– Et il est devenu comte de Chartres et maître du pays chartrain. »

– Par le diable et ses cornes ! vive Hastain ! tout est possible, – s’écria Simon-Grande-Oreille, et il joignit sa voix retentissante à celles des pirates qui, frappant de leurs rames la file de boucliers rangés sur les flancs du holker, chantaient à tue-tête : – « Hastain le pirate a dit : Je veux bien – et il est devenu Comte au pays chartrain ! »

– Quoi ! un serf gardeur de pourceaux est devenu Comte et maître d’une province ! – s’écria Gaëlo, – lorsque ses hommes eurent achevé leur chant de guerre ; – et vous croyez impossible à quinze champions résolus de s’emparer de l’abbaye de Saint-Denis ? l’abbaye la plus riche de la Gaule ! Quoi ! vous reculez ?

– Non, non, – crièrent les pirates enflammés par l’espoir du pillage, en frappant de nouveau à coups de rames les boucliers de fer suspendus aux flancs du holker : – à Saint-Denis ! à Saint-Denis !

La voix tonnante de Lodbrog-le-Géant dominait la voix des North-mans ; dressé sur son banc, faisant d’une seule main tournoyer sa longue rame aussi facilement qu’il eût manié un roseau, il criait à tue-tête : – À Saint-Denis ! à Saint-Denis ! – S’enivrant ainsi de ses propres clameurs, ses traits farouches exprimèrent bientôt une exaltation qui devint une sorte de délire : ses yeux roulèrent rapidement dans leur orbite, ses lèvres se blanchirent d’écume ; puis, poussant soudain un cri terrible, il fit ployer entre ses mains sa rame et la brisa en deux comme une baguette. À cette preuve de force surhumaine, les North-mans, qui avaient jusqu’alors observé Lodbrog avec anxiété, s’écrièrent : – Gare à nous ! le voilà berserke ! – Et avant que Gaëlo ait pu s’opposer à leurs mouvements, les pirates, se jetant sur le géant encore debout sur son banc, réunirent leurs efforts et le précipitèrent dans la Seine en s’écriant : – Il va nous tuer tous !

Gaëlo avait fait ancrer son bateau à peu de distance d’une des îles boisées baignées par la rivière ; Lodbrog, renversé, tomba entre le holker et le rivage ; mais d’un bond il sortit de l’eau peu profonde en cet endroit, et atteignit la terre en hurlant : – À Saint-Denis ! à Saint-Denis ! – La frénésie décuplant alors la force prodigieuse de ce géant, il déracine un peuplier de vingt pieds de hauteur ; et, armé de cet arbre comme d’une massue, il fracasse les arbres qui se trouvent à sa portée ; les plus grosses branches volent en éclats, les troncs se brisent et le furieux vertige du colosse s’augmente encore ; les ruines d’une maison à demi couverte de sa toiture s’élevaient non loin du rivage, ces murailles arrêtent la course insensée du berserke ; à cet obstacle, sa rage redouble, le tronc de peuplier lui sert de bélier, ses coups réitérés ébranlent un pan de muraille ; elle s’écroule avec fracas ; une partie de la toiture retenue par le scellement des charpentes dans le mur opposé restait encore debout ; le géant gravit les décombres, s’accroche des deux mains aux poutres du toit, les secoue avec fureur en hurlant toujours : – À Saint-Denis ! à Saint-Denis ! – Les poutres cèdent, s’affaissent avec un craquement formidable, la toiture vermoulue à demi couverte de tuiles s’effondre sur Lodbrog, un moment il disparaît au milieu d’un tourbillon de poussière ; mais ce nuage dissipé, le géant, protégé par son casque et son armure de fer, reparaît au-dessus de cet entassement de ruines, regarde autour de lui, et ne voyant plus rien à détruire, se baisse, arrache des solives, des poutres, saisit des pierres énormes et les lance autour de lui avec la force irrésistible de ces machines de guerre appelées catapultes ; mais tout à coup le berserke pousse un rugissement semblable à celui d’un lion, lève ses grands bras vers le ciel, son corps se raidit, reste un instant immobile, comme une gigantesque statue de fer ; puis, ainsi qu’un colosse renversé de sa base, Lodbrog vacille, tombe, et tout d’une pièce il roule du haut de ce monceau de décombres au bas duquel il reste gisant, inanimé comme un cadavre. Gaëlo et les pirates north-mans ne furent pas surpris de la frénésie de Lodbrog ; ils savaient que plusieurs guerriers du Nord étaient sujets à ces emportements, terribles comme la furie d’un insensé, sorte d’épilepsie particulière aux berserkes, et dont l’attente ou l’ardeur du combat, la colère, l’ivresse provoquaient les accès[18] ; mais Simon-Grande-Oreille et Robin-Mâchoire assistant pour la première fois à un pareil spectacle, le contemplaient avec surprise et terreur. Simon voyant de loin Lodbrog étendu raide, inanimé, s’écria : – Heureusement, le voici mort !

