– La messe, l’adoration des images et des saints, la confession, autant d’idolâtries. – Le clergé n’a pas le monopole de l’administration des sacrements. – Tout chrétien de bonnes vie et mœurs est pasteur. – Les sacrements sont réduits à trois : le Baptême, la Pénitence et la Communion. – Les vœux monastiques, le célibat des prêtres, autant d’insultes à la raison, à la nature et à la volonté divine. – Le pape est l’Antéchrist ; – Rome, une Babylone moderne où vient affluer l’argent de la chrétienté, subtilisé par les jongleries des moines et les piperies ecclésiastiques. – Les biens immenses du clergé doivent être employés : – à l’entretien d’écoles gratuites établies dans les anciens couvents ; – à secourir les vieillards, les infirmes et les malades ; – à l’éducation des orphelins ; – à venir en aide aux étrangers nécessiteux ; – à rémunérer modestement les ministres du culte réformé. »
La voix tonnante de Luther eut, en Allemagne, un immense écho ; ses partisans devinrent innombrables. Le pape lui ordonna de se rendre à Rome afin d’y être jugé ; c’était inviter le réformateur à monter volontairement sur le bûcher, ce dont il se garda, continuant de prêcher la réforme, soutenu par la majorité des princes de l’Empire, non moins las du joug pontifical que les peuples. La France aussi s’émut à la voix de Luther, les uns voulant seulement mettre un terme aux effroyables abus de l’Église ; les autres, en plus petit nombre, espérant, à la faveur de la réforme religieuse, poursuivre les réformes politiques tentées de siècle en siècle avant et depuis la mort d’Étienne Marcel. Ces idées émancipatrices, semées d’âge en âge par les insurrections contre le pouvoir royal, ont germé, fructifié. Jacques Almain a écrit en ce temps-ci :
« – La puissance des rois procède des peuples ; Dieu ne l’a pas conférée immuablement à certaines personnes. » (Œuv. d’Alm., p. 17)
Guillaume Pépin a dernièrement écrit : « – Les rois prodigues et cruels qui attentent à la liberté de leurs sujets rendent ainsi les révoltes légitimes ; car les sujets ont pour eux LE DROIT DIVIN QUI CRÉA LA LIBERTÉ. » – Et Guillaume Pépin ajoute : « – Que les rois se sont associé les nobles, comme Lucifer s’est associé les démons. » – Ceci peut se lire dans le livre intitulé : Sermones de destructione Ninivæ, imprimé par moi, Christian Lebrenn, à Paris, en 1525, chez maître Robert Estienne.
Le besoin de s’affranchir du triple joug de la noblesse, de l’Église et de la royauté, n’est pas seulement commun à l’Allemagne, à la Gaule ; un chancelier du roi d’Angleterre, un écrivain profond, nommé Thomas More, dans son UTOPIE, a jeté les bases d’une république modèle : « – Dans ce pays d’Utopie, chacun exercera son culte selon sa conscience ; les nobles et les prêtres, dépouillés de leurs privilèges exorbitants, n’ayant d’autres droits que ceux des citoyens, ne posséderont plus, au détriment des peuples, tous les biens de la terre ; chacun jouira des fruits de son travail, selon cette parole du Christ : Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger. »
Enfin la révolution religieuse fait de tels progrès en Angleterre, que Henri VIII rejette l’autorité du pape ; la chambre des lords et des communes a reconnu, par un édit récent, Henri VIII chef de l’Église anglicane, presque entièrement conforme aux principes posés par Luther. En Gaule, les Vaudois du Midi, descendants des Albigeois qui, des siècles avant le luthérianisme, s’étaient séparés de l’Église de Rome, afin de pratiquer l’Évangile dans sa pureté primitive, ont longtemps échappé à la persécution, grâce à leur petit nombre, à leur prudence, à leur modération ; mais aujourd’hui, la réforme se propage en France, ils vont être sans doute, ainsi que les autres réformés, victimes de leur insurmontable horreur pour la communion catholique. François Ier, la noblesse, le clergé, le parlement, la Sorbonne, grand nombre de bourgeois, se montrent implacables envers l’hérésie pour plusieurs raisons : d’abord ils se partagent les dépouilles des hérétiques ; ensuite, depuis que François Ier s’est réservé la distribution ou la vente des bénéfices ecclésiastiques, il est peu de familles de courtisans, du parlement, ou de la riche bourgeoisie, qui ne jouissent de la totalité ou d’une portion du revenu d’un évêché, d’un prieuré, d’un abbaye, d’une prébende, d’une cure ; or, la réforme attaquant, non par la violence, mais par