(Tome I, p. 47, ap. Mich.)

Lettre de Carloman, roi de Hongrie, à Godefroid, duc de Lorraine, qui s’était plaint du mauvais accueil fait à Pierre l’Ermite.

« Nous ne sommes point des persécuteurs de fidèles ; si nous avons montré de la sévérité et tué des chrétiens, c’est que nous y avons été poussés par la nécessité, ayant accordé à la première armée que Pierre l’Ermite conduisait, la permission d’acheter des provisions et de traverser paisiblement la Hongrie. Il nous ont rendu le mal pour le bien, en enlevant non seulement l’or, l’argent, les chevaux, les mules et les troupeaux de notre pays ; mais en ravageant nos villes et nos châteaux, en tuant quatre mille des nôtres et en les dépouillant de leurs vêtements. Après ces excès si injustement commis par les compagnons de Pierre l’Ermite, l’armée de Godescal, que vous avez rencontré fuyant, a assiégé Méresbourg, le rempart de notre royaume, dans l’intention de nous punir et de nous exterminer ; ce n’est qu’avec le secours de Dieu que nous avons été préservés. »

Alexis Comnène, empereur de Constantinople, effrayé de l’approche d’une autre troupe de ces furieux catholiques, qui, au nombre de vingt cinq ou trente mille (ils se comptaient plus de cent mille en quittant la Lorraine), s’avançaient sous les ordres de Godefroid, duc de Bouillon et de Basse-Lorraine, écrivait à ce noble seigneur :

« Alexis, empereur de Constantinople et de Grèce, à Godefroid de Bouillon et à ses compagnons : – Je vous supplie, prince très-chrétien, de ne pas souffrir que votre armée pille et dévaste le territoire soumis à ma domination et qu’elle va traverser ; partout elle pourra acheter ce dont elle aura besoin. »

Les futurs conquérants du tombeau du Seigneur, se composant en immense majorité de pauvres serfs en guenilles, étaient hors d’état de pouvoir rien acheter ; aussi, de même que les gens de Pierre l’Ermite, ils pillèrent et ravagèrent le pays sur leur passage, et furent aux trois quarts exterminés par les populations ; les survivants arrivent en Palestine, et, en proie à des maux affreux, ils commettent des atrocités sans nom. Quant aux débauches de la plupart des chefs laïques ou ecclésiastiques de la croisade, et de beaucoup de nobles dames qui accompagnaient leurs époux en Terre-Sainte, ces monstruosités dépassent les plus infâmes priapées de la Rome païenne. Ce n’est pas tout, l’anthropophagie souvent nécessitée par la famine devient un goût, mieux que cela, un acte presque méritoire aux yeux de certains prélats ; vous hésitez à nous croire, chers lecteurs ? Citons d’abord ALBERT, chanoine d’Aix à propos de l’horrible misère des croisés, dont souffrirent surtout les malheureux serfs attirés là par les promesses de l’Église.

« … La chaleur fit périr les chevaux et les bêtes de somme ; les cavaliers prenaient pour monture des bœufs, des béliers et des chiens beaucoup plus grands que ceux d’Europe.

» … Le dernier samedi du mois d’août le manque d’eau se fit sentir avec tant de violence, que plus de cinq cents personnes des deux sexes périrent ; les chevaux, les bœufs, les mules périrent pareillement. Des femmes enceintes, consumés par l’ardeur du soleil, le gosier desséché, accouchaient subitement en chemin, restant étendues auprès de leurs enfants. (p. 49.)

» … Là, plusieurs chefs des croisés, séduits par la beauté des environs, résolurent de se donner le plaisir de la chasse. (p. 50.)

» … La disette était si grande que l’on amollissait du cuir avec de l’eau chaude, et on l’assaisonnait ; on mangeait ainsi les cuirs des harnais. – On payait dix fèves un denier ; une tête d’âne, de cheval ou de chameau dix deniers ; les oreilles de ces animaux deux deniers ; on mangeait jusqu’à sa chaussure. » (Ibid., p. 54.)

