Malgré ses folles visées de conquête en Italie, qui causèrent à la Gaule tant de désastres et lui coûtèrent tant d’hommes et tant d’argent, Louis XII ne fut pas cruel, il ne souilla pas le trône par le scandale éclatant de ses débauches ; gai compère après boire (il ivrognait souvent), se plaisant aux contes graveleux, il se contenta de courtiser trois femmes. RABELAIS, le malin curé de Meudon, a dernièrement, dans ses allégories, tracé ce très-ressemblant portrait de Louis XII, sous le sobriquet de Grand-Gousier :
« Grand-Gousier était bon raillard en son temps, aimant à boire net autant que fût alors au monde. Il mangeait volontiers salé ; à cette fin, avait ordinairement bonne provision de jambons de Mayence et de Bayonne, force langues de bœuf fumées, abondamment d’andouilles en la saison, bœuf à la moutarde, saucisse et boutargue. En son âge viril, Grand-Gousier épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillots, belle gouge et de bonne troigne…… »
La réputation d’ivrogne de Louis XII était d’ailleurs proverbiale. Il se plaignait un jour d’avoir été trompé deux fois par le roi d’Espagne Ferdinand V le Catholique, l’un des plus grands scélérats qui aient jamais porté la couronne :
« – Le roi de France se plaint que je l’ai trompé deux fois, l’ivrogne ! – s’écria Ferdinand V. – Il a bien menti, de par Dieu ! je l’ai trompé plus de dix ! »
FRANÇOIS Ier, sous le règne de qui commence la légende écrite par moi, Christian Lebrenn, succède à Louis XII, dont il était le plus proche parent, ayant eu pour père CHARLES, duc d’Angoulême, cousin germain de Louis XII. Ce dernier avait dit : « Ce gros garçon gâtera tout, » en parlant de François Ier ; ce roi n’a point jusqu’ici démenti cette prévision. À peine monté sur le trône (1er janvier 1515), à l’âge de vingt-et-un ans, il est, à l’exemple des deux derniers rois, possédé de la furie de conquérir l’Italie, royale folie qui avait causé tant de guerres désastreuses et laissé, malgré l’augmentation croissante des impôts, le trésor royal à sec après la mort de Louis XII. Non-seulement François Ier aime la bataille pour la bataille, en vaillant et robuste gendarme, car sa taille a près de six pieds de hauteur ; mais il joint à ses goûts guerriers un faste effréné, l’amour de la table, de la chasse ; et un penchant désordonné pour les femmes. Il choisit ses maîtresses tantôt à sa cour, tantôt dans la boutique d’un marchand, et au besoin dans la fange des cités ; sa corruption date de l’enfance. « À dix ans, – dit l’un de ses panégyristes, – il avait déjà une maîtresse, des favoris et des flatteurs. » Plus besogneux à lui seul que ne l’ont été tous ses précurseurs, François Ier s’imagine de remédier à l’insuffisance des impôts en vendant au plus offrant toutes les charges judiciaires ; de sorte que le juge, achetant cher le droit de juger, vend le jugement en conséquence au lieu de le rendre avec équité. La justice ainsi affermée comme on afferme la gabelle, François Ier, ses coffres remplis, songe à la guerre d’Italie. Le 13 septembre 1515 il traverse les Alpes, et après un combat acharné, prolongé pendant deux jours, il remporte la sanglante bataille de Marignan et recouvre le Milanais, déjà tant de fois reconquis et perdu par la France. Après cette victoire, il se rencontre à Bologne avec le pape Léon X, successeur du sanguinaire Jules II. Lors de cette entrevue, François Ier accorde au pape le droit de lever sur les fidèles de la Gaule l’impôt des décimes, soi-disant destiné à subvenir aux frais d’une croisade contre les Turcs, mais au vrai destiné à grossir l’escarcelle pontificale ; en retour de quoi Léon X accorde à François Ier la nomination aux