Sa curieuse doctrine répondait aux sympathies de l’époque, et satisfaisait à ces désirs immodérés du merveilleux qui tourmentent les hommes à tous les âges du monde. Cet effort de l’homme pour saisir un infini qui échappe sans cesse à ses mains débiles, ce dernier assaut de la pensée avec elle-même, était une œuvre digne d’une assemblée où brillaient alors toutes les lumières de ce siècle, où scintillait peut-être la plus vaste des imaginations humaines. D’abord le docteur rappela simplement, d’un ton doux et sans emphase, les principaux points précédemment établis.

« Aucune intelligence ne se trouvait égale à une autre. L’homme était-il en droit de demander compte à son créateur de l’inégalité des forces morales données à chacun ? Sans vouloir pénétrer tout à coup les desseins de Dieu, ne devait-on pas reconnaître en fait que, par suite de leurs dissemblances générales, les intelligences se divisaient en de grandes sphères ? Depuis la sphère où brillait le moins d’intelligence jusqu’à la plus translucide où les âmes apercevaient le chemin pour aller à Dieu, n’existait-il pas une gradation réelle de spiritualité ? les esprits appartenant à une même sphère ne s’entendaient-ils pas fraternellement, en âme, en chair, en pensée, en sentiment ? »

Là, le docteur développait de merveilleuses théories relatives aux sympathies. Il expliquait dans un langage biblique les phénomènes de l’amour, les répulsions instinctives, les attractions vives qui méconnaissent les lois de l’espace, les cohésions soudaines des âmes qui semblent se reconnaître. Quant aux divers degrés de force dont étaient susceptibles nos affections, il les résolvait par la place plus ou moins rapprochée du centre que les êtres occupaient dans leurs cercles respectifs. Il révélait mathématiquement une grande pensée de Dieu dans la coordination des différentes sphères humaines. Par l’homme, disait-il, ces sphères créaient un monde intermédiaire entre l’intelligence de la brute et l’intelligence des anges. Selon lui, la Parole divine nourrissait la Parole spirituelle, la Parole spirituelle nourrissait la Parole animée, la Parole animée nourrissait la Parole animale, la Parole animale nourrissait la Parole végétale, et la Parole végétale exprimait la vie de la parole stérile. Les successives transformations de chrysalide que Dieu imposait ainsi à nos âmes, et cette espèce de vie infusoire qui, d’une zone à l’autre, se communiquait toujours plus vive, plus spirituelle, plus clairvoyante, développait confusément, mais assez merveilleusement peut-être pour ses auditeurs inexpérimentés, le mouvement imprimé par le Très-Haut à la Nature. Secouru par de nombreux passages empruntés aux livres sacrés, et desquels il se servait pour se commenter lui-même, pour exprimer par des images sensibles les raisonnements abstraits qui lui manquaient, il secouait l’esprit de Dieu comme une torche à travers les profondeurs de la création, avec une éloquence qui lui était propre et dont les accents sollicitaient la conviction de son auditoire. Déroulant ce mystérieux système dans toutes ses conséquences, il donnait la clef de tous les symboles, justifiait les vocations, les dons particuliers, les génies, les talents humains. Devenant tout à coup physiologiste par instinct, il rendait compte des ressemblances animales inscrites sur les figures humaines, par des analogies primordiales et par le mouvement ascendant de la création. Il vous faisait assister au jeu de la nature, assignait une mission, un avenir aux minéraux, à la plante, à l’animal. La Bible à la main, après avoir spiritualisé la Matière et matérialisé l’Esprit, après avoir fait entrer la volonté de Dieu en tout, et imprimé du respect pour ses moindres œuvres, il admettait la possibilité de parvenir par la foi d’une sphère à une autre.

Telle fut la première partie de son discours, il en appliqua par d’adroites digressions les doctrines au système de la féodalité. La poésie religieuse et profane, l’éloquence abrupte du temps avaient une large carrière dans cette immense théorie, où venaient se fondre tous les systèmes philosophiques de l’antiquité, mais d’où le docteur les faisait sortir, éclaircis, purifiés, changés. Les faux dogmes des deux principes et ceux du panthéisme tombaient sous sa parole qui proclamait l’unité divine en laissant à Dieu et à ses anges la connaissance des fins dont les moyens éclataient si magnifiques aux yeux de l’homme. Armé des démonstrations par lesquelles il expliquait le monde matériel, le docteur Sigier construisait un monde spirituel dont les sphères graduellement élevées nous séparaient de Dieu, comme la plante était éloignée de nous par une infinité de cercles à franchir. Il peuplait le ciel, les étoiles, les astres, le soleil. Au nom de saint Paul, il investissait les hommes d’une puissance nouvelle, il leur était permis de monter de monde en monde jusqu’aux sources de la vie éternelle. L’échelle mystique de Jacob était tout à la fois la formule religieuse de ce secret divin et la preuve traditionnelle du fait. Il voyageait dans les espaces en entraînant les âmes passionnées sur les ailes de sa parole, et faisait sentir l’infini à ses auditeurs, en les plongeant dans l’océan céleste. Le docteur expliquait ainsi logiquement l’enfer par d’autres cercles disposés en ordre inverse des sphères brillantes qui aspiraient à Dieu, où la souffrance et les ténèbres remplaçaient la lumière et l’esprit. Les tortures se comprenaient aussi bien que les délices. Les termes de comparaison existaient dans les transitions de la vie humaine, dans ses diverses atmosphères de douleur et d’intelligence. Ainsi les fabulations les plus extraordinaires de l’enfer et du purgatoire se trouvaient naturellement réalisées. Il déduisait admirablement les raisons fondamentales de nos vertus. L’homme pieux, cheminant dans la pauvreté, fier de sa conscience, toujours en paix avec lui-même, et persistant à ne pas se mentir dans son cœur, malgré les spectacles du vice triomphant, était un ange puni, déchu, qui se souvenait de son origine, pressentait sa récompense, accomplissait sa tâche et obéissait à sa belle mission. Les sublimes résignations du christianisme apparaissent alors dans toute leur gloire. Il mettait les martyrs sur les bûchers ardents, et les dépouillait presque de leurs mérites, en les dépouillant de leurs souffrances.