À défaut d’oreilles de chameaux ou de têtes d’ânes, on se nourrissait de chair humaine, et l’Église approuvait fort ces repas de cannibales, à la condition que le mangé fût un Sarrazin. Nous lisons ceci (p. 25), dans l’Histoire de la prise de Jérusalem, par BAUDRY, archevêque de Dole, qui assistait à la croisade.

« … Souvent les croisés mangeaient dans un siège de la chair humaine, mais cela ne leur était pas imputé à crime ; par là, ils continuaient de faire la guerre aux infidèles avec les dents et avec les mains.

» … Ceux qui étaient plus honnêtes éventraient les Sarrasins morts, et tiraient de leurs entrailles les pièces d’or que ceux-ci avaient avalées.

» … Chose horrible à entendre ! – s’écrie ALBERT, chanoine d’Aix, déjà cité, – les croisés mangèrent non-seulement des Sarrasins, mais encore des chiens cuits. » (p. 57.)

Manger du Sarrasin, cela se conçoit encore à la rigueur ; mais manger du chien cuit ! profanation ; du reste, ainsi que nous l’avons dit, l’anthropophagie d’abord commandée par la famine, et aussi par un pieux acharnement à guerroyer les infidèles à coups de mâchoire, devint parfois une épouvantable dépravation du goût. Un ouvrage anglais (Ellis’s specimens of Earli : English metrical romances, v. II p. 256) cite une chronique anglaise, contemporaine de la croisade où assistait le roi d’Angleterre, Richard-Cœur-de-lion ; ce prince, habituellement fort glouton, était malade, cependant il s’obstinait à vouloir manger du porc, viande qu’il aimait fort. Le médecin de Richard, craignant pour son Royal malade l’indigeste lourdeur de cette nourriture porcine, dit à l’un des écuyers de son maître : « Prends un Sarrasin jeune et gras ; sans délai tue, ouvre et écorche ce bandit, fais-le bouillir avec force sel et épices, ajoutes-y du safran fortement coloré. » – Le jeune Sarrasin est tué, mis en morceaux, bouilli, assaisonné ; le roi Richard en fait chère lie, et jure Dieu, qu’il n’a jamais mangé de meilleur porc. Sa faim, loin d’être assouvie, s’exaspère ; il veut manger absolument la tête de cet excellent porc et ordonne qu’on la lui apporte. L’écuyer n’osant désobéir à son terrible maître, apporte la tête du jeune Sarrasin. La chronique anglaise poursuit : – « Lorsque le roi vit cette noire figure, à la barbe d’ébène, aux dents d’ivoire, et ces lèvres contournées par une hideuse grimace : – Que diable est ceci ? – s’écria-t-il. – Puis, riant aux éclats il ajouta : – Quoi ! la chair d’un Sarrasin est aussi bonne ? je ne m’en doutais guère ; mais je le jure par le Dieu mort et ressuscité ! nous ne mourrons jamais de faim, tant que nous pourrons, en donnant l’assaut, prendre de ces Sarrasins qu’on peut bouillir, rôtir, mettre au four, et dont la chair est bonne jusqu’à l’os ; l’épreuve est faite, moi et les miens nous en croquerons plus d’un. »

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Un autre historien contemporain des Croisades, GUILBERT, moine de Clermont, s’exprime ainsi dans son livre des Gestes de Dieu par les Franks, (p. 27) : « Le roi des Truands est le chef d’une bande qui se nourrit de chair humaine ; celui de ces truands qui garde seulement un denier sans le dépenser est chassé comme indigne de la troupe. »

