– Voici le cortège, s’écria Rustique, – il
débouche dans la place, des sonneurs de clairons à cheval ouvrent
la marche, puis viennent des cavaliers franks, armés de lances aux
banderoles flottantes ; ils portent suspendus à leur cou des
boucliers peints et dorés. Ah ! voici les pirates north-mans
couverts de leurs armures, et l’étendard du vieux Rolf ; on
voit sur ce drapeau un corbeau de mer les serres et le bec ouverts.
Pousse ton cri de triomphe, vieux corbeau de mer ! ta proie
est belle : une province de la Gaule et la fille d’un
roi !
– Ah ! Rustique, pouvez-vous
plaisanter ainsi ! – dit Anne-la-Douce d’un ton de triste et
affectueux reproche, – pauvre petite Ghisèle ! épouser ce
vieux monstre ! La voyez-vous d’ici, Rustique, cette
infortunée ?
– Non, pas encore ; voici maintenant
les femmes pirates ; oh ! qu’elles sont fières sous leurs
armures de mailles d’acier ayant au bras leurs boucliers couleur
d’azur ! Ce sont maintenant les seigneurs de la suite du Comte
de Paris, avec leurs longues robes brodées d’or et garnies de
fourrures. Tiens, ils s’arrêtent soudain ; ils se retournent
avec inquiétude ; que se passe-t-il donc ? – Et
Rustique-le-Gai s’appuyant à la muraille se dressa sur la pointe
des pieds afin de voir de plus loin ; au bout d’un instant il
s’écria : – Oh ! la pauvrette ! Anne, vous aviez
raison, quoique fille de roi elle est à plaindre.
– Est-ce de Ghisèle que vous parlez,
Rustique ? – dit la jeune fille, – que lui est-il
arrivé ?
– Elle s’avançait soutenue sur le bras de
Karl-le-Sot, plus pâle qu’une morte sous sa robe blanche de
fiancée, lorsque soudain les forces lui ont manqué tout à fait, et
sans plusieurs seigneurs qui l’ont soutenue elle tombait évanouie
sur le sol.
– Ah ! mon père, – dit Anne-la-Douce
à Eidiol, les yeux humides de larmes, – le sort de cette infortunée
n’est-il pas affreux ?
– Affreux, oui, et moins affreux pourtant
que le sort de ces milliers de femmes de notre race qui ont été
violentées par les seigneurs franks ou les gens d’église leurs
complices ! Sortant de la couche de leurs maîtres, elles
retournaient aux écrasants labeurs de la servitude, avilies,
battues, achetées, vendues comme bétail, mourant à la peine ou sous
les coups, ignorant les saintes joies de la famille, dépravées,
abruties par l’esclavage. Telle est, depuis des siècles, telle est
encore la condition de ces infortunées. Va, mon enfant, pour une
fille de roi qui souffre, combien de milliers de femmes de notre
race jadis libre, sont mortes dans les tortures de la chair et de
l’âme !
– Hélas ! mon père, cette pauvre
fille de roi est innocente de ces maux !
– Ma sœur, – reprit Guyrion, – et ces
milliers de femmes dont te parle mon père, avaient-elles mérité
leurs tortures ?
– Maître Eidiol, – reprit Rustique, qui,
toujours debout sur la borne, était resté étranger à l’entretien
précédent, – la fille de Karl-le-Sot a repris ses sens, elle
s’avance soutenue par son père et par le Comte de Paris. Voici
Rolf ; il porte, sur son armure de guerre, une longue chemise
blanche…
– Symbole de l’innocence qu’il doit au
baptême, – reprit Guyrion en haussant les épaules. – C’est d’un bon
exemple pour les scélérats : souillez-vous de tous les crimes,
endossez par là-dessus une chemise blanche, tout est dit, vous êtes
absous.
– Mais l’Église vend ces chemises-là plus
cher que les marchands de toile, – répondit Rustique-le-Gai ;
puis, continuant de regarder au loin, il reprit : – Derrière
Rolf viennent notre parent Gaëlo et la belle Shigne ; le
cortège se remet en marche vers la basilique. Le clergé catholique
ayant à sa tête l’archevêque Francon, sort et s’arrête sous le
portail. Ah ! maître Eidiol, je suis ébloui, les pierreries
étincellent sur les chappes d’or ! sur les mitres d’or !
sur les crosses d’or ! ce n’est qu’or, rubis, perles,
émeraudes ! la grande croix que l’on porte devant le clergé
est aussi d’or, elle ruisselle de pierres précieuses !