– Les North-mans avaient raison, – repris Robin ; – de pareils enragés sont aussi dangereux pour leurs compagnons que pour l’ennemi. Si ce berserke, ainsi qu’ils appellent ces furieux, était demeuré au milieu de nous dans le holker, il nous eût assommés ou noyés tous !

– Après quoi, il aurait lancé par-dessus sa tête le bateau comme un sabot, car il lançait ainsi que de petits palets, des poutres et des pierres qui certes devaient peser trois ou quatre fois le poids d’un homme, – ajouta Grande-Oreille. – Que de forces perdues ! quelle belle tuerie ! quel ravage aurait fait un pareil compagnon dans l’abbaye de Saint-Denis où il croyait batailler ! Après tout, c’est dommage qu’il soit mort ?

– Il n’est pas mort, – reprit Gaëlo ; – levez l’ancre, mes champions ; en deux coups de rames nous aborderons dans l’île, et avant peu d’instants, vous verrez Lodbrog revenir à lui comme s’il sortait d’un rêve.

– Par les cornes du diable ! quel rêve ! – s’écria Simon ; – moi, de peur que se reprenant à rêver, ce géant ne me mette en bouillie, je désire garder le bateau avec Robin, mon compère. – Et tout en ramant, Grande-Oreille jetait un regard défiant sur le corps du berserke, toujours immobile, que l’on voyait à cent pas du rivage.

– Les North-mans iront, s’ils le veulent, au secours de cet enragé, – ajouta Simon, au moment où le holker abordait ; – il sera très-doux à Lodbrog de reconnaître des figures de son pays natal en reprenant connaissance, n’est-ce pas, Robin ?

– Oui, oui, car souvent tel feu qui paraît éteint, se réveille soudain.

Le bateau toucha terre, Gaëlo et les North-mans s’approchèrent du colosse non sans précaution ; l’un des pirates ôta son casque, le remplit d’eau à demi, y jeta une poignée du sable de la grève et manipula ce mélange, tandis que ses compagnons essayaient, mais en vain, tant son corps était raidi, de mettre Lodbrog sur son séant ; il leur fut impossible d’arracher de sa main crispée une pierre qu’il serrait encore avec la force d’un étau ; ses traits, encadrés dans les jugulaires de son casque, étaient livides, immobiles, ses mâchoires contractées, ses lèvres écumantes, ses yeux fixes, dilatés, vitreux ; l’un des North-mans puisant dans son casque détrempé d’eau froide, le jetait à poignée au visage du géant.

– Prends donc garde ! – dit Gaëlo, – tu vas l’aveugler !

– Non, non, – reprit le pirate en redoublant ses aspersions sablonneuses ; – c’est surtout quand le fin gravier entre dans les yeux qu’il produit bon effet. – L’expérience du pirate ne le trompait pas : de légers tressaillements convulsifs agitèrent bientôt les traits de Lodbrog, ses doigts crispés se détendirent, laissèrent échapper la pierre qu’ils enserraient, et au bout de quelques instants ses membres redevinrent souples. L’un des North-mans alla puiser dans son casque de l’eau limpide et fraîche, la jeta aux yeux du berserke ; celui-ci murmura bientôt d’une voix sourde en frottant ses paupières :

– Les yeux me cuisent fort ; suis-je donc dans le céleste Walhalla qu’Odin promet à ses braves après leur mort ?

