Lorsqu’il interroge la vie de ces écrivains, il mêle librement le portrait clinique à la biographie et, par l’analyse des tourments et des motivations intérieurs, tente d’éclairer les mécanismes de la création. Son goût pour l’histoire lui inspire encore des vies de Fouché (son chef-d’oeuvre biographique), de Marie-Antoinette, de Marie Stuart. Plus que par le rôle historique qu’ont joué ces personnages, on devine Zweig séduit par leurs figures pathétiques ou leurs destins d’exception. C’est en romancier qu’il les décrit et les fait vivre, leur restituant cette dimension de vérité intime dont l’histoire qui se fonde sur les seuls faits ne saurait complètement rendre compte.
En 1934, Zweig vient s’établir à Londres pour y poursuivre les recherches préparatoires à sa vie de Marie Stuart. Son voyage n’a aucun motif politique, mais bientôt l’invasion de l’Autriche par les troupes de Hitler et sa réunion à l’Allemagne nazie dissuadent l’écrivain de rentrer dans son pays. C’est durant cet exil qu’il écrit Brûlant Secret (1938) et son unique roman, la Pitié dangereuse (1939). En 1940, il devient sujet britannique.
Au début de la guerre, en compagnie de sa seconde femme, il quitte l’Angleterre pour les Etats-Unis et réside quelques mois dans la banlieue de New York. Puis, en août 1941, il décide de s’installer au Brésil. C’est à Petrópolis qu’il achève de rédiger son autobiographie, le Monde d’hier, portrait de l’Europe d’avant 1914, vue avec le regard enchanté de la mémoire.
Profondément affectés par la guerre et désespérant de l’avenir du monde, Zweig et sa jeune femme décident de se donner la mort. Ils s’empoisonnent ensemble le 23 février 1942.
C’est sur un paquebot trop confortable, en route pour l’Amérique du Sud, que Stefan Zweig eut l’idée de cette odyssée biographique. Il songea aux conditions épouvantables des voyages d’autrefois, au parfum de mort salée qui flottait sur les bougres et les héros, à leur solitude. Il songea à Magellan, qui entreprit, le 20 septembre 1519, à trente-neuf ans, le premier voyage autour du monde. Un destin exceptionnel...
Sept ans de campagne militaire en Inde n’avaient rapporté à Magellan le Portugais qu’indifférence dans sa patrie. Il convainc alors le roi d’Espagne, Charles Quint, d’un projet fou. « Il existe un passage conduisant de l’océan Atlantique à l’océan Indien. Donnez-moi une flotte et je vous le montrerai et je ferai le tour de la terre en allant de l’est à l’ouest. » Jalousies et complots espagnols, erreurs cartographiques, mutineries, désertions de ses seconds pendant la traversée, froids polaires, faim et maladies, rien ne sera épargné à Magellan. Mais il viendra à bout de tout, trouvera à l’extrême sud du continent américain le détroit qui porte aujourd’hui son nom et vaincra le cruel océan Pacifique, inconnu à l’époque. Partie de Séville avec cinq cotres et 265 hommes, l’expédition reviendra trois ans plus tard, réduite à 18 hommes épuisés sur un bâtiment disloqué. Sans Magellan qui trouva une mort absurde lors d’une rixe aux Philippines, son exploit accompli.
Dans ce formidable roman d’aventures, Zweig exalte la volonté héroïque de Magellan qui prouve qu’« une idée animée par le génie et portée par la passion est plus forte que tous les éléments réunis et que toujours un homme, avec sa petite vie périssable, peut faire de ce qui a paru un rêve à des centaines de générations une réalité et une vérité impérissables ».
Préface
Les livres peuvent naître des sentiments les plus divers : l’enthousiasme ou la reconnaissance, l’indignation, le chagrin, la colère. Parfois c’est par besoin de s’expliquer à soi-même des hommes ou des événements qu’on prend la plume, parfois c’est par vanité, par simple désir de gain ou encore pour se peindre. Les auteurs devraient toujours savoir les raisons qui ont déterminé le choix de leur sujet. En ce qui concerne ce livre, je sais parfaitement pourquoi je l’ai écrit : il est né d’un sentiment peu courant, mais très énergique, la honte.
Voici comment cela s’est produit. J’eus, il y a dix-huit mois, l’occasion, désirée depuis longtemps, d’aller en Amérique du Sud. Je savais qu’au Brésil je verrais quelques-uns des plus beaux sites du monde et qu’en Argentine m’était réservée une rencontre incomparable avec des camarades intellectuels. Cette certitude à elle seule rendait le voyage extrêmement agréable, sans compter un certain nombre d’autres facteurs favorables : une mer calme, la détente complète sur un navire rapide et spacieux, où l’on se sent détaché de tous les liens et ennuis ordinaires de l’existence. Tout cela contribuait à faire de cette traversée un repos admirable dont je jouissais sans mesure. Mais brusquement, c’était le septième ou le huitième jour, j’éprouvai comme une sorte d’impatience. Toujours le même ciel bleu, la même mer bleue et calme ! Soudain j’eus l’impression que les heures coulaient trop lentement. Je souhaitais en moi-même d’être déjà arrivé, et tout d’un coup cette jouissance tiède et indolente du néant m’oppressa. J’étais fatigué de voir les mêmes visages et la monotonie du service du bord, avec sa calme précision, me devint intolérable.
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