Les trois Don Juan



The Project BookishMall.com EBook of Les trois Don Juan, by Guillaume Apollinaire

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Title: Les trois Don Juan

Author: Guillaume Apollinaire

Release Date: October 12, 2007 [EBook #22971]

Language: French


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L'Histoire Romanesque

GUILLAUME APOLLINAIRE

LES TROIS DON JUAN

PARIS

BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX

4, RUE DE FURSTENBERG, 4

MCMXIV

LA MAYA NUE
PLANCHE I
(Photo J. Lacoste, Madrid).
F. Goya.—LA MAYA NUE

L'HISTOIRE ROMANESQUE

GUILLAUME APOLLINAIRE

Les Trois Don Juan

Don Juan Tenorio d'Espagne

Don Juan de Maraña des Flandres

Don Juan d'Angleterre


Ouvrage orné de douze illustrations hors texte

D'après Goya, Boucher, A. Colin, L. Sauvé, J. Harrewyn, de Novelli, E. Devéria, Eugène Delacroix.

I

DON JUAN TENORIO

ou

LE DON JUAN D'ESPAGNE

CHAPITRE I

LES PRÉDICTIONS DE L'ASTROLOGUE

La famille de Don Juan.—Maternité douloureuse.—Le baptême.—Chez l'astrologue.—Alchimie et magie.—Les rêves de la comtesse.—Le langage des astres.—Jacobi assommé.—La revanche du hibou.—Les prétentions de Don Jorge.

Don Juan Tenorio était le fils de Don Diego Pons Tenorio, quinzième seigneur de Cabezan en Asturie, onzième seigneur de Peral y Cobos en Vieille-Castille, sixième seigneur de Fuente-Palmera en Andalousie. C'est dire qu'il descendait d'une antique et noble lignée.

Don Diego était un personnage considérable. Il possédait, outre ses seigneuries, gagnées par ses ancêtres à la pointe de l'épée, un palais à Séville où il séjournait une partie de l'année. Il y gérait l'Intendance des dîmes et des bâtiments pour l'ordre religieux militaire dont il était commandeur. La totalité de ses revenus était estimée à dix-huit mille ducats d'or.

Lorsque sa femme, la belle comtesse Clara, se sentit prise des douleurs de l'enfantement, il y eut un grand émoi dans le château. Elle passa tristement les mois de sa grossesse. Il semblait qu'une maladie terrible et mystérieuse se fût abattue sur elle. Souvent on la voyait pleurer sans motif ou tressaillir d'épouvante. Parfois, l'œil fixe, la poitrine haletante, elle paraissait subir la fascination de quelque fantôme visible à elle seule. En vain passait-elle la plus grande partie de ses nuits enfermée dans son oratoire. On l'entendait murmurer de longues prières, entrecoupées de sanglots convulsifs. Des rêves d'épouvante troublaient ses nuits, et maintes fois elle s'éveilla en sursaut, poussant des cris étouffés. Ni les soins affectueux de son mari, ni les encouragements du chapelain ne pouvaient lui rendre le calme.

À l'annonce de la délivrance, attendue par la comtesse avec une si singulière appréhension, on fit venir de Séville un des plus illustres médecins du temps.

C'était un juif baptisé du nom d'Alonzo Levita. Il avait étudié dans toutes les Universités d'Europe.

Il interrogea la malade, examina les symptômes et rassura tout le monde. Quelques heures après, en effet, Doña Clara accouchait d'un beau garçon.

Ce fut une chèvre qui servit de nourrice à Don Juan, une chèvre sauvage de la haute sierra.

Il fut baptisé en grande cérémonie dans la cathédrale de Grenade, en présence des rois catholiques et de leur cour. Il eut pour marraine Doña Francesca Pacheco, marquise de Mondejar et pour parrain Don Juan de Ganelès, dont il prit le nom selon l'usage.

La comtesse avait fait un projet. Elle voulait consulter un astrologue fameux qui lui avait été recommandé par Don Alonzo Levita. Les soucis qui l'avaient hantée dès les premiers jours de la conception de l'enfant ne s'étaient pas dissipés en effet.

Elle s'en fut donc trouver Don Jorge, le frère de son mari, au cours d'un voyage à Séville, et lui fit part de son désir de se rendre en sa compagnie chez l'homme des sciences occultes.

«Il me semble naturel en effet, Doña Clara, lui dit Jorge, que vous consultiez un professionnel de la Kabbale sur l'avenir de votre fils... Mais il faut prendre garde que ces kabbalistes sont souvent de simples coquins, fort capables d'attenter à la bourse et même à la vie des honnêtes gens. Je vous accompagnerai...

—Jorge, je vous demande le secret. Si l'astrologue venait à me prédire quelque chose de fâcheux...

—Je lui couperai les oreilles! Je n'entends pas qu'un drôle de cette espèce s'avise de faire de la peine à ma jolie belle-sœur.»

Après l'oraison du soir, Don Jorge et Doña Clara, guidés par maître Alonzo Levita, se rendaient donc chez l'astrologue qui demeurait dans une rue déserte, à l'une des extrémités de la ville.

Maître Max Jacobi avait été prévenu par son compère de l'honorable et lucrative visite qu'il allait recevoir. Aussi le guichet s'ouvrit-il au premier coup de marteau.

Une vieille à tête de sorcière montra à travers les barreaux de fer sa lampe fumeuse. Son œil chassieux dévisageait avec méfiance les visiteurs.

«Ouvrez, Barbara, dit le médecin.