Il y en a où l'on prouve l'existence de Dieu ;
D'autres où l'on ne peut pas y arriver.
Il y en a que l'on ne saurait admettre
Que dans les bibliothèques privées.
Il y en a qui ont reçu les éloges
De beaucoup de critiques autorisés.
Il y en a où il n'est question que d'apiculture
Et que certains trouvent un peu spéciaux ;
D'autres où il est tellement question de la nature,
Qu'après ce n'est plus la peine de se promener.
Il y en a que méprisent les sages hommes
Mais qui excitent les petits enfants.
Il y en a qu'on appelle des anthologies
Et où l'on a mis tout ce qu'on a dit de mieux sur
n'importe quoi
Il y en a qui voudraient vous faire aimer la vie ;
D'autres après lesquels l'auteur s'est suicidé.
Il y en a qui sèment la haine
Et qui récoltent ce qu'ils ont semé.
Il y en a qui, lorsqu'on les lit, semblent luire,
Chargés d'extase, délicieux d'humilité.
Il y en a que l'on chérit comme des frères
Plus purs et qui ont vécu mieux que nous.
Il y en a dans d'extraordinaires écritures
Et qu'on ne comprend pas, même quand on les a
beaucoup étudiées.
Nathanaël, quand aurons-nous brûlé tous les
livres !
Il y en a qui ne valent pas quatre sous,
D'autres qui valent des prix considérables.
Il y en a qui parlent de rois et de reines,
Et d'autres, de très pauvres gens.
Il y en a dont les paroles sont plus douces
Que le bruit des feuilles à midi
C'est un livre que mangea Jean à Patmos,
Comme un rat ; mais moi j'aime mieux les framboises.
Ça lui a rempli d'amertume les entrailles
Et après il a eu beaucoup de visions.
Nathanaël ! quand aurons-nous brûlé tous les
livres !
Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages
sont doux ; je veux que mes pieds nus le sentent...
Toute connaissance que n'a pas précédée une sensation m'est inutile.
Je n'ai jamais rien vu de doucement beau dans ce
monde, sans désirer aussitôt que toute ma tendresse le
touche. Amoureuse beauté de la terre, l'effloraison de
ta surface est merveilleuse. Ô paysage où mon désir
s'est enfoncé ! Pays ouvert où ma recherche se promène ; allée de papyrus qui se referme sur de l'eau ;
roseaux courbés sur la rivière ; ouvertures des clairières ; apparition de la plaine dans l'embrasure des
branchages, de la promesse illimitée. Je me suis promené dans les couloirs de roches ou de plantes. J'ai vu
se dérouler des printemps.
VOLUBILITÉ DES PHÉNOMÈNES
Dès ce jour, chaque instant de ma vie prit pour moi
la saveur de nouveauté d'un don absolument ineffable.
Ainsi je vécus dans une presque perpétuelle stupéfaction passionnée. J'arrivais très vite à l'ivresse et me
plaisais à marcher dans une sorte d'étourdissement.
Certes, tout ce que j'ai rencontré de rire sur les
lèvres, j'ai voulu l'embrasser ; de sang sur les joues, de
larmes dans les yeux, j'ai voulu le boire ; mordre à la
pulpe de tous les fruits que vers moi penchèrent des
branches. A chaque auberge me saluait une faim ;
devant chaque source m'attendait une soif – une soif,
devant chacune, particulière ; – et j'aurais voulu d'autres mots pour marquer mes autres désirs
de marche, où s'ouvrait une route ;
de repos, où l'ombre invitait ;
de nage, au bord des eaux profondes ;
d'amour ou de sommeil au bord de chaque lit.
J'ai porté hardiment ma main sur chaque chose et
me suis cru des droits sur chaque objet de mes désirs.
(Et d'ailleurs, ce que nous souhaitons, Nathanaël, ce
n'est point tant la possession que l'amour.) Devant
moi, ah ! que toute chose s'irise ; que toute beauté se
revête et se diapre de mon amour.
1 The Exile's song – cité et traduit par Taine. Littérature anglaise,
I, 30.
LIVRE DEUXIÈME
Nourritures !
Je m'attends à vous, nourritures !
Ma faim ne se posera pas à mi-route ;
Elle ne se taira que satisfaite ;
Des morales n'en sauraient venir à bout
Et de privations je n'ai jamais pu nourrir que mon
âme.
Satisfactions ! je vous cherche.
Vous êtes belles comme les aurores d'été.
Sources plus délicates au soir, délicieuses à midi ;
eaux du petit matin glacées ; souffles au bord des flots ;
golfes encombrés de mâtures ; tiédeur des rives cadencées...
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