Au pied de ce talus, s’avançait de cinquante pieds environ dans la Seine une estacade de gros pieux serrés les uns contre les autres ; c’étaient les Palées du port de la Grève alors désert, et destinées à mettre les bateaux à l’abri des grandes eaux. Les deux Holkers, forçant de rames, naviguaient de façon à passer au large de l’estacade, lorsque sortant soudain de derrière ces palées où il s’était jusqu’alors tenu embusqué, un bateau parisien, monté par Eidiol, Guyrion, Rustique et plusieurs autres mariniers, se mit en travers des holkers north-mans, leur envoya une volée de flèches, jeta ses grappins sur l’un d’eux placé à sa portée (c’était celui de Gaëlo), puis, les nautonniers armés de coutelas, de piques, de haches, sautèrent résolument à l’abordage, tandis que le vieil Eidiol s’écriait : – Exterminez ces North-mans ! ils ont tué ma femme ! enlevé ma fille ! mais prenez vivants les deux chefs, ils nous serviront d’otages !

Lors de cette attaque imprévue, la belle Shigne et Gaëlo qui reçut une flèche barbelée au défaut de son brassard, se tenaient, selon la coutume, auprès du gouvernail ; ils se précipitèrent à l’avant du holker pour combattre, au moment où le vieil Eidiol s’écriait d’exterminer ces pirates ; mais à sa voix, une exclamation de surprise et de joie s’éleva du Holker des vierges-aux-boucliers, puis ces mots arrivèrent à l’oreille du doyen des mariniers : – Mon père ! mon père ! n’attaque pas ces guerrières ; celle qui les commande m’a protégée, elle me ramenait à Paris auprès de vous ! – Et Anne-la-Douce, debout au milieu du bateau, tendait ses bras à Eidiol.

– Guyrion ! Rustique ! bas les armes ! – s’écria le vieillard en tâchant d’apercevoir sa fille à travers la mêlée déjà engagée bord à bord ; – cessez le combat, Anne est dans le bateau de ces guerrières ! Bas les armes ! enfants, bas les armes !

Gaëlo, de son côté, irrité de sa blessure et ayant cédé à un premier mouvement d’ardeur belliqueuse pendant lequel il avait rendu coup pour coup aux Parisiens qui assaillaient son Holker, leur cria bientôt : – Ce combat est inutile, nous venons à Paris comme envoyés de Rolf !

Ces mots et surtout la voix d’Eidiol criant que sa fille se trouvait à bord du bateau des femmes pirates, firent cesser le combat ; après quelques blessures reçues de part et d’autre, la belle Shigne, toute frémissante encore de cette lutte interrompue, donna ordre à ses compagnes de déposer les armes, et Anne-la-Douce, tendant les bras vers Eidiol, lui cria : – Bénissez cette guerrière, ô mon père ! elle m’a protégée auprès de Rolf ; grâce à elle, j’ai échappé aux outrages des pirates !

– Voici une flèche que je regrette, car c’est moi qui te l’ai lancée, – disait en même temps Guyrion à Gaëlo, le voyant essayer en vain d’arracher le trait qu’il avait reçu dans la jointure de son brassard ; – maintenant je te reconnais, – poursuivit Guyrion, – tu es venu nous ouvrir les portes des cachots de l’abbaye de Saint-Denis.

Rustique-le-Gai, tenant encore son coutelas à la main et contemplant Simon qui, ôtant son casque, faisait laide grimace, en portant sa main à l’un des côtés de sa tête ensanglantée, Rustique-le-Gai ajouta : – Et moi, je regretterais aussi d’avoir abattu la moitié de l’oreille de ce North-man, si cette oreille, démesurément longue, n’eût pas dépassé son casque de trois doigts au moins ; mais le morceau qui reste me paraît encore très-suffisant.

– Vienne une autre rencontre ! – s’écria Simon-Grande-Oreille, en montrant le poing à Rustique, – c’est ta langue insolente que je couperai, moi, foi de Simon !

