Cependant tu dois savoir que je ne suis pas d’hier dans la galanterie.
— Mon bon oncle, voici une lettre qui vous dira tout, répondit Octave en tirant un élégant portefeuille, donné sans doute par elle, quand vous l’aurez lue, j’achèverai de vous instruire, et vous connaîtrez une madame Firmiani, inconnue au monde.
— Je n’ai pas mes lunettes, dit l’oncle, lis-la-moi.
Octave commença ainsi : « Mon ami chéri...
— Tu es donc bien lié avec cette femme-là ?
— Mais, oui, mon oncle.
— Et vous n’êtes pas brouillés ?
— Brouillés ?... répéta Octave tout étonné. Nous sommes mariés à Greatna-Green.
— Hé bien, reprit monsieur de Bourbonne, pourquoi dînes-tu donc à quarante sous ?
— Laissez-moi continuer.
— C’est juste, j’écoute.
Octave reprit la lettre, et n’en lut pas certains passages sans de profondes émotions.
« Mon époux aimé, tu m’as demandé raison de ma tristesse, a-t-elle donc passé de mon âme sur mon visage, ou l’as-tu seulement devinée, et pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? nous sommes si bien unis de cœur. D’ailleurs, je ne sais pas mentir, et peut-être est-ce un malheur ? Une des conditions de la femme aimée est d’être toujours caressante et gaie. Peut-être devrais-je te tromper ; mais je ne le voudrais pas, quand même il s’agirait d’augmenter ou de conserver le bonheur que tu me donnes, que tu me prodigues, dont tu m’accables. Oh ! cher, combien de reconnaissance comporte mon amour ! Aussi veux-je t’aimer toujours, sans bornes. Oui, je veux toujours être fière de toi. Notre gloire, à nous, est toute dans celui que nous aimons. Estime, considération, honneur, tout n’est-il pas à celui qui a tout pris ? Eh ! bien, mon ange a failli. Oui, cher, ta dernière confidence a terni ma félicité passée. Depuis ce moment, je me trouve humiliée en toi ; en toi que je regardais comme le plus pur des hommes, comme tu en es le plus aimant et le plus tendre. Il faut avoir bien confiance en ton cœur, encore enfant, pour te faire un aveu qui me coûte horriblement. Comment, pauvre ange, ton père a dérobé sa fortune, tu le sais, et tu la gardes ! Et tu m’as conté ce haut fait de procureur dans une chambre pleine des muets témoins de notre amour, et tu es gentilhomme, et tu te crois noble, et tu me possèdes, et tu as vingt-deux ans ! Combien de monstruosités. Je t’ai cherché des excuses. J’ai attribué ton insouciance à ta jeunesse étourdie. Je sais qu’il y a beaucoup de l’enfant en toi. Peut-être n’as-tu pas encore pensé bien sérieusement à ce qui est fortune et probité. Oh ! combien ton rire m’a fait de mal. Songe donc qu’il existe une famille ruinée, toujours en larmes, des jeunes personnes qui peut-être le maudissent tous les jours, un vieillard qui chaque soir se dit : « Je ne serais pas sans pain si le père de monsieur de Camps n’avait pas été un malhonnête homme ! »
— Comment, s’écria monsieur de Bourbonne en interrompant, tu as eu la niaiserie de raconter à cette femme l’affaire de ton père avec les Bourgneuf ?... Les femmes s’entendent bien plus à manger une fortune qu’à la faire...
— Elles s’entendent en probité. Laissez moi continuer, mon oncle ?
« Octave, aucune puissance au monde n’a l’autorité de changer le langage de l’honneur. Retire-toi dans ta conscience, et demande-lui par quel mot nommer l’action à laquelle tu dois ton or ?
Et le neveu regarda l’oncle qui baissa la tête.
« Je ne te dirai pas toutes les pensées qui m’assiégent, elles peuvent se réduire toutes à une seule, et la voici : je ne puis pas estimer un homme qui se salit sciemment pour une somme d’argent quelle qu’elle soit. Cent sous volés au jeu, ou six fois cent mille francs dus à une tromperie légale, déshonorent également un homme. Je veux tout te dire : je me regarde comme entachée par un amour qui naguère faisait tout mon bonheur. Il s’élève au fond de mon âme une voix que ma tendresse ne peut pas étouffer. Ah ! J’ai pleuré d’avoir plus de conscience que d’amour. Tu pourrais commettre un crime, je te cacherais à la justice humaine dans mon sein, si je le pouvais ; mais mon dévouement n’irait que jusque-là. L’amour, mon ange, est, chez une femme, la confiance la plus illimitée, unie à je ne sais quel besoin de vénérer, d’adorer l’être auquel elle appartient. Je n’ai jamais conçu l’amour que comme un feu auquel s’épuraient encore les plus nobles sentiments, un feu qui les développait tous. Je n’ai plus qu’une seule chose à te dire : viens à moi pauvre, mon amour redoublera si cela se peut ; sinon, renonce à moi.
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