– Ton sang seul ruisselait sur ta croix
de bois, instrument de ton supplice, ô jeune homme de
Nazareth ! – dit Eidiol, – ô Jésus ! ouvrier
charpentier ! l’ami des pauvres en haillons, toi que notre
aïeule Geneviève a vu mettre à mort à Jérusalem par les princes des
prêtres, non moins splendidement vêtus que ces évêques !
– Ah ! que de pain pour ceux qui ont
faim ! que de vêtements pour ceux qui ont froid, l’on
achèterait avec la mitre et la chappe d’or de l’un de ces nouveaux
princes des prêtres ! – dit Rustique-le-Gai ; – mais ces
pieux fainéants ne connaissent d’autres privations que celles
qu’ils font subir aux pauvres gens ! – Puis, prêtant
l’oreille, Rustique ajouta : – Entendez-vous, maître Eidiol,
entendez-vous le chant du clergé ? le son des orgues
portatives ? les clairons sonnent et résonnent ! les
cloches redoublent de fracas. Le roi, sa fille et le vieux Rolf
entrent sous le portail de la basilique ; les encensoirs d’or
fument ! se lèvent et s’abaissent, leur vapeur embaumée monte
vers le ciel !
– Les voilà toujours ces prêtres de Rome
– s’écria le vieillard, – ils ont encensé Clovis, ils ont encensé
le père de Karl-le-Grand qui détrôna la race de Clovis ! et
aujourd’hui voilà qu’ils encensent Rolf le pirate, Rolf le
meurtrier, Rolf le sacrilège !
– Que voulez-vous, maître Eidiol ! –
dit Rustique-le-Gai, – les prêtres encenseraient Satan, si Satan
payait l’encens !
*
* *
Le mariage de Rolf et de Ghisèle a été béni,
consacré dans la somptueuse basilique de Rouen par l’archevêque
Francon ; l’union de Shigne et de Gaëlo, quoiqu’ils n’eussent
aucun souci de cette bénédiction, a aussi été bénie par ce
prélat ; la cérémonie à peine achevée, Ghisèle, succombant à
une nouvelle défaillance, a été emportée dans les bras de ses
femmes ; Rolf, Karl-le-Sot, le Comte de Paris et les seigneurs
de leur suite se sont rendus dans l’immense salle du chapitre de
l’archevêché de Rouen. Karl-le-Sot portant sur sa tête la couronne
d’or des rois franks, à sa main le sceptre et traînant le long
manteau royal, monte et se tient debout sur une estrade élevée de
quelques marches ; à la droite de Karl et debout aussi, se
tiennent l’archevêque de Rouen et les évêques des diocèses
voisins ; à la gauche de Karl est Roth-bert, Comte de Paris,
duc de France, ainsi que les comtes et vicomtes des pays de
Montlhéry, d’Argenteuil, de Pontoise et
autres seigneurs franks parmi lesquels on distingue Burchart,
seigneur du pays de Montmorency, remarquable par sa grande
taille ; au bas de l’estrade, en face du roi et de cette
assemblée de seigneurs et de prélats, se trouve Rolf accompagné de
Gaëlo, de la belle Shigne et des principaux chefs north-mans. Le
vieux pirate porte toujours la chemise blanche de néophyte
par-dessus son amure ; sa physionomie est triomphante,
insolente et narquoise ; Karl-le-Sot, triste, abattu, essuie
ses larmes à la dérobée ; cet homme, malgré son imbécile
faiblesse, cet homme aime sa fille, et le sort de Ghisèle
l’épouvante.
Radieux d’échapper aux nouveaux désastres que
Rolf menaçait de déchaîner sur la Gaule, le Comte de Paris,
l’archevêque de Rouen, les autres seigneurs et prélats, savourent
l’abjection de ce roi dont la lâcheté les sauve ; mais si
avili, si vain que soit son titre, ils le jalousent encore.
