, qui est le meilleur homme du monde, causait avec moi..... me parlait de l'histoire de nos pères, que j'ignorais comme vous l'ignoriez.