Je vais bien physiquement, moralement et mathématiquement parlant.

Je vous embrasse bien fort,

Votre fils qui vous aime,

 

ANTOINE.

10

[Paris, Lycée Saint-Louis, 1917]

 

Maman chérie,

 

J'inaugure mon papier par vous...

Si vous venez, apportez-moi à la main, pour que je l'aie plus tôt MON ATLAS dont j'ai bien besoin, je vous en remercierai de tout mon cœur.

Merci mille fois de tout ce que vous faites pour moi, il ne faut pas croire, à cause de mes mouvements de mauvaise humeur, que je suis un ingrat, vous savez comme je vous aime, maman chérie.

Je bûche des maths... toujours. Je vais faire un peu d'allemand.

À demain.

Je vous embrasse,

Votre fils respectueux,

 

ANTOINE.

11

[Paris, Lycée Saint-Louis, 1917]

 

Maman chérie,

 

Il vient d'y avoir, dans notre classe, une crise ministérielle : le ministère a démissionné. Le gouvernement se compose :

A) De zed (président) dit Z ;

B) Du V-Z (vice-président) ;

c) Du P.D.M. (préfet des mœurs) ;

D) Du K.S. ou caissier ;

or, après un vote de confiance, que le président (du ministère dit « bural ») a voulu faire dans la classe pour consolider son autorité chancelante, par suite d'une crise intérieure, il est arrivé que ce vote de confiance a été au contraire un vote de défiance, et le gouvernement a démissionné. Dans une séance solennelle, tenue dans une classe vide, et qui a duré une heure et demie, et où il y a eu des débats prolongés, et des plus sérieux, on a fini par constituer le ministère suivant :

Président ou Z : Dupuy,

VZ : Sourdelles,

P.D.M. : de Saint-Exupéry.

Quant au K.S. on n'a pas pu en trouver un, car il était aussitôt démissionnaire pour des raisons très compliquées d'intrigues et de contre-intrigues (c'est tout à fait comme à la Chambre) ; aussi, après une journée de pourparlers dans les couloirs, où il régnait une animation extraordinaire, nous avons fini par organiser le gouvernement en excluant le rôle de K.S. du gouvernement, et en faisant de lui une charge perpétuelle et indépendante des ministères. Nous sommes arrivés à faire approuver notre projet et, après quelques essais d'obstruction, des votes de défiance qui ont raté, notre gouvernement est enfin solidement établi. Avant j'étais Brigadier des gendarmes, mais celui-ci n'est pas un membre du gouvernement, c'est un fonctionnaire comme plusieurs autres. Le S.O., le bizut Torche, le C.D.O., c'est-à-dire « chef d'orchestre » chargé de l'organisation des chahuts, etc., et les fonctionnaires sont nommés par nous, et révocables. Mais maintenant je suis du « bural » et nous allons maintenir dans l'hypoflotte une discipline de fer, car la classe doit l'obéissance absolue au gouvernement. Ce qui me sourit le plus, c'est que je vais tâcher de soustraire quelques-unes des archives de la classe pour vous les montrer : ça en vaut la peine, elles sont en effet inaccessibles au commun des mortels.

Rien de neuf. Je vais vous rejoindre à Ambérieu mais nous partirons de suite pour le Midi, n'est-ce pas ? J'ai passé une colle de physique où j'ai eu 14 ça ne va pas trop mal.

Je vous quitte car je n'ai plus une minute, et vous embrasse de tout mon cœur.

Votre fils respectueux,

 

ANTOINE.

12

Paris, Lycée Saint-Louis, 1917.

 

Maman chérie,

 

C'est fait, j'ai déjeuné chez la duchesse de Vendôme... sœur du roi des Belges ! Je suis dans une joie folle de la chose : ils sont charmants. Monseigneur a l'air excessivement intelligent et est très drôle. Je n'ai pas fait une gaffe, et ne me suis pas embrouillé une fois : Tante Anaïs était très contente : si elle vous écrit quelque chose, envoyez-moi la lettre ?

Ce qui m'a fait le plus de plaisir, c'est que elle m'a dit (la duchesse de Vendôme) qu'elle m'inviterait un dimanche à venir à la Comédie-Française avec elle : Quel Honneur !

Le soir tante Anaïs16 m'a fait faire P + Q visites (autant qu'il y a de termes dans « la série harmonique » et c'est beaucoup !...). J'ai fait un excellent déjeuner, un non moins excellent goûter et...