217.)
« …… Après la prise de Mont-de-Marsan, M. de Savignac, le capitaine Fabien, et quelques autres, vinrent me dire que les huguenots du château voulaient se rendre et capituler avec moi ; je voyais que M. de Savignac et le capitaine Fabien voulaient fort sauver Favas (il commandait les huguenots qui voulaient capituler), parce qu’il était bon soldat. Je leur dis qu’ils allassent capituler comme bon leur semblerait, et que je signerais leur capitulation, quoique j’eusse bonne envie de faire là une tuerie ; aussi, lorsqu’ils se furent départis de moi, j’envoyai après eux un gentilhomme pour aller dire à quelques capitaines et à leurs soldats, que pendant qu’on parlementerait, ILS TUASSENT TOUT…… et comme mon gentilhomme eut parlé à ces capitaines, leurs soldats coururent chercher quelques échelles, les dressèrent au coin de la basse-cour à main gauche, près des galeries, et pendant que les autres parlementaient à la porte, ils tuèrent tout ce qui se trouvait là-dedans, sauf le capitaine Favas qui parlementait, et qui fut sauvé par M. de Savignac et le capitaine Fabien, qui, voyant le massacre, l’attirèrent à eux, ce qui fut bon pour lui, car il aurait eu le sort des autres huguenots. » (P. 215-226.)
Au siège de Navarreins, la ville est emportée d’assaut, le maréchal de Montluc avait été blessé à l’attaque :
« …… Madaillan, mon lieutenant, vient me dire : – Monsieur, réjouissez-vous, prenez courage, la ville est à nous, voilà les soldats qui tuent tout ; soyez assuré que votre blessure sera vengée. – Alors je lui dis : – Je loue Dieu de ce que je vois notre victoire avant de mourir ; à présent je ne me soucie pas de la mort, retournez-vous-en, et gardez qu’il n’en échappe aucun qu’il ne soit tué… L’on voulut sauver le ministre de ces huguenots et leur capitaine nommé Ladon… pour les FAIRE PENDRE devant mon logis ; mais nos soldats les ôtèrent à ceux qui les amenaient et les mirent en mille pièces. Ils en firent ensuite sauter cinquante ou soixante du haut de la grande tour dans le fossé, où ils se noyèrent. La plupart des femmes furent tuées, car elles avaient fait de grands maux, en se défendant avec des pierres. » (P. 240-241.)
Une dernière citation, chers lecteurs ; votre cœur, comme le nôtre, se soulève de dégoût et d’horreur, devant ces pages écrites de la main d’un soldat-bourreau ; elles sentent le charnier. Ceci se passait au siège de la Pêne… Écoutez :
« La porte du château tombée, nous entrâmes tous de furie, et nous ne trouvâmes dans la basse cour que femmes et filles ; tout en était rempli jusqu’aux étables ; nous faisions descendre ces femmes par les degrés de pierre, et à mesure, nos Espagnols, qui étaient dedans la grande basse-cour au-dessous du degré, TUAIENT CES FEMMES, disant que c’étaient des luthériens déguisés, parce que l’un des soldats EN VOULANT SE JOUER AVEC L’UNE D’ELLES, avait trouvé que c’était un diacre imberbe. » (P. 253-254.)
Consolons-nous, chers lecteurs, de ces monstruosités si complaisamment racontées par un capitaine catholique, en ouvrant les mémoires d’un soldat protestant, le loyal et vaillant LANOÜE, le digne ami de l’amiral Gaspard de Coligny, et comme lui, l’une des plus pures, des plus nobles figures du seizième siècle. Lanoüe, réduit à combattre pour défendre sa foi, sa vie et ses coreligionnaires menacés, ressent profondément cette douloureuse émotion que tout homme de cœur éprouve en songeant aux terribles maux de la guerre civile, fût-elle provoquée, légitimée par les scélératesses des gouvernants ; Montluc, général catholique, a sans cesse sous sa plume ces mots affreux de tuerie, de viol, de pendaison, de bourreaux, de massacre. Jamais l’on ne découvre en lui le moindre retour à des pensées, sinon miséricordieuses, du moins humaines ; jamais il ne lui vient à l’esprit, non pas même de déplorer ses impitoyables cruautés commises sous ce prétexte d’une si exécrable banalité : la raison d’État ! le salut de la religion ! mais seulement de regretter que ces férocités nécessaires… (ces gens-là confessaient les nécessités du crime) atteignissent ses concitoyens, ses frères, en un mot « des Français !… » Non ! Écoutez au contraire ces patriotiques et augustes paroles de Lanoüe servant d’introduction au récit de la bataille de Dreux, et d’après ce récit de deux des généraux les plus considérables des armées catholiques et protestantes, dont ils résumaient pour ainsi dire l’esprit et les sentiments, jugez de l’infâme cruauté des uns, de la générosité des autres.