– Tu n’es donc pas plus North-man que moi, mon honnête pirate ? – reprit Rustique en reconnaissant à ce nom de Simon un compatriote, – alors, mon regret est plus vif encore, de te laisser avec une si ridicule inégalité d’oreilles, j’aurais dû les raccourcir toutes deux !

Simon ne répondit pas à cette nouvelle raillerie, occupé qu’il était à étancher le sang de sa blessure qu’il lavait avec de l’eau fraîche puisée dans son casque, tandis que son compère Robin-Mâchoire lui disait, en manière de consolation : – Si seulement nous avions ici un peu de feu, je ferais rougir la pointe de mon épée et je cicatriserais la plaie en un instant.

Quelques moments après ce court abordage, les grappins du bateau parisien étaient levés, Anne-la-Douce passant du Holker de la belle Shigne dans la barque d’Eidiol, lui racontait ainsi qu’à Guyrion et à Rustique, comment reprenant ses esprits, au milieu des pirates qui l’avaient conduite près de Rolf, et voyant entrer la guerrière, elle s’était jetée à ses pieds, la suppliant de la protéger ; comment Shigne, touchée de compassion, obtint de Rolf la liberté de la jeune fille, et la conduisit à son Holker, où elle était restée jusqu’au moment de sa rencontre inespérée avec son père. À son tour, celui-ci apprit à Anne que, désespéré de la voir prisonnière des North-mans, et sachant qu’ils envoyaient souvent quelques bâtiments légers en avant de leur flotte, il s’était embusqué derrière les palées du port de la Grève, dans l’espoir d’exterminer les pirates pour venger la mort de Marthe et prendre leur chef vivant, afin d’obtenir par échange la liberté d’Anne-la-Douce. Les deux Holkers et le bateau parisien débarquèrent leurs passagers sur le rivage, à quelque distance des remparts ; les North-mans devaient attendre le retour de Shigne et de Gaëlo, chargés de porter au Comte de Paris les volontés de Rolf. Au moment de quitter le bord de la rivière pour se diriger vers la cité, dans laquelle l’on ne pouvait entrer que par l’un des deux ponts défendus par des tours, Eidiol dit au pirate : – Crois-moi, toi et ta compagne, afin d’arriver plus sûrement jusqu’au palais du Comte de Paris, endossez par-dessus vos armures, la casaque à capuchon de deux de nos mariniers ; votre qualité de messagers de Rolf ne serait pas respectée par les guerriers du Comte ! Vous êtes braves, mais à quoi bon la bravoure lorsqu’on est deux contre cent ? Je vous guiderai jusqu’au palais ; là, vous demanderez l’un des officiers de Roth-bert, et vous pourrez accomplir votre mission.

– J’accepte ton offre, – répondit Gaëlo, après avoir échangé à voix basse quelques mots avec Shigne. – J’ai grandement à cœur de réussir dans la mission dont je suis chargé ; nous désirons arriver le plus promptement possible auprès du Comte de Paris.

– De plus, – ajouta Guyrion en s’adressant au pirate, – je t’ai blessé… je vois à la manière dont tu portes ton bras que tu souffres beaucoup ; le fer de ma flèche est resté dans la plaie. Entre dans notre maison avant de te rendre au palais, nous y panserons ta blessure. Encore une fois je regrette de te l’avoir faite ; car si la mort de ma pauvre mère est due aux North-mans, hier tu nous as délivrés de prison ainsi que mon père, et ta compagne a sauvé ma sœur des outrages de Rolf !

– J’accepte ton offre, – répondit le jeune homme. – Je l’avoue, souvent j’ai été blessé, mais jamais plaie ne m’a été autant douloureuse que celle-ci.

