Laissez-moi tranquille !
– Trêve de sottises, répliqua Mony. Cornabœux, tu m’appartiens. Je puis te livrer à la police. Mais tu me plais et si tu veux me suivre, tu seras mon valet de chambre, tu me suivras partout. Je t’associerai à mes plaisirs. Tu m’aideras et me défendras au besoin. Puis, si tu m’es bien fidèle, je ferai ta fortune. Réponds de suite.
– Vous êtes un bon zigue et vous savez parler. Topez là, je suis votre homme.
Quelques jours après, Cornabœux, promu au grade de valet de chambre, bouclait les valises. Le prince Mony était rappelé en toute hâte à Bucarest. Son intime ami, le vice-consul de Serbie, venait de mourir, lui laissant tous ses biens qui étaient importants. Il s’agissait de mines d’étain, très productives depuis quelques années, mais qu’il fallait surveiller de très près sous peine d’en voir immédiatement baisser le rapport. Le prince Mony, comme on l’a vu, n’aimait pas l’argent pour lui-même ; il désirait le plus de richesses possible, mais seulement pour les plaisirs que l’or seul peut procurer. Il avait sans cesse à la bouche cette maxime, prononcée par l’un de ses aïeux : « Tout est à vendre ; tout s’achète ; il suffit d’y mettre le prix. »
Le prince Mony et Cornabœux avaient pris place dans l’Orient-Express ; la trépidation du train ne manqua point de produire aussitôt son effet. Mony banda comme un Cosaque et jeta sur Cornabœux des regards enflammés. Au-dehors, le paysage admirable de l’Est de la France déroulait ses magnificences nettes et calmes. Le salon était presque vide ; un vieillard podagre, richement vêtu, geignait en bavant sur Le Figaro qu’il essayait de lire.
Mony, qui était enveloppé dans un ample raglan, saisit la main de Cornabœux et, la faisant passer par la fente qui se trouve à la poche de ce vêtement commode, l’amena à sa braguette. Le colossal valet de chambre comprit le souhait de son maître. Sa grosse main était velue, mais potelée et plus douce qu’on n’aurait supposé. Les doigts de Cornabœux déboutonnèrent délicatement le pantalon du prince. Ils saisirent la pine en délire qui justifiait en tous points le distique fameux d’Alphonse Allais :
La trépidation excitante des trains
Nous glisse des désirs dans la mœlle des reins.
Mais un employé de la Compagnie des Wagons-Lits qui entra, annonça qu’il était l’heure de dîner et que de nombreux voyageurs se trouvaient dans le wagon-restaurant.
– Excellente idée, dit Mony. Cornabœux, allons d’abord dîner !
La main de l’ancien fort sortit de la fente du raglan. Tous deux se dirigèrent vers la salle à manger. La pine du prince bandait toujours, et comme il ne s’était pas reculotté, une bosse proéminait à la surface du vêtement. Le dîner commença sans encombre, bercé par le bruit de ferrailles du train et par les cliquetis divers de la vaisselle, de l’argenterie et de la cristallerie, troublé parfois par le saut brusque d’un bouchon d’Apollinaris.
À une table, au fond opposé de celui où dînait Mony, se trouvaient deux femmes blondes et jolies. Cornabœux qui les avait en face les désigna à Mony. Le prince se retourna et reconnut en l’une d’elles, vêtue plus modestement que l’autre, Mariette, l’exquise femme de chambre du Grand-Hôtel. Il se leva aussitôt et se dirigea vers ces dames. Il salua Mariette et s’adressa à l’autre jeune femme qui était jolie et fardée. Ses cheveux décolorés à l’eau oxygénée lui donnaient une allure moderne qui ravit Mony :
– Madame, lui dit-il, je vous prie d’excuser ma démarche.
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