Car la joie du début avait été suivie bientôt d’une grave déception. L’affirmation de Christophe Colomb, selon laquelle à Saint-Domingue, à Hispaniola l’or se trouvait à fleur de terre, s’était révélée comme une pure galéjade. On n’avait trouvé ni or ni épices, et même pas d’esclaves. Avant le pillage des trésors des Incas par Pizarro, avant la fouille des mines d’argent de Potosi la découverte de l’Amérique ne signifiait rien du point de vue commercial. Les Castillans se souciaient beaucoup moins de coloniser l’Amérique que de la contourner le plus vite possible pour atteindre le paradis de l’or et des épices avant les Portugais. Sur l’ordre de la Couronne on poursuit sans cesse les tentatives en vue d’arriver à ce résultat. Une expédition suit l’autre, mais bientôt, dans leur recherche d’une voie maritime conduisant aux Indes, les Espagnols connaissent la même déception qu’auparavant les Portugais avec l’Afrique. Car ce nouveau continent, l’Amérique, s’avère lui aussi bien plus étendu qu’on ne le supposait tout d’abord. Partout, que ce soit au sud ou au nord, où ils tentent de passer dans l’océan Indien, ils se heurtent à une barrière infranchissable. L’un après l’autre tous les grands conquistadors cherchent en vain une issue. A son quatrième voyage Christophe Colomb se dirige vers l’ouest pour retourner par les Indes et se heurte à la même barrière. L’expédition à laquelle prend part Améric Vespuce explore en vain la côte de l’Amérique du Sud con proposito di andare e scoprire un isola verso Oriente che si dice Malacha, pour atteindre les îles des épices, les Moluques. Dans sa quatrième « relacion » Cortez promet expressément à l’empereur Charles de chercher le passage à Panama. Cortereal et Cabot remontent jusqu’ à l’océan Glacial pour essayer de le trouver au nord, Juan de Solis le rio de la Plata, dans l’espoir de le rencontrer au sud. En vain ! Partout dans les régions glaciales comme dans les zones tropicales le même rempart de terre et de pierre se dresse devant eux. Déjà on est sur le point de perdre tout espoir d’atteindre par l’océan Atlantique cet autre océan que Nunez de Balboa a aperçu des hauteurs de Panama. Déjà les cosmographes dessinent sur leurs cartes l’Amérique du Sud touchant au pôle antarctique, déjà d’innombrables navires ont échoué dans cette recherche vaine, déjà l’Espagne s’est résignée à rester définitivement coupée des régions baignées par l’océan Indien parce qu’on ne peut trouver nulle part la voie qui y conduit.
Et voilà que soudain ce petit capitaine inconnu, Magellan, se lève et déclare avec une assurance absolue : « Il existe un passage conduisant de l’océan Atlantique à l’océan Indien. Je le connais, je sais l’endroit exact où il se trouve. Donnez-moi une flotte et je vous le montrerai et je ferai le tour de la terre en allant de l’est à l’ouest. »

Ici nous nous trouvons devant le véritable secret de Magellan qui occupe depuis des siècles savants et psychologues. En soi – nous venons de le montrer – son projet n’était nullement quelque chose de nouveau. Ce qu’il y a là de nouveau c’est l’assurance avec laquelle Magellan affirme l’existence d’une route maritime vers l’Ouest. Car il ne se contente pas de dire modestement comme les autres : j’espère trouver quelque part cette route, il déclare avec énergie qu’il sait où elle se tient.
Mais comment Magellan peut-il savoir où se trouve ce passage qu’ont cherché en vain tous les autres navigateurs ? Au cours de ses précédents voyages il n’a jamais approché de la côte américaine, pas plus d’ailleurs que son associé Faleiro. S’il affirme par conséquent avec une telle assurance que cette route existe, il ne peut certes l’avoir appris que par quelqu’un qui l’a vue de ses propres yeux. Mais si quelqu’un l’a vue avant lui, il n’est plus dès lors le glorieux navigateur que l’histoire honore, il est tout simplement le profiteur d’un exploit dont le mérite revient à un autre. Le nom de Magellan donné au détroit soi-disant découvert par lui ne serait pas plus justifié que celui d’Amérique donné au continent découvert par Christophe Colomb.
Par qui en vérité a-t-il appris l’existence d’un passage reliant les deux océans et d’où vient qu’il se fait fort avec une telle conviction de réaliser ce qu’on croyait jusqu’alors impossible, à savoir faire le tour de la terre au cours d’une seule navigation ? La première indication concernant les renseignements grâce auxquels Magellan se croyait sûr de son affaire nous la devons à Antonio Pigafetta, son compagnon et biographe, qui écrit que même lorsque l’entrée du passage se trouvait déjà sous leurs yeux personne dans toute la flotte ne croyait à son existence sauf Magellan – et cela grâce à une carte du fameux cosmographe Martin Behaim, qu’il avait retrouvée en son temps dans les archives secrètes du roi de Portugal. Cette indication de Pigafetta est en soi tout à fait plausible, car d’une part Martin Behaim a été effectivement jusqu’à sa mort (en 1507) cartographe à la cour du roi de Portugal, et d’autre part nous savons que Magellan avait pu obtenir la permission de consulter ces archives. Mais Behaim n’avait participé lui-même à aucune expédition, il ne pouvait donc avoir reçu que d’un autre la nouvelle de l’existence du passage. Lui aussi doit avoir eu des devanciers. Qui étaient donc ces devanciers ? D’autres navigateurs portugais auraient-ils atteint la route avant la confection des cartes de Martin Behaim ? La chose est probable car des documents officiels constatent qu’au début du siècle plusieurs expéditions portugaises (l’une accompagnée par Améric Vespuce) ont exploré les côtes du Brésil et peut-être même de l’Argentine. Elles seules par conséquent pouvaient avoir vu le « paso ».
Mais, nouvelle question : jusqu’où étaient arrivées ces expéditions ? Étaient-elles vraiment parvenues jusqu’ au passage, à la route appelée aujourd’hui détroit de Magellan ? Pour appuyer l’affirmation selon laquelle d’autres navigateurs ont connu avant Magellan l’existence d’un « paso », on ne posséda longtemps que l’indication de Pigafetta et un globe de Johann Schœner, qui existe encore aujourd’hui et qui montre, dès 1515, c’est-à-dire longtemps avant le voyage de Magellan, un passage vers le Sud (d’ailleurs à un endroit tout à fait inexact).
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