La belle Shigne et Gaëlo endossant deux casaques de mariniers, quittèrent le rivage, remontèrent la berge, et se dirigèrent vers le pont ; ils virent une grande lueur éclairer l’horizon vers le nord, et lutter avec éclat contre les derniers feux du soleil couchant. À mesure qu’ils se rapprochaient de la ville, ils entendaient un tumulte croissant ; bientôt ils se trouvèrent au milieu d’un grand nombre de serfs qui, se dirigeant en hâte vers la porte de la tour dont le pont était surmonté, apportaient dans la cité, sous la conduite des gens d’église, les richesses des lieux saints, incendiés par d’autres serfs révoltés : c’étaient des caisses remplies de numéraire, des ornements d’autels d’or et d’argent, des statues de pareil métal, des châsses massives, éblouissantes de pierreries, et souvent si pesantes, que cinq ou six serfs suffisaient à peine au transport de ces magnifiques reliquaires ; ils contenaient rarement un corps de saint en entier ; mais seulement une jambe, un pied, un pouce, une dent, dont l’exploitation miraculeuse rapportait de grosses sommes aux églises. Les prêtres accompagnaient ces très-fructueuses reliques, en poussant des gémissements désespérés ou de furieuses malédictions contre les North-mans. Parmi la foule, les uns s’agenouillant dévotement se lamentaient non moins que les gens d’église ; mais peu soucieux d’aller aux remparts, ils répondaient aux instances des prêtres : – Que la volonté de Dieu s’accomplisse ! il veut éprouver ses serviteurs indignes par les ravages des North-mans ; acceptons l’épreuve avec résignation ! – En vain, de leur côté, les hommes du Comte de Paris parcouraient les rues à cheval en criant : – Aux armes, vilains ! aux armes, citadins ! aux remparts ! – Mais vilains et citadins rentraient prestement dans leurs maisons de bois, dont ils barricadaient les portes, laissant les hommes du Comte et de l’évêque s’occuper de la défense de la ville, et à coups de manches de lances, forcer les serfs à traîner sur les murailles les matériaux destinés à écraser les assiégeants. Après avoir traversé quelques rues tortueuses, Eidiol et ses compagnons arrivèrent à la porte de la demeure du nautonnier ; Guyrion l’ouvrit, et Gaëlo, la belle Shigne, Rustique, Anne et son père, se trouvèrent réunis dans la salle basse du logis, dont on ferma prudemment les volets. – Ma sœur, allume une lampe, – dit Guyrion, donne-moi de l’eau dans un vase, puis du linge et de l’huile. – S’adressant alors à Gaëlo, tandis qu’Anne s’occupait des préparatifs du pansement : – Et toi, déboucle ton brassard ; lorsque ta plaie, lavée avec de l’eau fraîche, sera recouverte d’un linge imbibé d’huile, tu souffriras moins.

Gaëlo quitta son armure, releva la manche de son justaucorps de renne, et mit à nu son bras ensanglanté. Le pirate, en voulant retirer de sa blessure, à travers la jointure du brassard, la flèche acérée, en avait brisé la hampe à fleur de peau, le fer seul restait enfoncé dans la chair ; cependant, comme il saillissait quelque peu en dehors, il fut possible à Eidiol de le saisir et de l’enlever avec autant de précaution que de dextérité. Cette extraction causa un grand soulagement à Gaëlo ; le vieillard, avant de placer l’appareil sur la plaie, prit un linge imbibé d’eau, afin de laver les abords de la blessure couverte de sang caillé jusqu’à la moitié du bras. Soudain il poussa un cri de surprise, recula d’un pas, regarda Gaëlo avec anxiété ; puis lui dit vivement : – Ces deux mots gaulois : Brenn-Karnak, que j’aperçois maintenant sur ton bras, qui les a tracés ?

– Mon père… peu de temps après ma naissance.

– Ton père… où est-il ?

– Ainsi que ma mère, il est mort !

– Il n’était pas de la race des North-mans ?

– Non, quoiqu’il combattît avec eux et qu’il fût né dans leur pays, il était de race gauloise… Mais pourquoi ces questions ?

– De grâce, réponds ! Et le père de ton père, à quelle époque est-il allé habiter la terre des North-mans ?

– Vers le milieu du siècle passé.

– Ce fut peu de temps après une nouvelle et grande insurrection de Bretagne ? lorsque, pour combattre les Franks, les Bretons s’allièrent aux North-mans établis à l’embouchure de la Loire ?

– Oui, – répondit Gaëlo de plus en plus surpris ; – mais comment sais-tu cela ?

