Il n’est pas sorti de la province et s’est retiré dans le pays Nantais, où il fait aller ses créanciers pour les payer, ou en argent, ou en assignation, ou en leur rendant les denrées qu’il n’avait pas encore vendues, etc., etc.
» LE DUC DE CHAULNES. »
Cette exécution épiscopale, ainsi que le dit M. de Chaulnes, ces ministres du Seigneur transformés en recors, en sergents, et devenant des garnisaires aux ordres de leur évêque, encore une fois, ne serait-ce pas d’un comique achevé, si, répétons-le, l’indignation générale que soulevaient de pareilles turpitudes n’avait éclaté en une guerre civile sanglante et désastreuse. L’insurrection des paysans grandissait de jour en jour. Ils commençaient à attaquer les gentilshommes, et M. de Guémadeuc, évêque de Saint-Malo, écrivait de son côté à Colbert (le 21 juin 1675).
« …… Il y a eu aussi, Monsieur, quelque émotion dans la Basse-Bretagne qui est présentement apaisée ; mais comme il est fâcheux qu’une personne comme M. le marquis de la Coste, qui porte le caractère du roi, y ait été attaquée et blessée par la canaille, il sera peut-être nécessaire, quand tout sera bien calme ici, que M. le duc de Chaulnes, en attendant ses États, aille aussi faire un petit tour en ce pays-là, pour y achever de rétablir le repos et la tranquillité des peuples…… »
M. de Chaulnes écrivait à Colbert le 29 juin 1675 :
« …… Les communes s’étaient séparées depuis le 8 de ce mois, qu’elles se soulevèrent, ainsi que les peuples en cette ville (Quimper), mais elles ne laissaient pas d’être toujours dans une grande agitation et même contre leurs CURÉS qu’ils accusent de trahison. M. le marquis de la Roche, gouverneur de Quimper, m’écrit que le 23, plusieurs paroisses s’assemblèrent, quoique sans tocsin, et qu’elles attaquèrent la maison d’un gentilhomme qui fut blessé de plusieurs coups ; qu’elles pillèrent ensuite un bureau particulier du papier timbré qui est aujourd’hui l’objet de leur soulèvement, et il m’assure que la misère est si grande parmi ces peuples, que l’on doit beaucoup appréhender le suites de leur rage et de leur brutalité ; il m’a prié de suspendre le dessein que je lui mandais avoir de m’approcher de lui par l’alarme que donnerait inutilement cette nouvelle, puisque je ne suis pas en état de réduire ces peuples par la force des armes, et comme en mon absence de cette ville ces bruits de Basse-Bretagne pourraient y produire de méchants effets. J’emploie, cependant, tous mes soins pour calmer ces peuples de Cornouailles, par tout ce que l’on peut leur faire insinuer de l’espérance d’un prompt soulagement par les États. Ce qui anime ces esprits, cette année, contre les édits, et particulièrement du papier timbré, c’est qu’il est certain que l’espèce manque en cette province, et que cet édit tire l’argent le plus net, pendant que les peuples souffrent de beaucoup de nécessités. Ce qui le prouve est que les peuples de la campagne ne se sont jamais opposés à cet édit que depuis quelques mois. Je suis entièrement à vous.
» LE DUC DE CHAULNES. »
Est-ce clair ?
Le gouverneur de Bretagne, naturellement enclin, ainsi que tous les fonctionnaires, à dissimuler en partie la vérité lorsqu’elle peut déplaire au maître, avoue que ces populations sont poussées à bout par une misère atroce ; que l’espèce (l’argent) manque en Bretagne ; enfin, que l’irritation populaire est si formidable, qu’il ne faut pas espérer, quant au présent, de réduire les insurgés par la force, mais les apaiser par une indigne tromperie, en leur insinuant l’espérance d’un prompt soulagement par la réunion des États (du parlement) de Bretagne. Cependant, ainsi que cela se rencontre d’ordinaire, les ministres résidant à Versailles, Letellier et son fils, l’impitoyable Louvois, ne connaissent pas au vrai l’état des esprits et des choses, mandaient au gouverneur de Bretagne de châtier cette canaille. Ce à quoi il répondit :
Rennes, ce 30 juin 1675.