« …… Chacun de nous, avant la bataille (dit Lanoüe), se tenait ferme, repensant en soi-même que les hommes qu’on allait combattre n’étaient ni Espagnols, ni Anglais, ni Italiens, MAIS FRANÇAIS, et des plus braves, entre lesquels on reconnaissait d’anciens compagnons, des parents, des amis, et que dans une heure, il faudrait se tuer les uns les autres, ce qui donnait quelque horreur du fait, sans néanmoins diminuer le courage… » (Mémoires de FRANÇOIS LANOÜE, p. 605-607.)
Puis, dans les mêmes pages, Lanoüe raconte comment le duc de Guise, général de l’armée catholique, se montra ce jour-là plein de courtoisie envers son prisonnier, le prince de Condé, courtoisie expliquée d’ailleurs par cela : que, sachant son père prisonnier de l’armée protestante, le maréchal de Damville, à qui le prince de Condé s’était rendu, n’eût pas souffert qu’il fût maltraité par le duc de Guise, de peur que l’on n’exerçât des représailles contre son père, à lui Damville.
« …… On pourra dire (continue Lanoüe) que M. le maréchal de Damville n’eût pas permis que l’on fît tort à M. le prince de Condé qui s’était rendu à lui, toutefois, il m’a semblé que de si beaux actes ne devaient être ensevelis en oubliance, afin que ceux qui font profession des armes s’étudient de les imiter, et s’éloignent des cruautés et choses indignes, où tant se laissent aller en ces guerres civiles, pour ne savoir ou vouloir donner un frein à leurs haines : À l’ennemi qui résiste, faut se montrer superbe, et après qu’il est vaincu, IL EST HONNÊTE D’USER D’HUMANITÉ… Mon intention est ici de louer de beaux actes de vertu quand je les rencontre en mon chemin, et quand je la verrai reluire en quelque personne que ce soit… là… je l’honorerai. » (P. 605-607.)
Dites, chers lecteurs, n’est ce pas là un admirable langage ? n’y sent-on pas palpiter le cœur de l’homme de bien, du grand citoyen, du généreux soldat de la liberté de conscience ? Noble langage, il sera l’éternelle honte, l’éternel opprobre de Montluc, soudard féroce qui se baigne à plaisir dans le sang français, parce qu’un maître lui dit : TUE !
Imaginez, chers lecteurs, d’après ces citations empruntées aux écrivains catholiques et réformés ; imaginez l’épouvantable deuil où fut plongée la France pendant un demi-siècle de guerres religieuses. À ce sujet, un fait signalé dans le cours de nos récits au point de vue des réformes politiques poursuivies d’âge en âge par le peuple et la bourgeoisie, se reproduit au seizième siècle, à propos de la révolution religieuse ; mais constatons-le sans surprise, car l’influence du clergé se traduisait alors par une ignorance et un fanatisme presque universels, l’élite de toutes les classes de la nation, classes seigneuriales, bourgeoises ou plébéiennes, prit seule part au mouvement de la réforme.
Ainsi les huguenots, malgré les mesures atroces dont ils sont victimes, adressent d’abord humblement au pouvoir royal requêtes et suppliques afin d’obtenir l’autorisation d’exercer paisiblement leur culte ; Église et Royauté restent sourdes, impitoyables ; enfin, poussés à bout par le massacre de Vassy, en 1562 (la persécution avait été toujours croissant depuis le commencement du siècle), les réformés font appel à l’insurrection, prennent les armes, et par l’insurrection, par les armes, conquièrent ce qu’ils n’avaient pu jusqu’alors obtenir par les prières, par la revendication du droit commun ; le premier édit de tolérance est rendu le 19 MARS 1562. Sans doute, ainsi que vous l’avez déjà vu à l’endroit des réformes politiques, cet édit est bientôt annulé, les réformés reprennent les armes ; un second édit de tolérance est promulgué le 23 MARS 1568. – L’édit est de nouveau foulé aux pieds par l’Église et la royauté ; nouvelle insurrection des huguenots ; en 1570, un arrêt plus large que les précédents consacre la liberté de conscience, la foi des traités entre catholiques et protestants est encore violée en août 1572, par l’épouvantable massacre de la Saint-Barthélemy. Cette effrayante hécatombe semble devoir anéantir le protestantisme dans le sang, mais il se redresse plus vivace que jamais, court une quatrième fois aux armes, et en 1573, il a conquis complètement la liberté de conscience, sanctionnée plusieurs années après par l’édit de Nantes, dû à la politique d’Henri IV ; pour ce fait, il tombe sous le poignard orthodoxe d’un fanatique séide des jésuites, et plus tard, à la honte de l’humanité, un autre jésuite, confesseur de ce lâche et exécrable despote nommé Louis XIV, lui impose la révocation de l’édit de Nantes, et de nouveau, les horreurs de la guerre civile sont déchaînées sur la France.