– Réponds-moi ! – s’écria Eidiol, tandis que son fils, sa fille, Rustique-le-Gai et la belle Shigne, écoutaient le vieillard avec intérêt ; – quels événements ont amené ton père à se joindre aux North-mans ?

– Après la nouvelle insurrection de l’Armorique, d’abord triomphante, la division se mit entre les chefs bretons ; la famille même de mon grand-père se divisa, et ensuite d’une violente dispute avec l’un de ses frères, ils tirèrent l’épée l’un contre l’autre ; blessé dans ce combat fratricide, mon aïeul quitta pour toujours la Bretagne et s’embarqua avec une troupe de North-mans qui abandonnaient l’embouchure de la Loire pour retourner en Danemark, où mon père et moi nous sommes nés !

– Ton aïeul se nommait Ewrag, – reprit Eidiol avec une émotion croissante, – il était fils de Vortigern, l’un des plus vaillants compagnons de guerre de Morvan, qui résista héroïquement à l’armée de Louis-le-Pieux, dans les landes, les marais et les rochers de l’Armorique ? Vortigern avait pour aïeul Amaël, qui vécut cent ans et plus, refusa d’être le geôlier du dernier rejeton de Clovis, et fut l’un des chefs de bandes de Karl-Martel, l’ancêtre de Karl-le-Grand, dont le descendant règne aujourd’hui sous le nom de Karl-le-Sot ?

– Vieillard ! – s’écria Gaëlo, – qui a pu ainsi t’instruire des aventures de ma famille ?

– Ta famille est la mienne, – répondit Eidiol, dont les yeux devinrent humides ; – je suis, comme toi, descendant de Joel, le Brenn de la tribu de Karnak ; mon grand-père était le frère de ton aïeul.

– Que dis-tu ? – s’écria Gaëlo, – tu serais comme moi de la race de Joel ?

– Ces mots que tu portes tracés sur le bras en signe de reconnaissance, je les porte aussi, de même que mon fils et ma fille, selon la sage recommandation de Ronan-le-Vagre, l’un de nos aïeux, qui vivait au temps de l’infâme Brunehaut !

– Nous sommes parents ! – s’écrièrent à la fois Anne et Guyrion en se rapprochant de Gaëlo, tandis que la belle Shigne et Rustique-le-Gai écoutaient cet entretien avec un redoublement d’intérêt.

– Nous sommes parents ! – reprit Gaëlo en regardant tour à tour le vieillard, Anne et Guyrion ; puis s’adressant à la guerrière : – Shigne, je te rends doublement grâce ; la jeune fille si généreusement sauvée par toi était de ma famille !

– Quelle soit pour moi une sœur, – dit la guerrière de sa voix grave et sonore ; – mon épée la défendra toujours.

– Et à défaut de votre épée, belle héroïne, – reprit Rustique, – mes deux bras joints à ceux de maître Eidiol et de mon ami Guyrion protégeront Anne-la-Douce, quoique le malheur ait voulu que depuis hier, nos trois paires de bras ne l’aient guère protégée, la pauvre chère fille !

– Bon père, – dit Gaëlo à Eidiol, – quand avez-vous donc quitté la Bretagne pour venir à Paris ?

