Rois issus de la conquête et sacrés de droit divin par l’Église, votre éternelle complice, vous n’êtes rien que par la volonté de la nation ; la royauté n’est point un pouvoir à jamais acquis et héréditaire, mais une magistrature révocable par les Assemblées nationales, car rien n’est solide ni saint sans leur aveu… »

Oui, fils de Joel, voilà ce qui a été hardiment déclaré à la royauté, à l’Église et aux seigneuries lors de la convocation des États généraux en 1484. La cour, effrayée de leur fière attitude, les dissout ; mais ils se séparent en protestant que le subside n’est voté que pour deux ans, et se réservent de demander un compte sévère de son emploi. Ils déclarent enfin l’impôt levé non de par le bon plaisir et le droit absolu de la royauté, mais par don et octroi volontaire de l’Assemblée nationale. De nouvelles discordes viennent encore épuiser, désoler le pays, nouveaux désastres causés par l’ambition, la cupidité des princes de la famille royale. Le duc d’Orléans dispute la régence à Anne de Beaujeu ; les ducs de Bretagne, de Bourbon, et d’autres princes se liguent avec lui contre la régente, et sauf une trêve de quelques mois, cette guerre civile dure cinq ans. La Bretagne, après la défaite de son duc, est réunie à la couronne de France, en 1491, autant par la force des armes que par le mariage d’Anne, héritière de cet apanage, avec Charles VIII. Bientôt celui-ci rêve une conquête insensée, celle des royaumes de Naples et de Constantinople ; afin de n’être pas inquiété par ses voisins durant les folles guerres qu’il médite, ce prince abandonne le Roussillon au roi d’Espagne Ferdinand-le-Catholique, monstre couronné ; cède l’Artois et la Franche-Comté à Maximilien, empereur d’Allemagne ; et ouvrant ainsi le territoire à l’étranger par l’abandon de ces trois provinces, il renonce aux contrées les plus florissantes de la Gaule pour tenter des conquêtes aussi hasardeuses que lointaines. En 1494, Charles VIII se dispose à entrer en Italie et s’arrête à Lyon pendant quelque temps. J’ai lu dans un récit du temps, par Arnold Ferron (ch. IV, p 75) :

« … Le roi Charles VIII ne parut occupé que de son amour pour les plus belles femmes de Lyon ; il les invitait à ses festins, il leur désignait des retraites secrètes où ces femmes, qu’il avait séduites, devaient le rencontrer ; et il trouvait des hommes parmi la noblesse qui se faisaient avec empressement les ministres et entremetteurs de ses plaisirs. Ainsi il abrégeait les jours par les repas, et les nuits se prolongeaient dans les voluptés. » Après quelques semaines si bien employées, Charles VIII envahit l’Italie à la tête d’une armée composée de soldats de toutes les nations : Français, Allemands, Suisses, Italiens ; dans cette guerre féroce, les envahisseurs, craignant à chaque pas d’être empoisonnés ou assassinés, massacraient leurs prisonniers. Alexandre VI, ce pape infâme, vingt fois meurtrier, se cache au château Saint-Ange à l’arrivée de Charles VIII à Rome ; quelques hommes de bien engagent le roi à faire déposer ce pontife, l’horreur de l’humanité, cet incestueux qui partageait les faveurs de Lucrèce Borgia, sa fille, avec son propre fils à lui ; mais Charles VIII, en bon catholique, demande la bénédiction d’Alexandre VI, conclut un traité avec lui, et marche sur Naples. Son roi, Alphonse II, prend la fuite, et ses États tombent au pouvoir des Français ; leurs capitaines laissés dans le pays comme gouverneurs soulèvent les populations par leurs exactions et leurs cruautés. L’Europe, soulevée contre Charles VIII par la folle témérité de ses agressions, menace la France d’une coalition formidable ; il rassemble en Italie toutes les troupes dont il peut disposer, se dirige vers les Apennins et gagne la bataille de Formose, en 1495. Mais bientôt les Français sont chassés de Naples ; et après tant de trésors dépensés, tant de sang versé pour cette lointaine et stérile conquête, elle échappe enfin à Charles VIII, et il meurt sans enfants à Amboise, à l’âge de vingt-sept ans, le 7 avril 1498.