Vous le voyez, chers lecteurs, les réformes religieuses, ainsi que les réformes civiles et politiques, ont toujours été forcément, fatalement conquises par la révolte, par l’insurrection ! Pourquoi faut-il qu’en vertu d’une loi terrible et mystérieuse, l’humanité soit condamnée à ne conquérir le progrès, la liberté, que lentement, laborieusement, pas à pas, siècle à siècle, au prix de luttes acharnées, de sacrifices inouïs et de torrents de sang ? Ce sang, répétons-le, doit retomber sur l’Église et la Royauté ; elles pouvaient, au seizième siècle, épargner à l’humanité des maux incalculables, en accordant volontairement, en exécutant loyalement, dès le début de la réforme, ces édits imposés plus tard au trône et à l’autel par l’insurrection des protestants. – L’on entrait dès lors de prime-saut dans l’exercice de la liberté de conscience, enfin affirmée par notre grande révolution de 1789-92. – Conquête désormais impérissable, si nous savons défendre ce débris d’un précieux héritage, teint du sang de nos pères.
DES CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME
Les conséquences politiques de la réforme furent considérables ; elle fit puissamment progresser l’œuvre d’affranchissement poursuivie depuis tant de siècles par le peuple et la bourgeoisie. Vous l’avez déjà remarqué, chers lecteurs, dans le courant de nos récits, les hommes aspirent d’autant plus vivement à la liberté, à l’indépendance, qu’ils sont plus instruits et plus radicalement dissidents de l’Église de Rome ; ainsi, lors de la guerre des Albigeois, les grandes cités du Languedoc, industrieuses, opulentes, éclairées, régies démocratiquement par leurs municipalités, en véritables républiques fédérées sous la suzeraineté du roi de France, se séparent complètement de la communion catholique. Ainsi encore, au seizième siècle, les Genevois embrassant la réforme avec ardeur, à la voix de CALVIN, secouant le joug des princes de Savoie et de leur évêque, se rapprochent de la libre confédération des cantons suisses. Ce profond attachement au gouvernement démocratique et municipal, si vivace en Gaule malgré l’absorption des franchises des communes, par le despotisme centralisateur de la royauté, se montra plus ardent que par le passé, lors des luttes de la réforme religieuse ; l’implacable iniquité des rois envers les protestants, les cruautés inouïes dont ils étaient victimes, les poussèrent à bout ; ils soumirent le pouvoir royal à l’analyse de leur doctrine émancipatrice, le LIBRE EXAMEN, de même qu’ils y avaient soumis l’autorité pontificale. – Les conclusions furent identiques, jugez-en, chers lecteurs. Nous lisons dans le Franco-Gallia (France et Gaule), publié en 1573, par FRANÇOIS HOTMAN, réfugié à Genève, après le massacre de la Saint-Barthélemy :
« …… La domination royale, lorsqu’elle n’est pas enchaînée, a un penchant naturel et une tendance propre à la tyrannie (p. 8.) C’est pour cela que L’HÉRÉDITÉ EST MAUVAISE, et que le peuple a toujours le droit de choisir un chef à son gré. (P. 47 et suiv.)
» Il ne convient pas à des hommes libres, à des hommes que Dieu a doués d’intelligence, de subir le bon vouloir et le bon plaisir. L’humanité ne se laisse pas conduire comme un troupeau de brutes (P. 80.) Aussi, un peuple peut-il toujours DÉPOSER SON ROI et en créer un autre, quand bon lui semble. Ce droit repose dans l’ensemble de la nation et doit être exercé par une assemblée solennelle, le noble comme l’homme du peuple doivent prendre part à ce vote. » (P. 113-119.) (Ex.
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