– Réponses de la Pucelle. – Sa lettre aux Anglais. – Départ pour Orléans.

 

Jeanne, à son arrivée à Poitiers, où siégeait le parlement, demeura chez maître Jean Rabateau, et fut confiée à sa femme, bonne et digne personne, qu’elle charma par sa piété, son innocence et sa douceur ; elle partagea le lit de son hôtesse, pleura toute la nuit en pensant à l’injurieux et impudique examen qu’elle devait subir le lendemain, en présence de la reine Yolande de Sicile et de plusieurs autres nobles dames, parmi lesquelles se trouvait la dame de Gaucourt. Son mari, dévoué aux perfides projets de Georges de La Trémouille, avait obtenu qu’elle fût comprise au nombre des femmes chargées de constater la virginité de Jeanne ; il espérait ainsi être certainement des premiers instruits du résultat de l’épreuve.

Elle eut lieu cette épreuve infâme !… Aucun doute ne resta sur la pureté de Jeanne…

Ah ! c’est la rougeur au visage, l’indignation au cœur, les larmes aux yeux, que j’écris ces lignes, fils de Joel !… Hélas ! pensez à la honte mortelle, à l’affliction douloureuse de la chaste fille des champs, soumise à cet outrageant examen !… elle dont l’une des plus saillantes vertus était une pudeur exquise !…

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Bon nombre de conseillers royaux ou membres du parlement, assistés de plusieurs clercs en théologie, entre autres FRÈRE SÉGUIN, de l’ordre des carmélites, FRÈRE AYMERI, de l’ordre des prêcheurs, MAÎTRE ÉRAUT et MAÎTRE FRANÇOIS GARIVEL, conseillers du roi, se rendirent, vers le milieu du jour, au logis de Jean Rabateau, afin de procéder à l’interrogatoire de Jeanne ; elle les attendait, toujours vêtue de ses habits d’homme.

Figurez-vous, fils de Joel, une vaste salle basse, en son milieu une table, autour de laquelle se rangent ces hommes appelés à constater que la Pucelle est ou n’est pas possédée du malin esprit. Les uns sont en froc brun ou en robe blanche à capuce noire ; d’autres en robes rouges fourrées d’hermine. Leur aspect est défiant, ironique ou sévère. Ils ont été choisis à dessein par l’évêque de Chartres ; il les préside en sa qualité de chancelier de France ; ce saint homme, âme damnée de Georges de La Trémouille, a vu avec un secret dépit la pureté de Jeanne reconnue par le concile de matrones ; mais, malgré ce premier échec aux méchants desseins dont il est complice, il espère que la pauvre paysanne, troublée à l’aspect imposant du docte et redoutable tribunal, abasourdie de subtiles ou insidieuses questions sur les matières théologiques les plus ardues, se compromettra, se perdra par ses réponses. Plusieurs courtisans, ayant foi dans la mission de la jeune inspirée, l’ont suivie à Poitiers, afin d’assister à son interrogatoire ; ils se pressent à l’entrée de la salle.

Jeanne est introduite ; elle s’avance, pâle, triste, les yeux baissés. Telle est sa délicate et fière susceptibilité, qu’à la vue de ces conseillers, de ces prêtres, de ces hommes, instruits de l’humiliant examen qu’elle vient de subir, Jeanne, quoique sa pureté virginale ait été constatée, se sent presque autant confuse que si on l’eût déclarée impure ! pour une âme aussi chaste, aussi élevée que la sienne, l’ombre d’un soupçon, même évanoui, devient un irréparable outrage ! Cependant, elle domine sa confusion, invoque l’appui de ses bonnes saintes ; et il lui semble entendre leur voix mystérieuse murmurer doucement à son oreille :

« – Va, fille de Dieu ! ne crains rien, le Seigneur est avec toi… Réponds sincèrement, hardiment ; tu sortiras triomphante de cette nouvelle épreuve… »

L’ÉVÊQUE DE CHARTRES fait signe à Jeanne de s’approcher de la table, et lui dit d’une voix grave, presque menaçante : – Jeanne, nous sommes envoyés de par le roi pour t’examiner et t’interroger… n’espère pas nous abuser par des mensonges.

JEANNE. – Je n’ai jamais menti !… je vous répondrai… Mais vous êtes de savants clercs, moi, je ne sais ni A ni B… je ne puis vous dire autre chose, sinon que j’ai mission de Dieu de faire lever le siège d’Orléans(52)

FRÈRE SÉGUIN, aigrement. – Tu prétends que le Seigneur Dieu t’envoie devers le roi ?… L’on ne doit point te croire ; les saintes Écritures défendent d’ajouter foi aux paroles des personnes qui se disent inspirées d’en haut, si elles ne donnent un signe certain de la divinité de leur mission… Or, quel signe peux-tu donner de la tienne ?

JEANNE. – Les signes que je donnerai seront mes actes.

MAÎTRE ÉRAUT. – Quels seront ces actes ?

JEANNE. – Ceux que je dois accomplir par la volonté de Dieu.

FRANÇOIS GARIVEL. – Mais, enfin, quels sont-ils, ces actes ?

JEANNE. – Ils sont au nombre de trois.

FRÈRE SÉGUIN. – Quel est le premier ?

JEANNE. – La levée du siège d’Orléans ; après quoi je chasserai les Anglais de la Gaule.

MAÎTRE ÉRAUT. – Ensuite ?

JEANNE. – Je ferai sacrer le dauphin à Reims.

FRÈRE SÉGUIN.