Où sont, Nathanaël, dans nos voyages

De nouveaux fruits pour nous donner d'autres désirs ?

*

Il y en a que nous mangerons sur des terrasses.

Devant la mer et devant le soleil couchant.

Il y en a que l'on confit dans de la glace

Sucrée avec un peu de liqueur dedans.

 

Il y en a que l'on cueille sur les arbres

De jardins réservés, enclos de murs,

Et que l'on mange à l'ombre dans la saison estivale.

On disposera de petites tables ;

Les fruits tomberont tout autour de nous

Dès qu'on agitera les branches

Où les mouches engourdies se réveilleront.

Les fruits tombés, on les recueillera dans des jattes

Et leur parfum déjà suffirait à nous charmer.

 

Il y en a dont l'écorce tache les lèvres et que l'on ne mange que lorsqu'on a très soif.

Nous les avons trouvés le long des routes sablonneuses ;

Ils brillaient à travers le feuillage épineux

Qui déchira nos mains lorsque nous voulûmes les prendre ;

Et notre soif n'en fut pas beaucoup étanchée.

 

Il y en a dont on ferait des confitures

Rien qu'à les laisser cuire au soleil.

Il y en a dont la chair malgré l'hiver demeure sure ;

De les avoir mordus les dents sont agacées.

Il y en a dont la chair parait toujours froide, même l'été.

On les mange accroupi sur des nattes,

Au fond de petits cabarets.

 

Il y en a dont le souvenir vaut une soif

Dès qu'on ne peut plus les trouver.

*

Nathanaël, te parlerai-je des grenades ?

On les vendait pour quelques sous, à cette foire orientale,

Sur des claies de roseaux où elles s'étaient éboulées.

On en voyait qui roulaient dans la poussière

Et que des enfants nus ramassaient.

Leur jus est aigrelet comme celui des framboises pas mûres.

Leur fleur semble faite de cire ;

Elle est de la couleur du fruit.

 

Trésor gardé, cloisons de ruches,

Abondance de la saveur,

Architecture pentagonale.

L'écorce se fend ; les grains tombent,

Grains de sang dans des coupes d'azur ;

Et d'autres, gouttes d'or, dans des plats de bronze émaillé.

 

Chante à présent la figue, Simiane,

Parce que ses amours sont cachées.

 

Je chante la figue, dit-elle,

Dont les belles amours sont cachées.

Sa floraison est repliée.

Chambre close où se célèbrent des noces ;

Aucun parfum ne les conte en dehors.

Comme rien ne s'en évapore,

Tout le parfum devient succulence et saveur.

Fleur sans beauté ; fruit de délices ;

Fruit qui n'est que sa fleur mûrie.

 

J'ai chanté la figue, dit-elle,

Chante à présent toutes les fleurs.

 

– Certes, reprit Hylas, nous n'avons pas chanté tous les fruits.

Don du poète : celui d'être ému pour des prunes.

(La fleur ne vaut pour moi que comme une promesse de fruit.)

Tu n'as pas parlé de la prune.

 

Et l'acide prunelle des haies

Que la neige froide rend douce.

La nèfle qui ne se mange que pourrie ;

Et la châtaigne de la couleur des feuilles mortes

Qu'on fait éclater près du feu.