– Tu es au milieu de tes compagnons de guerre, vaillant champion, – répondit Gaëlo, – tu as brisé une vingtaine de gros arbres et démoli une maison, est-ce assez pour essayer tes forces ?

– Oh ! oh ! – fit le géant en secouant son énorme tête et continuant de se frotter les yeux avec ses poings, – cela ne m’étonne pas d’avoir ainsi ravagé ; j’ai commencé à me sentir berserke en criant : À Saint-Denis ! et puis j’ai cru démolir l’abbaye et assommer ses moines et leurs soldats.

– Ne regrette rien, mon Hercule, – répondit Gaëlo ; – la lune se lève tôt, nous ramerons toute la nuit ; demain soir nous serons à Saint-Denis et après-demain à Paris !

*

* *

L’abbaye de Saint-Denis ressemblait à un vaste château fort ; son enceinte de hautes et épaisses murailles sans autre entrée qu’une porte voûtée, bardée de plaques de fer, percée, ainsi que les murs, de meurtrières d’où les archers pouvaient à l’abri tirer sur l’ennemi, mettaient le saint lieu à l’abri d’un coup de main ; pour se rendre maître de cette forteresse, il eût fallu de grandes machines de guerre et une nombreuse troupe d’attaque. Tenant sa promesse faite le matin au père Fultrade, Marthe et sa fille Anne-la-Douce se trouvèrent, à la tombée de la nuit, au rendez-vous fixé par le chantre ; il arriva monté sur son grand cheval, assez vigoureux pour porter en croupe la femme d’Eidiol, et sur le devant de la selle, la jeune fille que le prêtre tenait ainsi enlacée ; le cheval chargé de ce triple poids ne pouvait, malgré sa robuste encolure, que suivre au pas l’antique voie romaine qui, allant de Paris à Amiens, passait devant l’abbaye de Saint-Denis ; le trajet nocturne fut long, silencieux ; Marthe, toute fière de se voir en croupe d’un saint homme, ne songeait qu’aux reliques dont la divine influence devait la préserver ainsi que sa fille de tous maux présents et à venir. Anne avait obéi à sa mère avec répugnance ; le moine lui inspirait une vague frayeur, la nuit était noire, la route peu sûre ; lorsque parfois le cheval bronchait, la jeune vierge sentait Fultrade la serrer contre lui plus étroitement, et son souffle embrasé venait la frapper au visage. Arrivé avec ses compagnes de voyage à la porte massive de l’abbaye, le moine frappa d’une façon particulière, la clarté d’une lanterne apparut à un guichet ; il s’ouvrit, le frère portier échangea quelques mots à voix basse avec Fultrade, puis la lumière s’éteignit, la porte massive roula sur ses gonds et se referma lorsque Marthe et sa fille furent entrées dans l’abbaye ; elles se trouvèrent au milieu des ténèbres ; un personnage invisible emmena le cheval du prêtre ; celui-ci, prenant alors le bras de Marthe, lui dit tout bas : – Donne la main à ta fille et suivez-moi toutes deux ; je vous ai prévenues, votre arrivée ici doit être enveloppée du plus grand mystère, venez.

Après avoir descendu un escalier rapide et suivi pendant assez longtemps dans l’ombre les détours d’un couloir voûté, à l’atmosphère humide comme celui d’une cave, le chantre s’arrêta, chercha à tâtons l’orifice de la serrure d’une porte qu’il ouvrit en disant aux deux femmes, toujours à-demi-voix : – Entrez là, attendez-moi, chères filles.

Au bout de peu d’instants la porte se rouvrit, et le moine, revenant encore sans lumière, dit : – Marthe, la première, tu adoreras la relique, ce sera ensuite le tour de ta fille.

– Oh ! non ! – s’écria vivement Anne-la-Douce ; – je ne resterai pas seule ici dans l’obscurité !

– Mon enfant, ne crains rien, – reprit Marthe ; – nous sommes dans une sainte abbaye, sous la protection du bon père Fultrade.

– Et d’ailleurs l’on n’est jamais seule lorsque l’on pense à Dieu, – ajouta le moine. – Ta mère sera bientôt de retour. Suis-moi, Marthe.

