La Sorbonne et le parlement décrétèrent contre lui ; il fut obligé de fuir pour échapper à une condamnation. Les uns prétendent qu’il à quitté la France ; d’autres, qu’il voyage secrètement de ville en ville au péril de ses jours, et que son zèle, son activité, l’ardeur de sa foi, gagnent de nombreux adhérents à la réforme.
Tel est, fils de Joel, en cette année 1534, vers le milieu de laquelle commence la légende suivante : « LA BIBLE DE POCHE, » tel est l’état des choses en Gaule sous le roi François Ier.
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Allan Lebrenn, petit-fils de Mahiet-l’Avocat d’armes, témoin du martyre de Jeanne Darc, quitta Vaucouleurs en 1461. Après la mort de son père, il trouva difficilement à gagner sa vie dans l’exercice de son métier de copiste et de peintre en manuscrits, les progrès rapides de l’imprimerie rendant inutiles les livres écrits, toujours si coûteux. Jean Saurin, maître imprimeur de Paris, s’étant, lors de son passage à Vaucouleurs, vivement intéressé à Allan Lebrenn, et frappé de son intelligence, lui proposa de le suivre à Paris et de lui faciliter les moyens de devenir artisan d’imprimerie ; notre aïeul accepta et réussit au mieux dans sa nouvelle carrière. Il se maria vers 1465 et mourut en 1474, laissant un fils, Mélar Lebrenn (né en 1466), qui fut mon père. Il travailla longtemps aussi dans l’imprimerie de Jean Saurin ; mais après la mort de celui-ci, mon père, qui s’était marié (en 1495) et avait un fils (moi, Christian, né en 1496) et deux filles, nées durant les années suivantes, fut congédié par le successeur de Jean Saurin, nommé Noël Compaing. Cet homme, forcené catholique, irrité de ce qu’il appelait l’incrédulité de mon père, le poursuivit d’odieuses calomnies, le signalant aux autres membres de la corporation des imprimeurs comme un artisan inhabile dans sa profession et comme un homme sans probité ; mon père, sous le coup de ces accusations mensongères, vit peu à peu le travail lui manquer ; ses épargnes suffirent d’abord aux besoins de sa femme et de ses enfants ; mais repoussé de tous ceux qui auraient pu l’occuper, ses ressources s’épuisèrent, il ne possédait plus rien au monde, sinon les légendes et les reliques de notre famille. Il tenta, dans son désespoir, une dernière chance de salut ; il connaissait de renom maître HENRI ESTIENNE, le plus célèbre imprimeur du siècle passé ; l’on vantait sa bonté à l’égal de son savoir ; mon père résolut de s’adresser à lui, le trouva, ainsi qu’il s’y attendait, rempli de préventions à son égard par suite des odieux propos de maître Compaing ; après avoir exposé les causes de la haine de ce méchant homme, mon père offrit à Henri Estienne de le mettre à l’essai comme artisan d’imprimerie ; son offre acceptée, il fit montre d’une telle habileté, soit comme compositeur, soit comme correcteur d’épreuves, que maître Henri Estienne, reconnaissant la fausseté des accusations portées contre mon père en ce qui touchait la pratique de sa profession, le jugea également calomnié en ce qui touchait sa probité, s’intéressa d’autant plus à lui qu’il le savait victime d’indignes calomnies, lui confia divers travaux, et bientôt l’affectionna singulièrement, non moins pour son mérite d’artisan que pour la droiture et la bonté de son cœur. Mes deux sœurs furent emportées par la contagion qui sévit à Paris en 1512 ; ma mère leur survécut peu de temps ; je perdis mon père, Mélar Lebrenn, en 1519, trois ans après mon mariage avec ma bien-aimée femme, Brigitte Ardouin, broderesse en fil d’or et d’argent. Je suis entré dans l’imprimerie de maître Henri Estienne à l’âge de douze ans comme apprenti ; après la mort de cet homme vénéré, j’ai continué d’être employé par son fils, maître ROBERT ESTIENNE. Héritier des vertus de son père, il le surpasse dans la science ; ses éditions des auteurs de l’antiquité, grecs, hébreux ou latins, sont l’admiration des érudits, par la correction du texte, la rare beauté des caractères et la perfection de l’impression ; il a aussi publié, en petit format dit de poche, l’Ancien et le Nouveau Testament, traduits en français, véritable chef-d’œuvre typographique. Maître Robert Estienne m’a toujours témoigné autant d’estime que d’intérêt ; je lui suis attaché par les liens d’une inaltérable reconnaissance, son père a sauvé le mien d’un abîme de misère et de désespoir.