Charles VIII a pour successeur Louis XII, fils unique de Charles, duc d’Orléans. Il allège quelque peu les impôts lors de son avènement au trône ; et quoique marié avec Jeanne (fille de Louis XI), il demande à l’Église l’annulation de ce premier mariage, afin d’épouser la veuve de Charles VIII. Le pape Alexandre VI, cet exécrable meurtrier qui empoisonnait ses victimes avec des hosties consacrées, accède au désir de Louis XII, et fort de son divin pouvoir de tout lier et de tout délier ici-bas, il prononce le divorce. Le digne fils de ce pape, César Borgia, dont le nom rappelle tous les crimes, est chargé d’apporter à Louis XII la bulle de séparation, et ce Borgia est reçu à la cour de France avec gratitude, vénération et solennité, en véritable prince de l’Église catholique, apostolique et romaine. Louis XII, saisi du même esprit de vertige que ses prédécesseurs, veut tenter à son tour la conquête de l’Italie, prétendant avoir des droits sur le duché de Milan au nom de son aïeule Valentine Visconti, héritière des souverains de cet État. En 1499, une armée française envahit le Milanais ; l’année suivante, Louis XII perd cette conquête, la reprend après de nouveaux combats, pour la reperdre plus tard. Les républiques d’Italie, celles de Gênes et de Venise, entre autres, possédaient d’immenses richesses dues à leur commerce et à leur industrie ; Louis XII, l’empereur d’Allemagne et le roi d’Espagne, envieux de cette opulence républicaine, dont ils veulent se partager les dépouilles, se liguent, le 10 décembre 1508, avec le pape JULES II, pour entreprendre cette pillerie (le pape Alexandre VI était mort empoisonné par un breuvage destiné par lui à deux cardinaux). Gênes et Venise succombent, elles sont mises à rançon après une héroïque résistance contre les forces écrasantes de leurs royaux larrons, assistés du pape. L’accord entre voleurs dure peu : Jules II, pontife sanguinaire, forcené batailleur, toujours casqué, cuirassé, toujours le glaive en main, déchaîne l’Europe contre la France ; Louis XII, au moment de combattre ce saint-père qui ne jurait que par la mort et le massacre, est saisi d’un pieux scrupule ; il lui semble sacrilège de guerroyer le vicaire du Christ ; mais rassuré par l’avis des doctes clercs qu’il consulte, il envoie une armée en Italie. Jules II excommunie les troupes de Louis XII et les combat à outrance ; le chevalier Bayard, grand homme de guerre, extermine à Ferrare les troupes du pape. Celui-ci foudroyant les Français par ses excommunications, à défaut de meilleure artillerie, Louis XII recule devant ces foudres papales, rappelle d’Italie son armée victorieuse, croyant par cette lâche retraite apaiser la colère du pontife. Loin de là, celui-ci, furieux d’avoir été vaincu, jure une haine implacable à la France, pousse contre elle les Suisses, les princes d’Allemagne ; et Louis XII perd, en 1512, toutes ses conquêtes d’Italie. L’année suivante, Jules II devient l’âme d’une nouvelle ligue composée de Henri VIII, roi d’Angleterre, et de Maximilien, empereur d’Allemagne ; les bandes aguerries des cantons suisses se joignent aux troupes de ces deux souverains pour envahir la Gaule. Trente mille Anglais débarquent à Calais ; vingt mille Allemands passent la frontière, s’emparent de Thérouanne, de Tournay ; tandis que vingt mille Suisses entrent en Bourgogne, prennent Dijon et marchent sur Paris. En cette terrible extrémité, Louis XII, voyant l’ennemi au cœur du royaume, est réduit à acheter une paix humiliante au prix d’énormes concessions de territoire. Elle est signée le 10 mai 1514, et pour la consolider, Louis XII, veuf de sa seconde femme, épouse la sœur de Henri VIII, roi d’Angleterre ; il survit peu de temps à cette union, et meurt à Paris le 1er janvier 1515, à cinquante-sept ans, sans laisser de fils.