Cette chambre était chauffée par un poêle en faïence.

 

Antoine écrira :

 

La chose la plus « bonne », la plus paisible, la plus amie, que j'aie jamais connue, c'est le petit poêle de la chambre d'en haut à Saint-Maurice. Jamais rien ne m'a autant rassuré sur l'existence. Quand je me réveillais, la nuit, il ronflait comme une toupie et fabriquait au mur de bonnes ombres. Je ne sais pourquoi, je pensais à un caniche fidèle. Ce petit poêle nous protégeait de tout.

Quelquefois vous montiez, vous ouvriez la porte, et vous nous trouviez bien entourés d'une bonne chaleur. Vous l'écoutiez ronfler à toute vitesse et vous redescendiez...

Ma mère, vous vous penchiez sur nous, sur ce départ d'anges et, pour que le voyage soit paisible, pour que rien n'agitât nos rêves, vous effaciez du drap ce pli, cette ombre, cette houle, car on apaise un lit comme d'un doigt divin, la mer.

 

Trop tôt vient le temps où les mères n'effacent plus les plis, et n'apaisent plus les houles.

Les années de collège et de lycée ramènent encore l'enchantement des vacances.

Le service militaire exile davantage Antoine.

Entre ce service militaire et son entrée à l'Aéropostale, il est successivement prisonnier d'un bureau, représentant de camions chez Saurer, où il fait d'abord un stage comme ouvrier d'usine.

LUTTE CONTRE LES DIFFICULTÉS

MATÉRIELLES

(Paris, 1924-1925)

Il écrit à sa mère :

 

Je vis tristement dans un sombre petit hôtel ; ce n'est guère amusant [...] Ma chambre est si triste que je n'ai pas le courage de séparer mes cols et mes chaussures.

 

Et plus tard :

 

Je suis un peu vanné, mais je travaille comme un dieu. Mes idées sur le camion en général, qui étaient plutôt vagues, se précisent et s'éclaircissent. Je pense être bientôt capable d'en démolir un tout seul.

 

Mais ce qui se précise et s'éclaire surtout chez Antoine, c'est le goût du métier, la conscience dans ce métier ; il deviendra exigeant pour lui-même :

 

Je fais chaque soir le bilan de ma journée : si elle a été stérile comme éducation personnelle, je suis méchant pour ceux qui me l'ont fait perdre [...] La vie courante a si peu d'importance, et se ressemble tant ; la vie intérieure est difficile à dire, il y a une sorte de pudeur, c'est si prétentieux d'en parler. Vous ne pouvez imaginer à quel point c'est la seule chose qui compte pour moi, cela modifie toutes les valeurs, même dans mes jugements sur les autres [...] Je suis plutôt dur pour moi-même, et j'ai bien le droit de renier chez les autres ce que je renie ou corrige en moi.

LUTTE CONTRE LES SABLES

(Toulouse-Dakar. 1926)

Et voilà la Ligne qui fera d'Antoine un chef et un écrivain.

En octobre 1926, il entre chez Latécoère. Il est affecté à la ligne Toulouse-Dakar ; après sa première escale, il écrit de Toulouse : Ma petite Maman, dites-vous que j'ai une vie merveilleuse.

 

Et dans Terre des hommes :

 

Il ne s'agit pas seulement d'aviation. L'avion, ce n'est pas une fin, c'est un moyen. Ce n'est pas pour l'avion que l'on risque sa vie, ce n'est pas non plus pour sa charrue que le paysan laboure. Par l'avion, on quitte les villes et leurs comptables et l'on retrouve une vérité paysanne ; on fait un travail d'homme et l'on connaît les soucis d'homme. On est en contact avec le vent, les étoiles, avec la nuit, avec le sable de la mer, on ruse avec les forces de la nature, on attend l'escale comme une terre promise, et l'on cherche la vérité dans les étoiles.

Je suis heureux dans mon métier, je me sens paysan des étoiles. Tout de même, je l'ai respiré, le vent de la mer. Ceux qui ont goûté cette nourriture une fois, ne peuvent l'oublier.

Il ne s'agit pas de vivre dangereusement, cette formule est prétentieuse, ce n'est pas le danger que j'aime, c'est la vie.

J'ai besoin de vivre ; dans les villes, il n'y a plus de vie humaine.