bénéfices ecclésiastiques, en d’autres termes, le droit de vendre au plus offrant ou d’octroyer à ses créatures abbayes, cures, prieurés, évêchés, de même qu’il a déjà vendu les charges judiciaires. Cet honnête traité royal et papal fut ratifié au concile de Latran, le 16 août 1516 ; de sorte que l’on vit des courtisans laïques, des gens de guerre, et même des femmes, maîtresses ou entremetteuses de François Ier, et de ses favoris, posséder prieurés, cures, abbayes, évêchés. Ces étranges bénéficiers faisaient administrer leurs biens ecclésiastiques par des vicaires et emboursaient le produit. François Ier avait mis à l’encan la justice et la religion ; c’était beaucoup, mais point trop, pas même assez pour combler le gouffre de ses prodigalités. Le luxe insensé de ce prince dépassait toute limite ; ainsi, ayant en 1520 (le 7 juin) une entrevue avec Henri VIII, roi d’Angleterre, dans une vallée voisine de la mer, on dressa un camp pour servir de logement à François Ier et à sa cour. Toutes les tentes furent façonnées en étoffes cramoisies doublées de drap d’or ; ce ne furent que galas, fêtes et tournois. Les seigneurs déployèrent à l’envi une magnificence inouïe, dont les vassaux de leurs domaines payèrent les frais. On a dit depuis à cette occasion, en manière de proverbe, que beaucoup de seigneurs portaient, lors du camp du Drap-d’Or, leurs métairies et leurs forêts sur le dos, tant la somptuosité de leurs habits était pour eux ruineuse. Mais Jacques Bonhomme a la vie dure, ses bras sont robustes, sa sueur est féconde ; à force de travaux, il subvenait à peu près au luxe de ses maîtres. La guerre est jeu de prince ; François Ier aimait fort ce jeu sanglant. Était-il las de boire, de chasser, de parader dans les tournois, de courtiser ses maîtresses, de bâtir des palais enchantés, de les combler de tableaux, d’objets d’art d’un prix inestimable, il se harnachait de sa splendide armure de bataille, montait à cheval, et à la tête de sa brillante gendarmerie, tirait l’épée contre ses voisins. Ainsi, en 1521, il déclare la guerre à Charles-Quint, roi d’Espagne, s’empare de Saint-Jean-Pied-de Port et de Pampelune ; mais ces places fortes sont bientôt reprises, et la Navarre conquise aux Espagnols, tandis que le pape Léon X, se tournant contre la France, ainsi qu’autrefois Jules II, s’allie à Charles-Quint pour chasser les Français du Milanais ; le connétable de Bourbon, cousin du roi, se joint à l’ennemi. Les Anglais, les Allemands entrent en Picardie, la ravagent, leur avant-garde s’avance jusqu’à onze lieues de Paris ; les Espagnols assiègent Bayonne ; les Allemands envahissent la Provence, attaquent Marseille. François Ier, au lieu de repousser cette formidable agression, qui met l’étranger au cœur du royaume, s’opiniâtre à aller de nouveau conquérir le Milanais ; malgré l’avis contraire de ses généraux, il assiège Pavie, le 24 février 1525, et après une bataille acharnée, où fut tué le chevalier Bayard, François Ier, fait prisonnier, est conduit en Espagne, et Charles-Quint lui donne le château de Madrid pour prison. Hélas ! depuis la captivité du roi Jean, les peuples savent ce que coûte la rançon de leurs sires ; celle de François Ier fut exorbitante. Il s’engagea, par un traité signé en 1526, à payer onze millions d’écus au roi d’Angleterre (paye… paye, pauvre Jacques Bonhomme ! C’est, tu le vois, un luxe onéreux que les porte-couronnes !) ; de plus, François Ier cède à Charles-Quint la Bourgogne, le Charolais, et renonce à toutes ses prétentions sur le royaume de Naples, sur le duché de Milan, sur la seigneurie de Gênes et autres souverainetés imaginaires.
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