« …… M. Letellier m’envoya hier une lettre de cachet par laquelle Sa Majesté ordonne que les archers de Normandie se rassemblent pour venir en cette province châtier la révolte, et M. de Louvois me mande que si je n’en ai pas besoin, je puis les renvoyer (les archers). Si cet ordre s’exécute, nous allons passer de la tranquillité où est cette ville à de plus grands désordres que les précédents, et les premières nouvelles de Normandie sur l’assemblée de dits archers sont capables, non seulement d’exciter une nouvelle sédition dans cette ville, mais de soulever toute la campagne.
»…… En l’évêché de Quimper, les paysans s’attroupent tous les jours ; toute leur rage est présentement contre les gentilshommes dont ils ont reçu des mauvais traitements. IL EST CERTAIN QUE LA NOBLESSE A TRAITÉ FORT DUREMENT LES PAYSANS. Ils s’en vengent présentement et ont exercé déjà vers cinq ou six de très-grandes barbaries, les ayant blessés, pillé leurs maisons et même brûlé quelques-unes. Les dernières nouvelles marquaient qu’ils étaient presque toujours armés. Mais l’on me doit envoyer un exprès qui m’en apprendra toutes les particularités sur lesquelles l’on pourra prendre des mesures…
» LE DUC DE CHAULNES. »
Encore un aveu échappé à M. de Chaulnes. – Il est certain que la noblesse a traité fort rudement les paysans. Cet aveu des légitimes griefs des vassaux bretons contre la noblesse et le clergé, nous allons le voir réitéré, aggravé, dans une série de dépêches de M. de Chaulnes, de M. l’évêque de Saint-Malo lui-même, et de M. le marquis de Lavardin.
Nous citerons sans commentaire :
« …… J’apprends, Monsieur, depuis ma lettre écrite, que les peuples qui se sont soulevés vers Quimper, continuent leurs attroupements et exercent beaucoup de violences contre les gentilshommes des mauvais traitements desquels ils se plaignent. Si cela continue, je fais dessein d’aller au Port-Louis, pour voir le remède que l’on y peut apporter. (Dépêche de M. DE CHAULNES, Rennes, 1er juillet 1675.)
« …… Je vous mandai, Monsieur, par ma dernière lettre, que les soulèvements des peuples de l’évêché de Quimper continuaient. Ils sont presque toujours sous les armes qu’ils tournent contre la noblesse, dont il est CERTAIN QU’ILS ONT REÇU DEPUIS LONGTEMPS DE RUDES TRAITEMENTS. Je pars demain pour le Port-Louis, d’où je crois pouvoir donner de plus prompts remèdes à des maux qu’un plus long temps rendrait plus difficiles à guérir. J’ai fait précéder ma marche par tout ce qui peut contribuer à remettre ces esprits, non seulement brutaux, mais cruels et inhumains. Ils en ont donné des marques en plusieurs rencontres depuis cette sédition et, passant de la superstition AU MÉPRIS DES PRÊTRES, ils ont commis des inhumanités peu pratiqués parmi les barbares. »
(Dépêche de M. DE CHAULNES. Rennes, 3 juillet 1675)
« …… M. de Chaulnes a cru que la tranquillité de Rennes était assez bien rétablie pour aller du côté de la Basse-Bretagne. Il arrive aujourd’hui au Port-Louis. Les paysans sont encore attroupés en quelques endroits aux environs de Quimper-Corentin, et même ont menacé cette ville-là. Il paraît que leur colère tourne plus encore contre les gentilshommes que contre l’autorité du roi. ILS ONT RENDU À QUELQUES-UNS LES COUPS DE BÂTON QU’ILS EN AVAIENT REÇUS ; et, comme c’est une coutume assez rude pour les paysans, que nous appelons usement de Broërek, qui ôte la propriété des héritages aux paysans, ils se font donner des quittances des arrérages qu’ils doivent de ces domaines congéables. Ces tumultes n’ont eu lieu encore que dans l’évêché de Cornouailles et très-peu en celui de Léon. Les habitants de Guéméné ont fait quelques violences assez fortes ; jusques à présent les villes de madame de Rohan se contiennent dans le devoir. »
(Dépêche de M. DE LAVARDIN.
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