L’archevêque Francon descend de l’estrade d’un pas majestueux,
s’approche de Rolf et lui dit d’une voix solennelle :
– Karl, roi des Franks, a bien voulu
t’octroyer à toi et à tes hommes tous les champs, forêts, villes,
bourgs, villages, habitants et bétail de la Neustrie…
– Si le roi que voici ne m’eût pas donné cette
province, je l’aurais prise, – dit Rolf en interrompant le prélat,
– et à ce sujet, un mot, Francon ? Tu m’as baptisé moi et mes
champions, nous nous sommes (et tu sais pourquoi) laissé mettre
tout nus dans de grands cuveaux et asperger d’eau salée, vraie
saumure d’océan, après quoi nous avons revêtu par-dessus nos
armures une longue chemise blanche.
– C’est le sacré symbole de la pureté de
ton âme, lavée de toutes ses souillures par la sainte immersion du
baptême, – reprit l’archevêque d’une voix grave, – désormais tu es
catholique et fils de l’Église de Rome !
– C’est dit, mais tu nous a fait payer
fort cher tes cuveaux, tes chemises blanches et ton eau salée, car
tu m’as demandé en retour pour l’Église toutes les terres des
abbayes de mon duché de North-mandie ; or c’est presque le
quart de ma province !
– Les biens de l’Église sont les biens de
Dieu ! – répondit avec hauteur l’archevêque, – ce qui est à
Dieu est à Dieu, nulle puissance humaine ne peut s’en
emparer !
– Prêtre ! – s’écria Rolf en
fronçant les sourcils et regardant Francon de travers, – ne me
donne pas l’envie de chasser tes tonsurés de leurs abbayes pour te
prouver une fois de plus que Rolf et ses champions prennent ou
gardent ce qui appartient à ton Dieu, quand ce qui appartient à ton
Dieu plaît à Rolf et à ses champions !
– Au diable l’homme au bonnet d’or à deux
pointes ! – s’écrièrent quelques-uns des pirates nouvellement
baptisés ; – quoi ! nos navires regorgent encore des
richesses pillées par nous dans les abbayes et les
basiliques ! et ce prêtre vient nous parler de ce que son Dieu
veut ou ne veut pas ! Par le cheval blanc de notre Dieu
Thomarog, qui en vaut bien un autre ! est-ce qu’il nous prend
pour des ânes, ce prêtre-là ?
– Je vais lui répondre, mes champions, –
reprit Rolf en se tournant vers ses pirates, et il dit à
l’archevêque de Rouen : – Le vieux Rolf n’écume pas la mer
depuis cinquante ans et plus, sans avoir appris que celui-là est un
maître-sot qui donne une baleine pour un hareng ! Donc si j’ai
consenti à recevoir le baptême et à laisser en retour leurs abbayes
à tes prêtres, c’est que tu m’as dit ceci : – « Toi et
tes hommes, faites-vous catholiques, et l’Église menacera des
flammes de l’enfer les serfs de la Neustrie s’ils ne se résignent
pas à t’obéir et à travailler pour toi et pour tes hommes. »
Je t’ai cru, Francon, parce que, vous autres gens d’église, vous
êtes, je le sais, sans pareils pour châtrer les peuples ;
voilà l’histoire de mon baptême ; maintenant tu viens me
menacer au nom de ton Dieu, je reprends mes dons, reprends ta
chemise, – et il la dépouilla et la jeta aux pieds du prêtre ;
– je m’en taillerai à ma guise, et des culottes aussi, dans les
nappes d’autel de ton Dieu !
– Rolf, – dit l’archevêque, afin
d’apaiser le pirate, – la lumière de la foi n’a point encore
suffisamment éclairé les ténèbres où le paganisme avait plongé ton
esprit ; je ne te menace pas… je serai fidèle à nos
conventions.
– Alors, c’est dit, – reprit le
pirate ; – donnant, donnant : si tes prêtres me servent
bien et utilement, ils garderont leurs terres, seulement je veux
ravoir par ailleurs les biens que je laisse à tes abbés. – Et
s’adressant au roi qui, indifférent à cet entretien, restait muet,
sombre et affligé : – Karl, tu m’as donné Ghisèle et la
Neustrie, ce n’est point assez, la fille d’un roi doit être plus
royalement dotée. Ma duché de North-mandie confine à l’ouest la
Bretagne, je veux aussi posséder cette province[24].