Trois enfants sont nés de mon mariage avec Brigitte ; elle m’a donné un fils en 1516, il a aujourd’hui dix-huit ans ; une fille en 1518, aujourd’hui âgée de seize ans ; et un dernier enfant en 1520, qui touche à sa quinzième année. Il se nomme Odelin, il est apprenti chez maître Raimbaud, l’un des plus célèbres armuriers de Paris ; mon fils aîné, ainsi que moi artisan d’imprimerie, s’appelle Hervé, en mémoire du nom du père de sa mère ; et j’ai donné à ma fille le nom d’Hêna, en souvenir de notre aïeule la vierge de l’île de Sên.
Hélas ! fils de Joel, il me faut un grand courage pour écrire cette légende ; elle va raviver des blessures récentes et saignantes encore au plus profond de mon cœur ; mais les faits que je vais vous raconter peignent avec une terrible énergie les temps maudits où nous vivons. C’est pour moi un impérieux devoir de les faire connaître à notre descendance dans leur effrayante réalité.
L’AUTEUR AUX ABONNÉS DES MYSTÈRES DU PEUPLE
CHERS LECTEURS,
Nous abordons l’histoire du seizième siècle, où s’est produit l’un des faits capitaux de nos annales plébéiennes : la grande réforme religieuse qui donna naissance au luthérianisme, au calvinisme, et autres Églises évangéliques, désormais séparées de l’Église catholique, apostolique et romaine ; ces sectes dissidentes forment ce que l’on appelle aujourd’hui : le protestantisme.
Quelques citations empruntées, selon notre coutume, à des documents historiques d’une incontestable autorité, garantiront la scrupuleuse réalité de notre récit et nous mettront à même d’examiner sommairement ces trois points d’une extrême importance :
– Des causes de la réforme religieuse au seizième siècle.
– Du caractère des guerres religieuses.
– Des conséquences morales, civiles et politiques de la réforme.
DES CAUSES DE LA RÉFORME.
Il est un fait hors de toute discussion, un fait acquis au libre domaine de l’histoire : les monstruosités commises par certains papes, entre autres ALEXANDRE VI et JULES II ; les abus, les exactions, les scandales du clergé soulevèrent, au commencement du seizième siècle, l’indignation des gens de bien, laïques ou ecclésiastiques ; jamais heure ne fut plus propice à l’avènement de cette réforme, dont les Ariens, les Pélagiens, les Albigeois, les Vaudois, furent, ainsi que vous l’avez vu, d’âge en âge, les courageux précurseurs : la mesure comblée, un pape la fit déborder ; cependant, ce pontife n’était ni un féroce batailleur comme JULES II, ni un exécrable incestueux comme ALEXANDRE VI, qui partageait les horribles faveurs de sa fille, Lucrèce Borgia, avec le cardinal Borgia, frère de cette créature ; non, LÉON X, homme d’un caractère aimable, facile, d’un esprit cultivé, sceptique, railleur, de mœurs libertines, se livrait à une prodigalité effrénée, de sorte qu’à bout de ressources, il imagina de battre monnaie en vendant des indulgences à la chrétienté. Nous ne vous citerons pas à ce sujet, chers lecteurs, des écrivains laïques, mais des auteurs ecclésiastiques.
Nous lisons, dans l’Histoire du Luthérianisme, par le père LOUIS MAIMBOURG (Paris, 1680, in-4°) :
« La créance des catholiques a toujours esté, que le fils de Dieu a donné à son Église le pouvoir de délier le pécheur pénitent, non-seulement des liens de ses péchés, par le mérite de la passion de Jésus-Christ, qu’on lui applique au sacrement de pénitence ; mais aussi des liens de la peine qu’il devrait subir en ce monde ou en l’autre, afin de satisfaire à la justice divine pour les péchés qu’il commet après le baptême. C’est ce qui s’appelle INDULGENCES ; l’on ne la donne jamais qu’en satisfaisant pleinement à Dieu, par le prix infini des souffrances de son fils qu’on luy offre pour le payement de cette dette. (P. 5.)
» Cet usage, qui a toujours persévéré dans l’Église après les persécutions, se trouve autorisé, non-seulement par les anciens papes, mais aussi par les conciles de, etc., etc. (P. 6.)
» De plus, les pasteurs de l’Église, et surtout les papes, souverains dispensateurs de ce trésor, le peuvent appliquer aux vivants, par la puissance des clefs, et aux morts, par voye de suffrage, pour les délivrer de la peine due à leurs péchés, en tirant, et offrant à Dieu de ce trésor, autant qu’il en faut pour satisfaire à cette dette. (P. 6.)
