Nathanaël, je t'enseignerai la ferveur.

 

Une existence pathétique, Nathanaël, plutôt que la tranquillité. Je ne souhaite pas d'autre repos que celui du sommeil de la mort. J'ai peur que tout désir, toute énergie que je n'aurais pas satisfaits durant ma vie, pour leur survie ne me tourmentent. J'espère, après avoir exprimé sur cette terre tout ce qui attendait en moi, satisfait, mourir complètement désespéré.

 

Non point la sympathie, Nathanaël, l'amour. Tu comprends, n'est-ce pas, que ce n'est pas la même chose. C'est par peur d'une perte d'amour que parfois j'ai pu sympathiser avec des tristesses, des ennuis, des douleurs que sinon, je n'aurais qu'à peine endurés. Laisse à chacun le soin de sa vie.

 

(Je ne peux écrire aujourd'hui parce qu'une roue tourne en la grange. Hier je l'ai vue ; elle battait du colza. La balle s'envolait ; le grain roulait à terre La poussière faisait suffoquer. Une femme tournait la meule. Deux beaux garçons, pieds nus, récoltaient le grain.

Je pleure parce que je n'ai rien de plus à dire.

Je sais qu'on ne commence pas à écrire quand on n'a rien de plus à dire que ça. Mais j'ai pourtant écrit et j'écrirai encore d'autres choses sur le même sujet.)

*

Nathanaël, j'aimerais te donner une joie que ne t'aurait donnée encore aucun autre. Je ne sais comment te la donner et pourtant, cette joie, je la possède. Je voudrais m'adresser à toi plus intimement que ne l'a fait encore aucun autre. Je voudrais arriver à cette heure de nuit où tu auras successivement ouvert puis fermé bien des livres cherchant dans chacun d'eux plus qu'il ne t'avait encore révélé ; où tu attends encore ; où ta ferveur va devenir tristesse, de ne pas se sentir soutenue. Je n'écris que pour toi ; je ne t'écris que pour ces heures. Je voudrais écrire tel livre d'où toute pensée, toute émotion personnelle te semblât absente, où tu croirais ne voir que la projection de ta propre ferveur. Je voudrais m'approcher de toi et que tu m'aimes.

 

La mélancolie n'est que de la ferveur retombée.

 

Tout être est capable de nudité, toute émotion, de plénitude.

 

Mes émotions se sont ouvertes comme une religion. Peux-tu comprendre cela : toute sensation est d'une présence infinie.

 

Nathanaël je t'enseignerai la ferveur.

Nos actes s'attachent à nous comme sa lueur au phosphore. Ils nous consument, il est vrai, mais ils nous font notre splendeur.

Et si notre âme a valu quelque chose, c'est qu'elle a brûlé plus ardemment que quelques autres.

Je vous ai vus, grands champs baignés de la blancheur de l'aube ; lacs bleus, je me suis baigné dans vos flots – et que chaque caresse de l'air riant m'ait fait sourire, voilà ce que je ne me lasserai pas de te redire, Nathanaël. Je t'enseignerai la ferveur.