– Ma mère, je ne te quitte pas… j’ai peur ! – s’écria la jeune fille ; mais avant qu’elle ait pu rejoindre sa mère, qu’une main vigoureuse attirait brusquement au dehors, la porte se referma sur Anne de plus en plus effrayée ; en vain elle poussa de grands cris, les pas s’éloignèrent ; tout bruit cessa, et de silencieuses ténèbres se répandirent autour d’elle. Cependant, au bout de quelques minutes, elle tressaillit de surprise ; il lui semblait entendre, au milieu de l’obscurité, le souffle d’une respiration haletante ; soudain la jeune fille se sentit enlacée de deux bras vigoureux ; elle se débattait en appelant sa mère, lorsqu’on frappa violemment à la porte, et une voix prononça d’un ton alarmé quelques paroles en latin. Aussitôt Anne, délivrée de l’étreinte qui l’épouvantait, tomba défaillante sur le sol. Quelqu’un passa près d’elle, sortit en courant, et referma la porte à double tour.

*

* *

Tandis que Marthe et sa fille venaient d’être séparément enfermées par Fultrade et un autre prêtre, dans les cachots souterrains de l’abbaye de Saint-Denis, où l’on jetait les serfs et les vilains justiciables de l’abbé, un grand mouvement régnait dans le saint lieu. Des moines, subitement arrachés au sommeil, et portant des torches, allaient et venaient sous les arceaux du cloître. Au milieu de l’une des cours intérieures, l’on voyait une vingtaine de cavaliers ; la sueur dont leurs chevaux ruisselaient témoignait de la rapidité de leur course ; ils avaient escorté jusqu’à l’abbaye le Comte de Paris, qui, arrivant de sa cité en toute hâte, s’était aussitôt rendu à l’appartement de Fortunat, abbé de Saint-Denis. Ce prêtre, d’une obésité difforme, les yeux encore bouffis de sommeil, endossait une longue robe du matin, chaudement fourrée, que lui présentait l’un de ses serviteurs ; d’autres allumaient les cierges de deux candélabres d’argent massif, placés sur un meuble richement orné, car rien n’était plus somptueux que cet appartement. L’abbé ayant revêtu sa robe, se frottait les yeux, assis au bord de son lit douillet, au bas duquel on voyait un jupon de femme, oublié sans doute. La présence de ce vêtement expliquait le retard de l’abbé à ouvrir au Comte Roth-bert, qui, après avoir longtemps frappé à la porte, et enfin introduit auprès de Fortunat, lui disait impatiemment : – Fultrade ne vient donc pas ? Où est-il ? où est-il ?

– Seigneur Comte, on l’est allé quérir, on ne l’a pas trouvé dans sa cellule, – répondit le Chambellan de l’abbé (charge tenue à fief), car cet officier du palais abbatial, ainsi que plusieurs de ses confrères, le Maréchal, l’Écuyer, le Bouteiller, et autres dignitaires, attirés par le tumulte, avaient accompagné le Comte de Paris chez l’abbé.

– Le père Fultrade était sans doute à l’église, – reprit une voix, – souvent il s’impose, comme pénitence, des prières nocturnes.

– À moins qu’il ne soit resté à Paris, où je l’ai rencontré ce matin, – reprit Roth-bert. – Jamais pourtant sa présence ici n’aurait été plus nécessaire !

– Comte, – dit l’abbé en étouffant un bâillement, – aucun de mes chers frères en Christ ne couche hors de l’abbaye, à moins que je l’envoie au loin en mission. Fultrade a dû certainement rentrer ici ce soir. Mais m’apprendras-tu enfin la cause de cette alerte nocturne ?

– Pour te l’apprendre, j’attendais ton complet réveil, car tu me répondais en homme à moitié endormi. Or voici de quoi te faire ouvrir complètement les yeux et les oreilles : Les North-mans ont reparu à l’embouchure de la Seine ; ils s’avancent sur Paris !

