Cette désinstruction fut lente et difficile ; elle me fut plus utile que toutes les instructions imposées par les hommes, et vraiment le commencement d'une éducation.

Tu ne sauras jamais les efforts qu'il nous a fallu faire pour nous intéresser à la vie ; mais maintenant qu'elle nous intéresse, ce sera comme toute chose – passionnément.

 

Je châtiais allégrement ma chair, éprouvant plus de volupté dans le châtiment que dans la faute – tant je me grisais d'orgueil à ne pas pécher simplement.

 

Supprimer en soi l'idée de mérite ; il y a là un grand achoppement pour l'esprit.

 

... L'incertitude de nos voies nous tourmenta toute la vie. Que te dirais-je ? Tout choix est effrayant, quand on y songe : effrayante une liberté qui ne guide plus un devoir. C'est une route à élire dans un pays de toutes parts inconnu, où chacun fait sa découverte et, remarque-le bien ne la fait que pour soi ; de sorte que la plus incertaine trace dans la plus ignorée Afrique est moins douteuse encore... Des bocages ombreux nous attirent ; des mirages de sources pas encore taries... Mais plutôt les sources seront où les feront couler nos désirs ; car le pays n'existe qu'à mesure que le forme notre approche, et le paysage à l'entour, peu à peu, devant notre marche se dispose ; et nous ne voyons pas au bout de l'horizon ; et même près de nous ce n'est qu'une successive et modifiable apparence. Mais pourquoi des comparaisons dans une matière si grave ? Nous croyons tous devoir découvrir Dieu. Nous ne savons, hélas ! en attendant de Le trouver, où nous devons adresser nos prières. Puis on se dit enfin qu'il est partout, n'importe où, l'Introuvable, et on s'agenouille au hasard.

Et tu seras pareil, Nathanaël, à qui suivrait pour se guider une lumière que lui-même tiendrait en sa main.

 

Où que tu ailles, tu ne peux rencontrer que Dieu. – Dieu, disait Ménalque : c'est ce qui est devant nous.

Nathanaël, tu regarderas tout en passant, et tu ne t'arrêteras nulle part. Dis-toi bien que Dieu seul n'est pas provisoire.

 

Que l'importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.

 

Tout ce que tu gardes en toi de connaissances, distinctes restera distinct de toi jusques à la consommation des siècles. Pourquoi y attaches-tu tant de prix ?

 

Il y a profit aux désirs, et profit au rassasiement des désirs – parce qu'ils en sont augmentés. Car, je te le dis en vérité, Nathanaël, chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet même de mon désir.

 

Pour bien des choses délicieuses, Nathanaël, je me suis usé d'amour. Leur splendeur venait de ceci que j'ardais sans cesse pour elles. Je ne pouvais pas me lasser. Toute ferveur m'était une usure d'amour, une usure délicieuse.

Hérétique entre les hérétiques, toujours m'attirèrent les opinions écartées, les extrêmes détours des pensées, les divergences. Chaque esprit ne m'intéressait que par ce qui le faisait différer des autres. J'en arrivai à bannir de moi la sympathie, n'y voyant plus que la reconnaissance d'une émotion commune.

Non point la sympathie, Nathanaël, – l'amour.

 

Agir sans juger si l'action est bonne ou mauvaise. Aimer sans s'inquiéter si c'est le bien ou le mal.