58).

» … Il nous paraît nécessaire, dit Tancrède à ses guerriers, de livrer sans délai au glaive les captifs et ceux qui se sont rachetés (p. 59) ».

Lisez le siège de Jérusalem par BAUDRY, archevêque de Dôle.

« … On voyait dans les rues et sur les places de Jérusalem des monceaux de têtes, de pieds et de mains. Partout l’on ne marchait qu’à travers des cadavres ; cela est peu de chose ; venons au temple de Salomon, où les Sarrasins avaient coutume de célébrer leurs cérémonies. Qu’il nous suffise de dire que dans le temple et sous le portique LES CAVALIERS ÉTAIENT DANS LE SANG JUSQU’AUX GENOUX, et que DES FLOTS DE SANG S’ÉLEVAIENT JUSQU’AU FREIN DE LEURS CHEVAUX (41). »

Après le massacre, le pillage et l’orgie, écoutez ALBERT, chanoine d’Aix (p. 63).

« … Le patriarche de Jérusalem et le légat du pape vivaient dans de continuelles orgies. Baudoin les trouva tous deux un jour à une table splendide, et il leur dit ceci : Vous passez les nuits et les jours dans les festins, employant à vos plaisirs les aumônes des fidèles. Par Dieu ! vous ne toucherez plus les aumônes et vous ne remplirez plus ainsi délicatement vos ventres avant que mes soldats aient reçu leur solde. Le légat du pape, très-irrité, répondit : Il est de toute justice que ceux qui servent l’autel vivent de l’autel (63). »

Tels furent, chers lecteurs, le but, le caractère, la marche et l’issue de cette croisade, dont vous allez suivre les développements dans le suivant récit, et vous direz comme nous : honte et exécration sur ces croisades qui ont fait couler des torrents de sang, causé la mort de milliers et de milliers du malheureux serfs, émigrés de la Gaule, confiants dans les promesses des prêtres ; honte et exécration sur ces croisades qui ont déchaîné les passions les plus atroces, les maux les plus affreux, et pourquoi ? pour s’emparer de Jérusalem et du prétendu sépulcre du Christ ; vaine conquête d’ailleurs, car, au bout d’un siècle, rempli des mêmes désastres, les croisés furent à jamais chassés de Jérusalem et de la Terre-Sainte par les Turcs, qui demeurèrent possesseurs du saint sépulcre, dont l’Église catholique se souciait d’ailleurs fort peu. La délivrance du tombeau du Seigneur avait servi de prétexte aux projets que l’Église poursuivait depuis le pontificat de Gerbert ; son but était atteint ; désormais à la voix des papes les rois, façonnés par les croisades aux atrocités des guerres religieuses extermineraient les hérétiques dans leurs royaumes.

Ah ! l’on se sent saisi de dégoût, d’épouvante et d’horreur quand on songe à ce mélange d’astuce, d’hypocrisie, de mensonge, d’audace, de cruauté, de férocité, d’ambition implacable qui constitue la tradition séculaire de la politique de ces papes de Rome ! Un dernier trait, chers lecteurs, il est frappant et résume cette politique : le pape Urbain II vient en Gaule pour y prêcher la croisade, et il s’écrie, pour entraîner les peuples à la Terre-Sainte :

« À Antioche, à Jérusalem et dans les villes de l’Orient les chrétiens sont opprimés, flagellés, injuriés ; ce sont des frères sortis du même sein, destinés aux mêmes demeures ; ils sont fils comme vous du même Christ et du même Dieu, et dans leurs propres maisons héréditaires ils sont faits esclaves par des maîtres étrangers. Les uns sont chassés de leurs demeures et viennent mendier chez vous ; les autres, plus malheureux encore, sont vendus et accablés d’étrivières sur leur propre patrimoine ; c’est du sang chrétien racheté par le sang de Jésus-Christ qui se verse, c’est la chair chrétienne de la même nature que la chair elle-même du Christ qui est livré aux opprobres et aux tourments (p. 532, v. 4, sermo Urbani papæ ex scheda biblioth. Vaticanæ, p. 514, Concil. gen.) »

Les entendez-vous, chers lecteurs, ces prêtres catholiques, s’indigner en l’an 1098, prêcher la croisade et appeler les peuples aux armes, parce qu’en Orient, disaient-ils, les chrétiens sont opprimés, flagellés, asservis dans leur propre pays par des maîtres étrangers ? Et que faisaient donc les Franks, en Gaule, depuis sept siècles que Clovis l’avait conquise ? Eux Franks, eux étrangers, n’opprimaient-ils pas, n’asservissaient-ils pas les Gaulois dans leur propre pays ? Les habitants de la Gaule n’avaient-ils pas été dépouillés de l’héritage de leurs pères par ces conquérants barbares ? Et dans ces temps maudits l’Église catholique, chaque jour témoin des horreurs de l’invasion franque et de ses horribles conséquences à travers les siècles, l’Église catholique s’est-elle jamais écriée : « – Franks barbares, ces Gaulois que vous asservissez, que vous torturez, que vous massacrez dans leur pays natal, ce sont vos frères en Jésus-Christ ! c’est de la chair chrétienne qui est livrée aux opprobres et aux tourments, c’est du sang chrétien qui coule ? » – Oui, les prêtres catholiques, comme autrefois les druides héroïques, prêchaient-ils la guerre sainte contre le conquérant étranger ? Non, non, vous l’avez vu ! les prêtres catholiques, si ces sycophantes soudainement épris au onzième siècle d’une tendre compassion pour les chrétiens de Syrie, et appelant l’Europe en armes pour leur délivrance, les prêtres catholiques, infâmes complices de la conquête franque, sollicitée, favorisée par eux dès son invasion, eux aussi, comme les Barbares, tenaient les chrétiens des Gaules, leurs frères, dans le plus dur esclavage, les exploitaient, les vendaient et en trafiquaient, puisque l’Église a possédé des esclaves jusqu’au dixième siècle, et ensuite des serfs et des vassaux jusqu’en 1789 (ne l’oublions jamais) ; et, pour maintenir ces malheureux dans leur dégradante servitude par une terreur imbécile du diable et de ses cornes, l’Église paraphrasant incessamment ces exécrables paroles de l’apôtre saint Pierre :