L’abbé Fortunat, malgré son énorme corpulence, bondit sur son lit : ses trois mentons tremblotèrent, sa rouge et large face devint blême ; il joignit les mains avec épouvante ; ses lèvres s’agitèrent convulsivement ; mais, dans son effroi, il ne put articuler une parole. Les autres personnages restèrent, non moins que lui, terrifiés de la funeste nouvelle apportée par le Comte ; les uns poussèrent de longs gémissements, d’autres se jetèrent à genoux, invoquant l’intercession du Seigneur ; et tous, y compris l’abbé, qui avait enfin retrouvé la voix, s’écrièrent : – Dieu tout-puissant, aie pitié de nous ! délivre-nous de ces païens ! de ces démons ! Hélas ! hélas ! que de maux vont fondre encore sur les serviteurs de ton Église ! que de ravages ! que de désastres ! Nos biens, nos richesses vont encore être pillés par ces abominables sacrilèges ! Ô Seigneur ! Seigneur ! délivre-nous des North-mans !

Fultrade entra au milieu de ces malédictions lamentables. Il semblait sombre, irrité ; son visage était enflammé. Le Comte s’écria : – Arrive donc, Fultrade ; depuis une heure je te fais chercher ; tu es ici le seul homme de main et de conseil. – Puis, s’adressant à l’abbé : – Fortunat, mets un terme à tes lamentations et à celles de ton entourage ; il faut agir et non gémir…

Les prêtres continrent à grand’peine leur désolation, tandis que le Comte de Paris, s’adressant particulièrement à Fultrade, sur l’énergie duquel il semblait surtout compter : – Que l’on ne m’interrompe pas, les moments sont précieux… Les North-mans ont reparu à l’embouchure de la Seine ; on les dit commandés par un de leurs plus intrépides rois de la mer, nommé ROLF. Leur flotte est si nombreuse, qu’elle couvre toute la largeur de l’embouchure de la Seine ; ils ne doivent pas être maintenant à plus de dix ou douze lieues d’ici !

– Et comment n’a-t-on pas été plus tôt prévenu de l’arrivée de ces maudits ? – s’écria le chantre. – Ils ont passé à Rouen, comment les gens de cette cité n’ont-ils pas, de proche en proche, fait répandre l’alarme ?

– Eh ! qu’importe aux gens de Rouen ! N’ayant pas été cette fois attaqués par les North-mans, ils n’ont eu souci des autres contrées ; ce soir seulement j’ai été averti de l’approche des pirates par quelques messagers des seigneurs et abbés riverains de la Seine ; ils m’ont de plus appris que cette vile plèbe rustique, qui n’a rien à perdre, se montre partout joyeuse des maux dont ces païens vont encore accabler l’Église et les seigneurs ; c’est donc à nous, seigneurie et clergé, de nous unir, de nous défendre ! Nous n’avons aucun secours à attendre de Karl-le-Sot ; comme ses lâches aïeux, Karl-le-Chauve et Karl-le-Gros, il ne songera qu’à défendre, s’il le peut, ses domaines royaux, et laissera les North-mans ravager nos biens !

– Hélas ! hélas ! – reprit en gémissant l’abbé de Saint-Denis, – à quelles nouvelles calamités sommes-nous réservés ? Si les désolations, les abominations du passé doivent se reproduire, ce sera horrible !… N’a-t-on pas vu Karl-le-Chauve forcé d’octroyer la comté de Chartres à cet exécrable Hastain, chef des pirates north-mans ! un vil serf révolté ! un bandit souillé de crimes, de sacrilèges abominables ! Hélas ! en quels terribles temps vivons-nous ! Que faire, mon Dieu, que faire ?

– Je te l’ai dit, ne pas gémir et agir ! – s’écria Roth-bert, – ne pas compter sur un roi imbécile, ne compter que sur nous ; organisons notre défense, armons nos colons, nos vilains ; s’ils refusent de marcher, terrifions-les par les supplices !… Toi, Fultrade, homme d’énergie et d’intelligence, tu vas partir sur l’heure avec quelques-uns de mes officiers et une bonne escorte pour aller convier, de ma part, les évêques et les abbés de mon duché de France à mettre en armes leurs vilains et leurs serfs ; une partie de ces gens resteront dans les abbayes et les châteaux pour leur défense, les autres seront dirigés vers Paris pour la défense commune.