– Tu la veux ! – s’écria
Karl-le-Sot, sortant pour la première fois de son morne abattement,
et témoignant une sorte de joie amère – Ah ! tu veux la
Bretagne ! sois satisfait, je te la donne de grand cœur, cette
gracieuse province… Va, Rolf, vas-en prendre possession, et cela le
plus tôt possible… Ce sera un beau jour pour moi que celui où
j’apprendrai que tu as mis le pied dans ce doux pays… Oui… oui,
Rolf, crois-moi, de grand cœur je te la donne, cette docile et
paisible Armorique !
Le vieux pirate, assez surpris de
l’empressement du roi à lui faire une cession si considérable, se
retourna vers ses hommes. Gaëlo lui dit à demi-voix :
– C’est un piège… Karl t’accorde ainsi
facilement le pays des Bretons parce qu’il est imprenable.
– Il n’y a rien d’imprenable pour moi et
pour vous, mes vaillants champions !
– Rolf, les Français, depuis six cents
ans, n’ont jamais pu s’établir en cette rude et indomptable
contrée ; plusieurs fois ils l’ont envahie, vaincue… jamais
ils ne l’ont soumise !
– Les North-mans dompteront ce que les
gens français n’ont pu dompter.
– Encore une fois, prends garde, – dit
Gaëlo. – L’Armorique sera le tombeau de tes plus vaillants
soldats.
Le vieux pirate haussa les épaules avec
impatience, et faisant deux pas vers le roi : – Ainsi, Karl,
cette province est à moi… c’est dit ?…
– Oui… oui, elle est à toi… et grand bien
te fasse, duk de North-mandie et de Bretagne !
– Rolf, – reprit Gaëlo à demi-voix, – une
dernière fois, écoute mes paroles, renonce à tes prétentions sur
l’Armorique… elles te seraient fatales…
– Assez ! – répondit le pirate avec
hauteur. – Rolf veut ce qu’il veut !
– Et moi, je te dis ceci, – reprit
fièrement Gaëlo : – De ce jour tu ne me compteras plus parmi
tes hommes…
Le chef north-man allait demander au jeune
guerrier la cause de cette brusque résolution, lorsque l’archevêque
de Rouen, s’adressant au vieux pirate, lui dit : – Karl t’a
investi de la souveraineté des duchés de North-mandie et de
Bretagne, tu dois prêter foi et hommage à Karl, roi des Franks,
comme à ton seigneur suzerain.
– Oh ! oh ! à quoi bon
ceci ?
– C’est l’usage… Ton investiture ne sera
complète qu’après cette formalité.
– Allons, soit ; mais
dépêchons ; car j’ai faim et grand’hâte d’aller rejoindre ma
femme… Elle m’affriande fort cette royale fillette !
– Rolf, répète après moi la formule
consacrée, – dit l’archevêque de Rouen ; et il prononça les
paroles suivantes, que le chef north-man redit à mesure après
lui : « – Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
indivisible Trinité, moi, Rolf, duk de North-mandie et de Bretagne,
je jure foi et hommage à Karl, roi des Franks, je jure de lui
garder la fidélité la plus entière, de lui prêter appui en tout, de
ne jamais soutenir à son préjudice ses ennemis par mes armes. Je
jure ceci en présence de la Majesté divine et des âmes des
bienheureux, espérant la bénédiction éternelle en récompense de ma
fidélité, Amen ![25] »
Karl-le-Sot avait écouté ce serment de foi et
d’hommage avec une sombre amertume, sachant par expérience la
vanité de ces formules.
– Est-ce tout ? – demanda le pirate
à l’archevêque ; – si c’est tout je vais aller souper et
embrasser ma femme.
– Il reste une dernière formalité à
remplir, – reprit l’archevêque. – Tu dois, Rolf, en signe de
respect, baiser le pied du roi[26].
