Oh ! S'il est encore des routes vers la plaine, les
touffeurs de midi ; les breuvages des champs, et pour la
nuit le creux des meules ;
s'il est des routes vers l'Orient ; des sillages sur les
mers aimées ; des jardins à Mossoul ; des danses à
Touggourt ; des chants de pâtre en Helvétie ;
s'il est des routes vers le Nord ; des foires de Nijni ;
des traîneaux soulevant la neige ; des lacs gelés ; certes,
Nathanaël, ne s'ennuieront pas nos désirs.
Des bateaux sont venus dans nos ports apporter les
fruits mûrs de plages ignorées. Déchargez-les de leur
faix un peu vite, que nous puissions enfin y goûter.
Nourritures !
Je m'attends à vous, nourritures !
Satisfactions, je vous cherche ;
Vous êtes belles comme les rires de l'été.
Je sais que je n'ai pas un désir
Qui n'ait déjà sa réponse apprêtée.
Chacune de mes faims attend sa récompense.
Nourritures !
Je m'attends à vous, nourritures !
Par tout l'espace je vous cherche,
Satisfactions de tous mes désirs.
*
Ce que j'ai connu de plus beau sur la terre,
Ah ! Nathanaël ! c'est ma faim.
Elle a toujours été fidèle.
A tout ce qui toujours l'attendait.
Est-ce de vin que se grise le rossignol ?
L'aigle, de lait ? ou non point de genièvre les grives ?
L'aigle se grise de son vol. Le rossignol s'enivre des
nuits d'été. La plaine tremble de chaleur. Nathanaël,
que toute émotion sache te devenir une ivresse. Si ce
que tu manges ne te grise pas, c'est que tu n'avais pas
assez faim.
Chaque action parfaite s'accompagne de volupté. A
cela tu connais que tu devais la faire. Je n'aime point
ceux qui se font un mérite d'avoir péniblement œuvré.
Car si c'était pénible, ils auraient mieux fait de faire
autre chose. La joie que l'on y trouve est signe de
l'appropriation du travail et la sincérité de mon plaisir,
Nathanaël, m'est le plus important des guides.
Je sais ce que mon corps peut désirer de volupté
chaque jour et ce que ma tête en supporte. Et puis
commencera mon sommeil. Terre et ciel ne me valent
plus rien au-delà.
*
Il y a des maladies extravagantes.
Qui consistent à vouloir ce que l'on n'a pas.
– Nous aussi, dirent-ils, nous aussi, nous aurons
connu le lamentable ennui de notre âme ! De la
caverne d'Adullam, tu soupirais, David après l'eau des
citernes. Tu disais : – Oh ! qui m'apportera l'eau fraîche
qui jaillit du pied des murs de Bethléem. Enfant, je m'y
désaltérais, mais maintenant elle est captive, cette eau
que ma fièvre désire.
Ne désire jamais, Nathanaël, regoûter les eaux du
passé.
Nathanaël, ne cherche pas, dans l'avenir, à retrouver
jamais le passé. Saisis de chaque instant la nouveauté
irressemblable et ne prépare pas tes joies, ou sache
qu'en son lieu préparé te surprendra une joie autre.
Que n'as-tu donc compris que tout bonheur est de
rencontre et se présente à toi, dans chaque instant
comme un mendiant sur ta route.
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