Elle tombait en ruine. Le jardin, trop visité par la mer, ne pouvait rien produire. Outre les bruits nocturnes et les lueurs, cette maison avait cela de particulièrement effrayant que si on y laissait le soir sur la cheminée une pelote de laine, des aiguilles et une pleine assiette de soupe, on trouvait le lendemain matin la soupe mangée, l’assiette vide, et une paire de mitaines tricotée. On offrait cette masure à vendre avec le démon qui était dedans pour quelques livres sterling. Cette femme l’acheta, évidemment tentée par le diable. Ou par le bon marché.
Elle fit plus que l’acheter, elle s’y logea, elle et son enfant ; et à partir de ce moment la maison s’apaisa. Cette maison a ce qu’elle veut, dirent les gens du pays. Le visionnement cessa. On n’y entendit plus de cris au point du jour. Il n’y eut plus d’autre lumière que le suif allumé le soir par la bonne femme. Chandelle de sorcière vaut torche du diable. Cette explication satisfit le public.
Cette femme tirait parti des quelques vergées de terre qu’elle avait. Elle avait une bonne vache à beurre jaune. Elle récoltait des mouzettes blanches, des caboches et des pommes de terre Golden Drops. Elle vendait, tout comme une autre, « des panais par le tonneau, des oignons par le cent, et des fèves par le dénerel ». Elle n’allait pas au marché, mais faisait vendre sa récolte par Guilbert Falliot, aux Abreuveurs Saint-Sampson. Le registre de Falliot constate qu’il vendit pour elle une fois jusqu’à douze boisseaux de patates dites trois mois, des plus temprunes.
La maison avait été chétivement réparée, assez pour y vivre. Il ne pleuvait dans les chambres que par les très gros temps. Elle se composait d’un rez-de-chaussée et d’un grenier. Le rez-de-chaussée était partagé en trois salles, deux où l’on couchait, une où l’on mangeait. On montait au grenier par une échelle. La femme faisait la cuisine et montrait à lire à l’enfant. Elle n’allait point aux églises ; ce qui fit que, tout bien considéré, on la déclara française. N’aller « à aucune place », c’est grave.
En somme, c’étaient des gens que rien ne prouvait.
Française, il est probable qu’elle l’était. Les volcans lancent des pierres et les révolutions des hommes. Des familles sont ainsi envoyées à de grandes distances, des destinées sont dépaysées, des groupes sont dispersés et s’émiettent, des gens tombent des nues, ceux-ci en Allemagne, ceux-là en Angleterre, ceux-là en Amérique. Ils étonnent les naturels du pays. D’où viennent ces inconnus ? C’est ce Vésuve qui fume là-bas qui les a expectorés. On donne des noms à ces aérolithes, à ces individus expulsés et perdus, à ces éliminés du sort ; on les appelle émigrés, réfugiés, aventuriers. S’ils restent, on les tolère ; s’ils s’en vont, on est content.
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