La princesse voyait encore cinq années entre le moment présent et l’époque du mariage de son fils ; des années désertes et solitaires, car pour faire réussir un bon mariage sa conduite devait être marquée au coin de la sagesse.
La princesse demeurait rue de Miromesnil, dans un petit hôtel, à un rez-de-chaussée d’un prix modique. Elle y avait tiré parti des restes de sa magnificence. Son élégance de grande dame y respirait encore. Elle y était entourée des belles choses qui annoncent une existence supérieure. On voyait à sa cheminée une magnifique miniature, le portrait de Charles X, par madame de Mirbel, sous lequel étaient gravés ces mots : Donné par le roi ; et, en pendant, le portrait de MADAME, qui fut si particulièrement excellente pour elle. Sur une table, brillait un album du plus haut prix, qu’aucune des bourgeoises qui trônent actuellement dans notre société industrielle et tracassière n’oserait étaler. Cette audace peignait admirablement la femme. L’album contenait des portraits parmi lesquels se trouvait une trentaine d’amis intimes que le monde avait appelés ses amants. Ce nombre était une calomnie ; mais, relativement à une dizaine, peut-être était-ce, disait la marquise d’Espard, de la belle et bonne médisance. Les portraits de Maxime de Trailles, de de Marsay, de Rastignac, du marquis d’Esgrignon, du général Montriveau, des marquis de Ronquerolles, et d’Adjuda-Pinto, du prince Galathionne, des jeunes ducs de Grandlieu, de Réthoré, du beau Lucien de Rubempré avaient d’ailleurs été traités avec une grande coquetterie de pinceau par les artistes les plus célèbres. Comme la princesse ne recevait pas plus de deux ou trois personnes de cette collection, elle nommait plaisamment ce livre le recueil de ses erreurs. L’infortune avait rendu cette femme une bonne mère. Pendant les quinze années de la Restauration, elle s’était trop amusée pour penser à son fils ; mais en se réfugiant dans l’obscurité, cette illustre égoïste songea que le sentiment maternel poussé à l’extrême deviendrait pour sa vie passée une absolution confirmée par les gens sensibles, qui pardonnent tout à une excellente mère. Elle aima d’autant mieux son fils, qu’elle n’avait plus autre chose à aimer. Georges de Maufrigneuse est d’ailleurs un de ces enfants qui peuvent flatter toutes les vanités d’une mère ; aussi la princesse lui fit-elle toutes sortes de sacrifices : elle eut pour Georges une écurie et une remise, au-dessus desquelles il habitait un petit entresol sur la rue, composé de trois pièces délicieusement meublées ; elle s’était imposé plusieurs privations pour lui conserver un cheval de selle, un cheval de cabriolet et un petit domestique. Elle n’avait plus que sa femme de chambre, et, pour cuisinière, une de ses anciennes filles de cuisine. Le tigre du duc avait alors un service un peu rude. Toby, l’ancien tigre de feu Beaudenord, car telle fut la plaisanterie du beau monde sur cet élégant ruiné, ce jeune tigre qui, à vingt-cinq ans, était toujours censé n’en avoir que quatorze, devait suffire à panser les chevaux, nettoyer le cabriolet ou le tilbury, suivre son maître, faire les appartements, et se trouver à l’antichambre de la princesse pour annoncer, si par hasard elle avait à recevoir la visite de quelque personnage. Quand on songe à ce que fut, sous la Restauration, la belle duchesse de Maufrigneuse, une des reines de Paris, une reine éclatante, dont la luxueuse existence en aurait remontré peut-être aux plus riches femmes à la mode de Londres, il y avait je ne sais quoi de touchant à la voir dans son humble coquille de la rue Miromesnil, à quelques pas de son immense hôtel qu’aucune fortune ne pouvait habiter, et que le marteau des spéculateurs a démoli pour en faire une rue. La femme à peine servie convenablement par trente domestiques, qui possédait les plus beaux appartements de réception de Paris, les plus jolis petits appartements, qui y donna de si belles fêtes, vivait dans un appartement de cinq pièces : une antichambre, une salle à manger, un salon, une chambre à coucher et un cabinet de toilette, avec deux femmes pour tout domestique.
— Ah ! elle est admirable pour son fils, disait cette fine commère de marquise d’Espard, et admirable sans emphase, elle est heureuse. On n’aurait jamais cru cette femme si légère capable de résolutions suivies avec autant de persistance ; aussi notre bon archevêque l’a-t-il encouragée, se montre-t-il parfait pour elle, et vient-il de décider la vieille comtesse de Cinq-Cygne à lui faire une visite.
Avouons-le d’ailleurs ? Il faut être reine pour savoir abdiquer, et descendre noblement d’une position élevée qui n’est jamais entièrement perdue. Ceux-là seuls qui ont la conscience de n’être rien par eux-mêmes, manifestent des regrets en tombant, ou murmurent et reviennent sur un passé qui ne reviendra jamais, en devinant bien qu’on ne parvient pas deux fois. Forcée de se passer des fleurs rares au milieu desquelles elle avait l’habitude de vivre et qui rehaussaient si bien sa personne, car il était impossible de ne pas la comparer à une fleur, la princesse avait bien choisi son rez-de-chaussée : elle y jouissait d’un joli petit jardin, plein d’arbustes, et dont le gazon toujours vert égayait sa paisible retraite. Elle pouvait avoir environ douze mille livres de rente, encore ce revenu modique était-il composé d’un secours annuel donné par la vieille duchesse de Navarreins, tante paternelle du jeune duc, lequel devait être continué jusqu’au jour de son mariage, et d’un autre secours envoyé par la duchesse d’Uxelles, du fond de sa terre, où elle économisait comme savent économiser les vieilles duchesses, auprès desquelles Harpagon n’est qu’un écolier. Le prince vivait à l’étranger, constamment aux ordres de ses maîtres exilés, partageant leur mauvaise fortune, et les servant avec un dévouement sans calcul, le plus intelligent peut-être de tous ceux qui les entourent. La position du prince de Cadignan protégeait encore sa femme à Paris. Ce fut chez la princesse que le maréchal auquel nous devons la conquête de l’Afrique eut, lors de la tentative de MADAME en Vendée, des conférences avec les principaux chefs de l’opinion légitimiste, tant était grande l’obscurité de la princesse, tant sa détresse excitait peu la défiance du gouvernement actuel ! En voyant venir la terrible faillite de l’amour, cet âge de quarante ans au delà duquel il y a si peu de chose pour la femme, la princesse s’était jetée dans le royaume de la philosophie. Elle lisait, elle qui avait, durant seize ans, manifesté la plus grande horreur pour les choses graves. La littérature et la politique sont aujourd’hui ce qu’était autrefois la dévotion pour les femmes, le dernier asile de leurs prétentions. Dans les cercles élégants, on disait que Diane voulait écrire un livre.
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