Le pirate croyant avoir mal entendu le prélat,
lui dit, après un premier moment de surprise : – Répète donc
tes paroles…
– Je t’ai dit que, selon l’usage, tu
devais, en signe de respect, baiser le pied du roi.
À ces mots de l’archevêque de Rouen, il y eut
parmi les North-mans une explosion de huées, d’imprécations, de
menaces. La seule pensée de l’acte humiliant que l’on osait exiger
de leur chef les révoltait. Rolf, dont le visage s’était empourpré
de fureur, avait répondu à la proposition de Francon par un geste
si menaçant, que l’archevêque, effrayé, s’était vivement
reculé ; mais après un moment de réflexion, le pirate, calmant
d’un signe les cris tumultueux de ses hommes, se rapprocha de
l’archevêque, et lui dit d’un air sournois et farouche : –
Ainsi… je dois baiser le pied de Karl ?
– Oui, l’usage veut que tu donnes au roi
cette marque de respect.
– Mes champions, – dit le chef north-man
à ses pirates en leur faisant un signe d’intelligence, – Rolf va,
selon l’usage, prouver la grandeur de son respect pour le roi des
Français. – Puis, s’avançant gravement vers Karl, il lui dit :
– Allons, donne ton pied, que je le baise…
Le pauvre sot, toujours debout sur son
estrade, au bas de laquelle se trouvait Rolf, lui tendit son pied
droit ; mais le vieux bandit, saisissant, à la hauteur de la
cheville, la jambe que le roi lui tendait, la tira si violemment à
lui, que, perdant l’équilibre, Karl-le-Sot tomba tout de son long
et à la renverse sur l’estrade[27], tandis
que Rolf, riant de son gros rire, s’écriait :
– Voilà comment le duk de Normandie et de
Bretagne témoigne son respect au roi des Franks !
La joviale brutalité du pirate fut accueillie
par les éclats de rire et les huées des North-mans. Les seigneurs
franks et les prélats, loin de songer à venger l’outrage de leur
roi, de qui Rolf venait d’épouser la fille, restèrent muets,
immobiles, et souriant de la honte de Karl[28]. Gaëlo
vit ce descendant de Karl, le grand empereur, chercher à se
relever, pleurant d’humiliation et de douleur, car, dans sa chute,
il s’était blessé à la tête… son sang coulait…
*
* *
Eidiol, son fils, sa fille et Rustique-le-Gai,
revenus de Rouen depuis deux jours, étaient réunis le soir dans
leur pauvre maison de Paris. Plus que jamais ils s’apercevaient du
vide que laissait au foyer domestique la mort de Marthe, la bonne
ménagère. La rue est silencieuse, la nuit noire ; on frappe à
la porte, Rustique-le-Gai va ouvrir, et voit entrer, portant des
manteaux par-dessus leurs armures, Gaëlo et la belle Shigne. Le
vieux nautonnier ne s’était pas rencontré avec les deux jeunes gens
depuis la nuit où, ayant signifié au Comte de Paris les volontés de
Rolf, ils étaient tous deux revenus attendre, dans la maison
d’Eidiol, le retour du Comte Roth-bert, parti en hâte pour
Compiègne, afin d’instruire Karl-le-Sot des ordres du pirate.
– Bon père, – dit Gaëlo à Eidiol, – nous
venons, ma femme et moi, te faire nos adieux et t’apprendre une
nouvelle qui réjouira ton cœur.
– Que veux-tu dire ?
– Je t’ai entendu déplorer la disparition
de ta fille, la première née de tes enfants ; elle n’est pas
morte… je l’ai vue…
– Ma fille ! – s’écria le vieillard
avec stupeur en joignant les mains. – Quoi ! Jeanike
vivrait ! tu l’as vue ?
– Notre sœur ! – dirent à la fois
Anne et Guyrion. – Oh ! dis, où est-elle ? où
est-elle ?
– Auprès de Ghisèle, femme de Rolf, duk
de North-mandie.
– Jeanike ! il serait vrai ? –
reprit Eidiol avec un bonheur et une surprise croissant. – Mais
comment se trouve-t-elle auprès de Ghisèle ?
– Ta fille, selon ses vagues souvenirs, a
été enlevée toute petite par ces mendiants qui volent les enfants
pour en trafiquer.
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