Et lui qui raffine après qu’il a rasé, rase encore avec un rasoir plus habile et s’aidant à présent d’une petite éponge imbibée d’eau tiède, qui amollit la peau, relève la lèvre. Puis, avec une douce eau parfumée, il lave la brûlure laissée ; puis, avec un onguent, calme encore. Et pour ne bouger pas encore, je me fais couper les cheveux.
Amalfi (dans la nuit).
Il y a des attentes nocturnes
d’on ne sait encor quel amour.
Petite chambre au-dessus de la mer ; m’a réveillé la trop grande clarté de la lune, de la lune au-dessus de la mer.
Quand je m’approchai de la fenêtre, je croyais que c’était l’aube et que j’allais voir se lever le soleil… Mais non… (chose déjà pleine et parfaitement accomplie) – LA LUNE – douce, douce, douce comme pour l’accueil d’Hélène au second Faust. Mer déserte. Village mort. Un chien hurle dans la nuit… Loques à des fenêtres.
Pas de place pour l’homme. Ne plus comprendre comment tout cela va se réveiller. Désolation excessive du chien. Le jour n’aura plus lieu. Impossibilité de dormir. Est-ce que tu feras… (ceci ou cela) :
sortiras-tu dans le jardin désert ?
descendras-tu vers la plage, t’y laver ?
iras-tu cueillir des oranges, qui semblent grises sous la lune ?
d’une caresse, consoleras-tu le chien ?
(Tant de fois j’ai senti la nature réclamer de moi un geste, et je n’ai pas su lequel lui donner.)
Attendre le sommeil qui ne va pas venir…
Un enfant m’a suivi dans ce jardin entouré de murs, s’accrochant à la branche qui frôlait l’escalier. L’escalier menait à des terrasses longeant ce jardin ; l’on n’y paraissait pas pouvoir entrer.
Ô petite figure que j’ai caressée sous les feuilles ! jamais assez d’ombre n’aura pu voiler ton éclat, et l’ombre des boucles sur ton front paraît toujours encore plus sombre.
Je descendrai dans ce jardin, me pendant aux lianes et aux branches, et sangloterai de tendresse sous ces bosquets plus pleins de chants qu’une volière – jusqu’à l’approche du soir, jusqu’à l’annonce de la nuit qui dorera, puis approfondira l’eau mystérieuse des fontaines.
Et les corps délicats épousés sous les branches.
J’ai touché d’un doigt délicat sa peau nacrée.
Je voyais ses pieds délicats qui posaient sans bruit sur le sable.
Syracuse.
Barque à fond plat ; ciel bas, qui parfois descendait jusqu’à nous en pluie tiède ; odeur de vase des plantes d’eau, froissement des tiges.
La profondeur de l’eau dissimule l’abondant jaillissement de cette source bleue. Aucun bruit ; c’est, dans cette campagne solitaire, dans cette naturelle vasque évasée, comme une éclosion d’eau entre les papyrus.
Tunis.
Dans tout l’azur, rien que ce qu’il fallait de blanc pour une voile, de vert pour son ombre dans l’eau.
La nuit. Bagues qui luisent dans l’ombre.
Clartés de la lune, où l’on erre. Pensées différentes de celles du jour.
Néfaste clarté de la lune au désert. Les démons rôdeurs des cimetières. Les pieds nus sur les dalles bleues.
Malte.
Extraordinaire ivresse des crépuscules d’été sur les places, quand il fait encore très clair et que pourtant on n’a plus d’ombres. Exaltation très spéciale.
Nathanaël, je te raconterai les plus beaux jardins que j’ai vus :
À Florence, on vendait des roses : certains jours la ville tout entière embaumait. Je me promenais chaque soir aux Cascines et le dimanche aux jardins Boboli sans fleurs.
À Séville, il y a, près de la Giralda, une ancienne cour de mosquée ; des orangers y poussent par places, symétriques ; le reste de la cour est dallé ; les jours de grand soleil, on n’y a qu’une petite ombre restreinte ; c’est une cour carrée, entourée de murs ; elle est d’une grande beauté ; je ne sais pas t’expliquer pourquoi.
Hors de la ville, dans un énorme jardin clos de grilles, croissent beaucoup d’arbres des pays chauds ; je n’y suis pas entré, mais, à travers les grilles, j’ai regardé ; j’ai vu courir des pintades et j’ai pensé qu’il y avait là beaucoup d’animaux apprivoisés.
Que te dirais-je de l’Alcazar ? jardin semblant de merveille persane ; je crois, en t’en parlant, que je le préfère à tous les autres. J’y pense, en relisant Hafiz :
Apportez-moi du vin
Que je tache ma robe,
Car je chancelle d’amour
Et l’on m’appelle sage.
Des jeux d’eaux sont préparés dans les allées ; les allées sont dallées de marbre, bordées de myrtes et de cyprès. Des deux côtés sont des bassins de marbre, où les amantes du roi se lavaient. On n’y voit d’autres fleurs que des roses, des narcisses et des fleurs de laurier. Au fond du jardin, il y a un arbre gigantesque, où l’on se figure un bulbul épinglé. Près du palais, d’autres bassins de très mauvais goût rappellent ceux des cours de la Résidence à Munich, où il y a des statues faites tout en coquilles.
C’est dans les jardins royaux de Munich que j’allai, un printemps, goûter les glaces à l’herbe de mai, près d’une obstinée musique militaire ! Un public inélégant, mais mélomane. Le soir s’enchantait de pathétiques rossignols. Leur chant m’alanguissait, comme celui d’une poésie allemande. Il est une certaine intensité de délices que l’homme peut à peine dépasser et non sans larmes. Les délices mêmes de ces jardins me faisaient presque douloureusement songer que j’aurais aussi bien pu être ailleurs. C’est pendant cet été que j’appris à jouir plus particulièrement des températures.
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