» Il faut avouer, néanmoins que, comme l’on peut abuser des choses les plus saintes, et le plus saintement établies, il s’est aussi glissé, de tout temps, d’assez grands abus dans la distribution de ces grâces de l’Église, ou de ces indulgences…
» Celuy qui remplissoit alors (1517) depuis environ cinq ans le siège de saint Pierre, estoit Léon X, de la très-illustre maison de Médicis, duquel on peut dire fort véritablement : qu’ayant esté élevé par la faction des jeunes cardinaux à cette dignité suprême de l’Église, à l’âge de trente-sept ans, il y fit éclater toutes les perfections d’un grand prince, sans avoir toutes celles d’un grand pape ; or, comme son inclination naturelle le portoit à tout ce qu’il y avoit de grand et de magnifique, il avoit entrepris d’achever le superbe édifice de la basilique de Saint-Pierre, et de remplir son épargne épuisée par ses dépenses excessives, beaucoup plus dignes d’un puissant monarque de la terre que d’un pontife, il eut recours, à l’exemple du pape Jules II, aux INDULGENCES, qu’il fit publier par toute la chrétienté. (P. 9.)
» Il y a des auteurs qui assurent que l’on mit en quelque manière ces indulgences en parti (en ferme), et que, pour avoir promptement de l’argent comptant, on afferma tout ce que l’on en pouvoit tirer à ceux qui en donnoient le plus, et qui ensuite, non-seulement pour se rembourser, mais aussi pour s’enrichir par un commerce si honteux (p 9), faisoient choisir des prédicateurs d’indulgences et des questeurs, qu’ils croyoient les plus propres (étant bien payés) à faire en sorte que le peuple, pour gagner ces pardons, contribuast tout ce que ces avares et sacrilèges partisans en prétendoient tirer. (P. 10.)
» Quelques-uns de ces prédicateurs ne manquèrent pas aussi de leur costé, comme il arrive assez souvent, d’outrer le sujet qu’ils traitoient, et d’exagérer tellement le prix et la valeur des indulgences, qu’ils donnèrent occasion au peuple de croire : qu’on estoit assuré de son salut, et de délivrer les âmes du purgatoire aussitôt qu’on avoit donné l’argent qu’on demandoit pour les lettres qui témoignoient qu’on avoit gagné l’indulgence ; ce qui causa sans doute du scandale. Mais ce qui l’augmenta beaucoup, et qui pensa plus d’une fois exciter de grands troubles parmi le petit peuple, fut qu’on voyoit les commis de ces partisans qui avoient acheté le profit de ces indulgences, faire tous les jours grande chère dans les cabarets, et employer en toutes sortes de débauches une partie de cet argent, que les pauvres disoient leur être cruellement ravi, puisqu’on faisoit, par cette espèce de trafic et de vente des indulgences, une grande diversion des aumônes qu’on leur eust faites. » (P 10-12.)
Nous avons entendu le père LOUIS MAIMBOURG ; écoutons maintenant un autre écrivain ecclésiastique, de qui la parole a toujours fait loi dans l’histoire de l’Église.
Nous lisons, dans l’HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE de M. l’abbé Fleury, t. XXV, depuis l’an 1508 jusqu’en 1550 : (Paris, 1729, in-4°.)
« Léon X, qui aimait la dépense, ne trouvoit ni dans les revenus de l’État ecclésiastique, ni dans ceux qu’il recevoit des autres provinces chrétiennes, de quoi se satisfaire ; il fut donc obligé d’avoir recours à des voyes extraordinaires ; il accorda à tous ceux qui voudroient contribuer à l’édifice de Saint-Pierre, des indulgences à des conditions si aisées, qu’il auroit fallu n’être guère soigneux de son salut pour ne le pas gagner. (P. 476.) Cependant, afin d’établir quelque ordre dans la levée de l’argent qui devoit en provenir, toute la chrétienté fut divisée en divers départements, et l’on établit dans chacun des collecteurs pour recevoir l’argent ; de plus, on fit choix de certains prédicateurs qui étoient chargés d’instruire le peuple de la vertu des indulgences et des dispositions nécessaires pour les gagner.
»…… Ces prédicateurs (les dominicains) furent accusés d’outrer la matière, de trop exagérer le pouvoir des indulgences, et d’énerver entièrement les travaux de la pénitence, en sorte qu’ils estoient soupçonnés de persuader au peuple qu’on estoit assuré de son salut, aussitôt qu’on auroit compté l’argent nécessaire pour gagner l’indulgence.
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