le raisonnement et par la persuasion, les scandaleux abus de ces bénéfices, ceux-là qui en jouissent perdraient, si la raison triomphait, les profits dont ils s’enrichissent ; enfin, la royauté, le clergé, la noblesse, sentent vaguement leur existence menacée par les idées nouvelles : nier, au nom de la raison, l’autorité du pape, source de tout droit, de tout pouvoir… du pape, qui sacre les rois, n’est-ce-pas nier tôt ou tard la royauté ? nier la royauté, n’est-ce pas nier la seigneurie, son principal soutien, et comme elle procédant des sanglantes iniquités de la conquête franque ? Telles sont les causes de la fureur des ennemis du luthérianisme ; l’orgueil, la cupidité, l’amour du pouvoir absolu, sont leurs seuls mobiles ; ce qu’ils défendent, ce sont leurs privilèges, c’est leur superbe, mais non la foi. Les hérétiques, ainsi qu’on les appelle, ne reconnaissent-ils pas les bases immuables du catholicisme : le mystère de la Trinité, la divinité du Christ, la rédemption par l’Eucharistie, et jusqu’au péché originel ? Malheureusement, le peuple, superstitieux et crédule par suite de son ignorance, est complètement sous la domination et l’inspiration des moines ; ils affectent de parler son grossier langage, ils excitent, ils exploitent ses mauvaises passions, ils lui peignent les hérétiques sous les couleurs les plus mensongères, les plus effroyables. Cependant, les hommes honnêtes, éclairés, de toutes les classes, – hélas ! il est vrai, peu nombreux, – se montrent ouvertement ou tacitement partisans de la réforme, selon que leur position leur permet ou non de braver le péril. La princesse Marguerite, sœur de François Ier, femme d’un grand sens et d’un noble esprit, affiche hautement son penchant pour les idées nouvelles, auxquelles se sont ralliés quelques seigneurs, beaucoup de gens de lettres, d’avocats, de riches bourgeois, d’artistes, d’industrieux commerçants. Le premier martyr de la réforme a été de notre temps un pauvre cardeur de laine, natif de Meaux, nommé Jean Leclerc ; soulevé, comme tous les gens de bien, par la vente des indulgences, il afficha sur les murs de la cathédrale un placard où il flétrissait cet infâme trafic. Jean Leclerc fut arrêté, battu de verges, marqué d’un fer chaud et proscrit ; il se réfugia dans la ville de Metz, y prêcha hautement la foi évangélique. Arrêté de nouveau et couronné d’un cercle de fer rouge, comme Guillaume Caillet, le chef des Jacques, il périt sur le bûcher. Les œuvres de Luther ont été, d’après l’ordre de François Ier, livrées aux flammes par la main du bourreau sur le parvis Notre-Dame. Un gentilhomme du pays d’Artois, Louis de Berquin, ayant écrit un livre pour soutenir le luthérianisme, a été brûlé vif à Paris, le 22 avril 1529, sur la place Maubert ; et brûlés aussi : un cordelier à Vienne en Dauphinois, et un curé à Seez, tous deux partisans de la réforme ; enfin, à Toulouse, l’Inquisition a célébré il y a deux ans (le 31 mars 1532) un auto-da-fé où trente-deux hérétiques ont péri par le feu. Malgré ces supplices, préludes d’une persécution sans merci ni pitié, le nombre des réformés va s’augmentant chaque jour dans l’ombre et le secret. L’on parle beaucoup aujourd’hui d’un jeune homme, ancien disciple de l’université de Bourges ; il paraît destiné à devenir le Luther de la France. Fils d’un procureur fiscal et notaire apostolique de Noyon, il se nomme JEAN CALVIN. À peine âgé de douze ans, il jouissait déjà d’une cure et d’une prébende dépendant de la cathédrale, obtenue grâce à l’influence que donnait à son père sa position de notaire apostolique ; Jean Calvin, curé prébendier à douze ans, offrait l’un des mille exemples des ridicules et scandaleuses conséquences de la distribution des bénéfices ecclésiastiques. Loin de profiter de cet avantage, contre lequel se révoltaient sa conscience, son sens droit, son inflexible raison, Jean Calvin, refusant les avantages pécuniaires de la cure et de la prébende dont son enfance avait été gratifiée, embrassa vaillamment, ardemment, le luthérianisme. En 1532, il publia un beau livre, commentaire du traité de Sénèque sur la Clémence ; il adressa cette œuvre, d’une mâle éloquence, à François Ier, comme une sévère protestation contre les persécutions religieuses. L’immense érudition de Calvin, son impitoyable logique, portèrent de rudes coups à l’Église catholique.
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