– Ton grand-père Ewrag avait deux frères, comme lui fils de Vortigern. Lorsque, après la funeste division dont tu parles, Ewrag abandonna la Bretagne pour aller vivre au pays des North-mans, ses deux frères Rosneven et Gomer (ce dernier fut mon aïeul), continuèrent d’habiter le berceau de notre famille près des pierres sacrées de Karnak ; NOMINOÉ, JUDICAËL, ALLAN-BARBE-FORTE, furent tour à tour élus chefs des chefs de l’Armorique. Plus d’une fois encore les armées des Franks envahirent et ravagèrent notre pays, mais ils ne purent y établir leur conquête d’une manière durable comme dans les autres contrées de la Gaule ; l’influence druidique, quoique abâtardie par la religion de Rome, entretint longtemps encore chez nos rudes populations la haine de l’étranger. Malheureusement les perfides conseils des prêtres catholiques et l’exemple des seigneurs Franks devenus peu à peu possesseurs héréditaires des terres et des hommes de la Gaule par droit de conquête, eurent une funeste influence sur les chefs Bretons ; élus d’abord librement par les peuples libres, selon l’antique coutume gauloise, en raison de leur vaillance, de leur sagesse et de leur patriotisme, ces chefs nés de l’élection voulurent rendre le pouvoir héréditaire dans leurs familles, ainsi que les seigneurs des autres provinces de la Gaule. Les prêtres catholiques, indignes complices de toutes les usurpations dont ils profitent, s’unissant aux chefs bretons pour accomplir cette grande iniquité, prêchèrent, ordonnèrent aux peuples la soumission à ces nouveaux seigneurs, comme ils avaient ordonné la soumission envers Clovis et ses Leudes. Peu à peu la Bretagne perdit ses vieilles franchises ; les chefs, jadis électifs et temporaires, devenus héréditaires et tout-puissants à l’aide du clergé, enlevèrent aux peuples bretons presque toutes leurs libertés ; mais du moins jamais ils ne les ont jamais jusqu’ici dégradés à ce point de les traiter en esclaves ou en serfs ; l’on peut encore se croire libre en Bretagne ! si l’on songe à l’horrible servitude qui écrase les autres pays de la Gaule, et du moins les seigneurs de l’Armorique sont de race bretonne. Des deux frères de ton aïeul, l’un, Gomer, mon grand-père, vit avec douleur et indignation cet abaissement de la Bretagne. Gomer était marin ; établi au port de Vannes comme Albinik, l’un de nos ancêtres qui, par point d’honneur, épargna la flotte de César, Gomer naviguant sur toute la côte, faisait souvent les voyages d’Angleterre et portait aussi des chargements jusqu’aux embouchures de la Somme et de la Seine. Une fois il remonta ce fleuve jusqu’à Paris ; son métier de marin le mit en rapport avec le doyen de la corporation des nautonniers parisiens qui avait une fille belle et sage ; mon aïeul l’épousa ; mon père naquit de cette union. Il fut marinier, j’ai fait le même métier ; ma vie a été jusqu’ici aussi heureuse qu’elle peut l’être en ces tristes temps. Deux malheurs seulement m’ont frappé : la mort de ma pauvre Marthe que j’ai perdue hier, et il y a trente ans, la disparition d’une fille, la première née de mes enfants ; elle s’appelait Jeanike.

– Et comment a-t-elle disparu ?

– Ma femme, alors malade, avait confié cette enfant à l’une de nos voisines pour la conduire à la promenade hors de la Cité. Jamais nous n’avons revu ni la voisine ni ma fille.

– Heureusement les enfants qui vous restent ont dû rendre votre chagrin moins cruel, – reprit Gaëlo ; – et n’avez-vous pas eu de nouvelles de la branche de notre famille restée en Bretagne ?

– Hélas ! aucune ; seulement j’ai su par un voyageur que la tyrannie des seigneurs bretons héréditaires sur ces hommes qu’ils appellent leurs sujets et qui autrefois étaient leurs égaux, s’augmente de plus en plus ; les prêtres catholiques dominent en maîtres dans l’Armorique. Cette double oppression me semble à moi encore plus inique que celle des Franks ; n’est-il pas odieux de subir l’oppression des hommes de notre race, de notre sang ? Aussi, ai-je comme mon père perdu tout espoir et tout désir de retourner en Bretagne !

– Eidiol, – reprit Gaëlo en ramassant le fer de la flèche que le vieillard avait laissé tomber à terre, après l’avoir extrait de la blessure du jeune pirate, – gardez ce fer de flèche, il augmentera le nombre des reliques de notre famille, si vous retrouvez jamais ceux de nos parents qui, habitant peut-être encore la Bretagne, ont conservé sans doute les légendes de nos aïeux.

Un tumulte, d’abord lointain, puis de plus en plus rapproché, interrompit Gaëlo. Bientôt l’on entendit le pas des chevaux et le cliquetis des armures.