Puis je me réveillais de très loin, en sueur, le cœur
battant la tête somnolente. La lumière qui s'infiltrait
d'en bas, entre les fentes des volets clos, et renvoyait
au plafond blanc les reflets verts de la pelouse, cette
clarté du soir m'était la seule chose délicieuse, pareille
à la clarté qui paraît douce et charmante, venue entre
les feuilles et les eaux, et qui tremble, au seuil des
grottes, après qu'on a longtemps senti vous envelopper leurs ténèbres.
Les bruits de la maison arrivaient vaguement. Je
renaissais lentement à la vie. Je me lavais avec de l'eau
tiède et j'allais plein d'ennui vers la plaine, jusqu'au
banc du jardin où j'attendais venir le soir sans rien
faire. Pour parler, pour écouter, pour écrire, j'étais
perpétuellement fatigué. Je lisais :
... Il voit devant lui
Les routes désertes,
Les oiseaux de la mer qui se baignent
Etendant leurs ailes...
Il faut que j'habite ici..
... On me contraint à demeurer
Sous les feuillages de la forêt,
Sous le chêne, dans cette caverne souterraine.
Froide est cette maison de terre ;
J'en suis tout lassé.
Obscurs sont les vallons
Et hautes les collines,
Triste enceinte de rameaux
Couverte de ronces, –
Séjour sans joie1.
Le sentiment d'une plénitude de vie, possible, mais
non encore obtenue, se laissait parfois entrevoir, puis
revenait encore, de plus en plus obsédante. Ah ! qu'une
baie de jour s'ouvre enfin, criais-je, qu'elle éclate au
milieu de ces perpétuelles représailles !
Il semblait que tout mon être eût comme un
immense besoin de se retremper dans le neuf. J'attendais une seconde puberté. Ah ! refaire à mes yeux une
vision neuve, les laver de la salissure des livres, les
rendre plus pareils à l'azur qu'ils regardent –
aujourd'hui complètement clarifié par les récentes
pluies...
Je tombai malade ; je voyageai, je rencontrai Ménalque, et ma convalescence merveilleuse fut une palingénésie. Je renaquis avec un être neuf, sous un ciel
neuf et au milieu de choses complètement renouvelées.
III
Nathanaël, je te parlerai des attentes. J'ai vu la
plaine, pendant l'été, attendre ; attendre un peu de
pluie. La poussière des routes était devenue trop
légère et chaque souffle la soulevait. Ce n'était même
plus un désir ; c'était une appréhension. La terre se
gerçait de sécheresse comme pour plus d'accueil de
l'eau. Les parfums des fleurs de la lande devenaient
presque intolérables. Sous le soleil tout se pâmait.
Nous allions chaque après-midi nous reposer sous la
terrasse, abrités un peu de l'extraordinaire éclat du
jour. C'était le temps où les arbres à cônes, chargés de
pollen, agitent aisément leurs branches pour répandre
au loin leur fécondation. Le ciel était chargé d'orage et
toute la nature attendait. L'instant était d'une solennité trop oppressante, car tous les oiseaux s'étaient
tus. Il monta de la terre un souffle si brûlant que l'on
sentit tout défaillir ; le pollen des conifères sortit
comme une fumée d'or des branches. – Puis il plut.
J'ai vu le ciel frémir de l'attente de l'aube.
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