Vous verrez, chers lecteurs, ces truands à l’œuvre dans le récit suivant, et vous assisterez à une horrible scène de cannibale ordonnée par Bohémond, prince de Tarente, l’un des chefs franks de la croisade ; cette scène est certes plus épouvantable que le régal du roi Richard. Quant à la férocité des croisés, à leurs profanations sacrilèges, voici ce que nous lisons dans FOUCHER DE CHARTRES, auteur du livre des Gestes des Franks allant armés en pèlerinage à Jérusalem (p. 89-91) : « Les croisés, sachant que les Sarrasins avaient des bysantins d’or, fendaient le ventre à tous les prisonniers pour chercher l’or dans leurs entrailles, ou bien on les faisait brûler pour retrouver l’or dans les cendres (89). »

À l’occasion du riche butin fait par les croisés au siège d’Ascalon, ce même FOUCHER rapporte qu’on y trouvait douze sortes de pierres précieuses ; et en racontant le siège de Césarée, il s’écrie : « – Ô combien d’argent nous trouvâmes dans le camp ! les plus pauvres des pèlerins devinrent riches ; on brûla des cadavres fétides pour trouver dans les cendres les besans qu’ils avaient avalés. – Quelques Sarrasins, pour dérober leur or à l’avidité des Franks, avaient caché des pièces d’or dans leur bouche, d’où il arrivait que lorsque l’on serrait le cou de ces barbares, il sortait de leur bouche huit ou dix pièces d’or. Des femmes cachaient leur or… (p. 91). »

Parlerons-nous des mœurs infâmes et des débauches des chefs de la croisade et de leurs femmes ? la chose est difficile ; aussi, par pudeur pour nos lectrices, nous laisserons subsister en latin la plus grande partie de cette citation de GAUTIER, le chancelier, sur la guerre à Antioche, à laquelle il assista :

« Parmi les croisés, les uns couraient après les plaisirs de la table, les autres fréquentaient les tavernes des impudiques et dépassaient toutes les bornes de la pudeur ; car, au moyen de l’or de l’Arabie et des pierres précieuses, eleganter adornabant feminarum sexualia ; ils agissaient ainsi non pas ad dissimulare sexualia ni pour éteindre la flamme de la débauche, mais afin que : quibus ingratum erat quod licebat, qui cum hoc modo suam vellent imitare libidinem, mulieres dealbare et eis satisfecere putarent, ut praelibarent, augebant crimina criminibus.

» Les femmes, méprisant la couche de leurs maris, allaient dans les lieux de prostitution ou appelaient les passants dans les rues et se livraient à eux pour de l’argent. (p. 104-105) »

Enfin les croisés arrivent devant Jérusalem, en font le siège, et s’emparent de la Cité sainte. Alors… on recule épouvanté.

Lisez Foucher de Chartres, témoin oculaire de cette boucherie sans exemple dans les fastes des carnages.

« Il y eut tant de sang versé dans le temple de Salomon, à Jérusalem, que les corps nageaient çà et là sur le parvis ; on voyait flotter des bras et des mains coupés, qui allaient se joindre à des corps qui leur étaient étrangers ; on ne pouvait distinguer à quel corps appartenait un bras que l’on voyait rejoindre à un tronc. Les soldats qui faisaient le carnage pouvaient à peine supporter la vapeur qui s’en exhalait. Il y eut, en trois jours que dura le carnage, SOIXANTE-DIX MILLE Sarrasins de tués. (Liv. 17, v. 1.)

» Après le massacre, les Croisés se rendirent au Calvaire, marchant sur les genoux, pleurant à l’aspect du saint tombeau ; ensuite on immola les Sarrasins ; leur foule éperdue aurait volontiers pris la fuite si elle avait eu des ailes, mais ils ne purent éviter une mort affreuse (18). »

Lisez la prise de Jérusalem par ALBERT, chanoine d’Aix

« En entrant à Jérusalem, les croisés percèrent, avec la pointe de leurs épées, les femmes qui s’étaient réfugiées dans le temple ; ils arrachèrent du sein de leur mère les enfants à la mamelle, leur brisèrent la tête sur les murs ou les écrasèrent à coups de pierres (p.