Traçons le carré magique.»

L'astrologue inscrivit sur un papier deux carrés l'un dans l'autre et partagea l'intervalle en douze triangles égaux.

«Qu'est-ce que c'est que ces petites machines? demanda Don Jorge, qui paraissait s'intéresser fort à l'opération.

—Les douze maisons du soleil.

—Et qu'est-ce qu'il y fait?

—Il les visite tour à tour. Dans chacune est une phase de la vie humaine... Maisons de la santé, des richesses, des héritages, des biens patrimoniaux, des legs et donations..., maisons des chagrins et des maladies, du mariage et des noces, maisons de l'effroi et de la mort, de la religion et des voyages, des charges et dignités, des amis, des emprisonnements et de la mort violente...

L'astrologue se tut. Dans le silence général, il avait ouvert un livre rempli de signes astronomiques et tourna plusieurs feuillets, comparant ensemble les observations du médecin, le carré magique et les formules consacrées. Enfin, après de longues méditations, il reprit:

—Voici, madame, l'horoscope de votre fils. La conjonction de Jupiter avec le Taureau annonce beaucoup de souhaits qui se réaliseront, grands voyages et abondantes richesses. Votre fils sera élégant dans ses vêtements et honoré dans sa vie. Mais qu'il y prenne garde! Orion influe sur son bras gauche et commence à se renverser, preuve que son cœur sera souvent menacé. Il ne s'agit, au reste, que d'un danger moral. Le Soleil n'ayant point visité la douzième maison, votre fils ne doit point mourir de mort violente, cependant... ce point présente une particularité inconnue dans les annales de l'astrologie.

—Oh! mon Dieu! fit la comtesse.

—En tout cas, il ne sera pas dépourvu d'argent, s'en étant procuré par legs, donations et autres moyens encore.

—Qu'est-ce à dire? fit Don Jorge.

—Oh! avouables, tout à fait avouables en notre temps.

—Sera-t-il heureux? demanda la comtesse.

—Si la fortune, la santé, la puissance et la célébrité peuvent faire son bonheur.

—Aura-t-il une nombreuse postérité? demanda enfin la comtesse.

—Je ne saurais le dire, Vénus, qui préside à la fécondité, étant cachée sous l'horizon. Tout ce que je puis vous dire, c'est que votre famille finira comme elle a commencé.

—Et que signifie? firent à la fois la comtesse et Don Jorge.

—À qui fait-on remonter son origine?

—Au fondateur de la maison de Lara, dont les Tenorio sont seuls descendants directs, à Madarra-le-Bâtard.

—Cela signifie donc, poursuivit l'astrologue penché sur ses dessins et grimoires, que votre famille finira par... par... d'innombrables bâtards!

—Misérable! Gredin! Menteur! Insolent! hurlait Don Jorge furieux.

Et laissant au médecin le soin de ranimer la comtesse évanouie, il prit celui de la venger. Avec une large règle, jadis d'usage mathématique, il entreprit de bâtonner l'infortuné Jacobi, qui criait en se débattant:

«Miséricorde! Au secours! À l'assassin!

—Je t'avais prévenu, drôle!

—Levita! Levita! Vieux camarade!»

Mais Levita se tenait prudemment dans un coin. Nul doute qu'à montrer son courage comme combattant il ne préférât intervenir plus tard comme médecin.

Soudain, Don Jorge fit un moulinet terrible qui s'en vint frapper le squelette ballant au sommet duquel se tenait perché le hibou.

Celui-ci, effrayé, secoua ses ailes. Une poussière lourde s'en dégagea, obscurcissant l'atmosphère. Peut-être l'animal n'avait-il pas bougé depuis plusieurs années. L'oiseau nocturne volait, comme fou, à travers la chambre, montant, descendant, heurtant les squelettes, dispersant les paperasses, mêlant ses ululements funèbres au concert des voix humaines. Il faut dire que Barbara, enfin accourue, poussait des hurlements semblables à ceux des chiens qui aboient à la mort.

Enfin le hibou, fatigué, s'arrêta pour prendre contact avec un objet solide. Mais lequel, grands dieux! Ainsi que l'arche sainte se posant, après le déluge, au sommet du mont Ararat, l'oiseau s'agrippa solidement au crâne de l'exaspéré Don Jorge.

Celui-ci s'enfuit épouvanté, les bras en l'air, renversant tout sur son passage. Les objets fragiles se brisaient: Patatras! Catacri! Gressecrec! La comtesse se précipita sur sa trace. Ce ne fut que sur le seuil que, de son épée tirée, Don Jorge réussit à faire lâcher prise à l'antique volatile qu'offusquait, du reste, la lumière du jour.

«Quelle caverne, criait-il. La peste soit à Levita! Le diable emporte Jacobi! Quant à ce hibou!...»

La nuit tombait. Don Jorge accompagna chez elle sa belle-sœur.

«Les moines sont des fanatiques, les médecins des ânes, les astrologues des menteurs... Faire du chagrin à ma charmante, charmante belle-sœur. Je ne le souffrirai pas...»

Et, ce disant, le vieux galantin, dans l'ombre propice, passait son bras épais autour de la taille gracile de Doña Clara.

Mais celle-ci tournait déjà dans la serrure la petite clef d'or de la porte secrète par laquelle elle s'était échappée.

«Donnez-moi un baiser afin que je garde le secret, poursuivait Don Jorge...

—Un baiser! beau-frère, vous n'êtes qu'un vieux polisson. Tenez, voici pour secouer la poussière du hibou!»

Et, poussant la porte, elle frappa d'un léger coup d'éventail le nez enluminé du soudard.

CHEZ LE SORCIE
PLANCHE II
F. Goya.—CHEZ LE SORCIER

CHAPITRE II

LA PREMIÈRE MAÎTRESSE DE DON JUAN

Discours de Don Jorge.—Les trois courtisanes.—Les préparatifs.—Jalousie de Niceto.—Les avances de la Pandora.—Le festin.—Les danseuses nues.—La petite Monique.—Le baiser.—L'altercation.—La bagarre.—Le duel aux flambeaux.—Niceto blessé.—Rivalité de femmes.—Première nuit d'amour.—Mort de Niceto.

À dix-sept ans, Don Juan était dans la fleur de la beauté.

«Décidément, dit un matin Don Jorge à son neveu, tu ne peux pas en rester là. Tu as eu la plus brillante éducation des Espagnes, des maîtres de toutes les langues, vivantes ou mortes, de mathématiques, de littérature et même de poésie et de musique, bref, tu es endoctriné dans les sept arts.