« Servi subditi estote in omni timore dominis : Esclaves, soyez soumis en toute crainte à vos seigneurs ; et si vous êtes tentés de vous prévaloir contre eux de leur dureté et de leur avarice, écoutez ces autres paroles de l’apôtre : Obéissez non-seulement à ceux qui sont bons et doux, mais même à ceux qui sont rudes et fâcheux. Aussi les CANONS FRAPPENT-ILS D’ANATHÈME quiconque, sous prétexte de religion, engagerait des esclaves à désobéir à leur maître, et à plus forte raison à leur résister par la force. » (Scrip. rer. f, t. XII, p. 257.)

Vous le voyez, chers lecteurs, par tradition séculaire l’Église catholique, au mépris des lois éternelles de la justice, au mépris des droits sacrés de l’humanité, a toujours prêché, ordonné, sous menace du feu éternel, une soumission lâche, abrutissante, impie à cette monstruosité de l’antiquité païenne : L’ESCLAVAGE ! L’Église catholique a toujours prêché, ordonné l’extermination de tous ceux qui protestaient contre ces impitoyables doctrines, les déclarant mortelles à la raison, à la liberté, à la dignité humaine.

Voulez-vous une dernière preuve de ce fatal enchaînement de faits, qui rattachent le présent au passé, lisez les lignes suivantes écrites HIER (25 août 1851) dans le journal L’UNIVERS, organe de M. de Montalembert (de la compagnie de Jésus), l’un des conseillers les plus intimes et les plus écoutés de M. BONAPARTE, M. de Montalembert, ce fils des croisés, sobriquet qu’il se donne dans son cynisme ultramontain ; oui, chers lecteurs, lisez et méditez :

« L’hérésiarque, examiné et convaincu par l’Église, était livré au bras séculier et puni de mort. RIEN NE M’A JAMAIS SEMBLÉ PLUS NATUREL ET PLUS NÉCESSAIRE. Plus de cent mille hommes périrent par suite de l’hérésie de Wiclef ; celle de Jean HUS en fit périr plus encore ; on ne peut mesurer ce que l’hérésie de Luther a fait couler de sang(29), et ce n’est pas fini. Après trois siècles nous sommes à la veille d’un recommencement. La prompte répression des disciples de Luther et une croisade contre le protestantisme auraient épargné à l’Europe trois siècles de discordes et des catastrophes où la France et la civilisation peuvent périr.

» Pour moi, ce que je regrette, je l’avoue franchement, C’EST QU’ON N’AIT PAS BRÛLÉ JEAN HUS plus tôt, et qu’on N’AIT PAS ÉGALEMENT BRÛLÉ LUTHER ; c’est qu’il ne se soit pas trouvé quelque prince assez pieux et assez politique POUR MOUVOIR UNE CROISADE CONTRE LES PROTESTANTS.

» Signé : Louis Veuillot. »

Vous l’entendez, chers lecteurs ? c’est l’organe officiel du parti prêtre qui vous dit, en parlant des torrents de sang versé par les guerres religieuses : « Et ce n’est pas fini, nous sommes à la veille d’un recommencement. » Or, il est évident que ce recommencement viendra du parti qui regrette si nettement que l’on n’ait pas brûlé Luther et exterminé les protestants ; ainsi le parti prêtre le dit, M. de Montalembert l’a dit : « Il faut une campagne de Rome à l’intérieur. » Soit, vienne la guerre, vienne la campagne de Rome à l’intérieur, que les fils des Croisés soient assez pieux, assez politiques pour MOUVOIR UNE CROISADE contre nous, fils de Voltaire et de la révolution, contre nous, protestants, corps et âme, contre la tradition catholique tout entière ; nous les recevrons de notre mieux, qu’ils y comptent, ces pieux fils des Croisés, oui, nous les recevrons de notre mieux, eux et leur sainte croisade !

EUGÈNE SUE,

Représentant du Peuple.

26 août 1851.

SECONDE PARTIE

LA CROISADE

1099-1140

Les croisés en Palestine. – Leur marche. – Leurs mœurs. – Leurs souffrances. – WILHELM IX, Duc D’Aquitaine. – AZÉNOR-LA-PÂLE et le chevalier GAUTIER-SANS-AVOIR. – La route de Marhala. – Le désert. – Fergan-le-Carrier, Jehanne-la-Bossue et Colombaïk rencontrent un pèlerin. – La trombe de sable. – La ville de Marhala.