Changeons de conversation. L’eau tarde bien à venir, essayez encore de boire un peu de vin. Non… Eh bien, je porte la santé de Blanche.
Et il se versa un verre de sherry.
« Avec le plus pauvre sherry que j’aie bu de ma vie », se dit-il.
Comme il déposait son verre sur la table, Bishopriggs entra, tenant une carafe d’eau. Arnold l’interpella d’un air railleur.
– Eh ! comment avez-vous trouvé de l’eau ? dit-il. Vous n’avez donc pas tout employé pour baptiser le sherry ?
Maître Bishopriggs s’arrêta court au milieu de la chambre, foudroyé par cette attaque inattendue.
– Est-ce ainsi que vous parlez de la meilleure bouteille de sherry qu’on puisse trouver dans toute l’Écosse ? demanda-t-il gravement. Dans quel monde sommes-nous appelés à vivre ? La nouvelle génération dépasse complètement les bornes de mon entendement. Les bontés de la Providence, qui se manifestent à l’homme sous la forme d’un vin choisi parmi les meilleurs de l’Espagne, sont ouvertement méconnues par elle.
– Avez-vous apporté l’eau ?
– J’ai apporté l’eau et quelque chose en plus. J’apporte des nouvelles du dehors. Il y a une compagnie de gentlemen qui se rendent à cheval au pavillon de chasse situé à un mile d’ici.
– Eh bien, qu’avons-nous à voir à cela.
– Attendez un moment. L’un d’eux a arrêté sa monture à la porte de l’hôtel et il demande la dame qui est arrivée seule ici. Cette dame est votre femme, voilà qui est clair. Eh bien, dit maître Bishopriggs en allant à la fenêtre, croyez-vous toujours que vous n’avez rien à voir à cela ?
Arnold regarda Anne.
– Attendez-vous quelqu’un ?
– Serait-ce Geoffrey ?
– C’est impossible. Geoffrey est en route pour Londres.
– Le voici là-bas, reprit Mr Bishopriggs. Il saute à bas de son cheval. Il vient de ce côté. Seigneur Dieu ! s’écria-t-il avec un accent de consternation. Que vois-je ! C’est ce diable de sir Patrick en personne !
Arnold fut sur pied en un moment.
– Voulez-vous parler de sir Patrick Lundie ?
Anne s’élança vers la fenêtre.
– C’est bien sir Patrick, cachez-vous avant qu’il n’entre ici.
– Que je me cache ?
– Que pensera-t-il s’il vous trouve avec moi ?
Sir Patrick était le tuteur de Blanche et il croyait Arnold occupé en ce moment à visiter ses propriétés. Ce qu’il penserait n’était pas difficile à prévoir. Arnold se tourna vers Bishopriggs pour l’appeler à son aide.
– Où puis-je aller ? demanda-t-il.
– Ou vous pouvez aller ? Mais dans la chambre nuptiale !
– Impossible !
Bishopriggs exprima son immense étonnement en faisant entendre un sifflet prolongé sur une seule note.
– Quoi ! est-ce ainsi que vous parlez déjà de la chambre nuptiale ?
– Trouvez-moi une autre place. Vous n’aurez pas à regretter votre peine.
– Eh ! il y a mon office ! Puisque qu’il vous faut une autre place… La porte est au bout du corridor.
Arnold s’enfuit, et Bishopriggs naturellement de penser qu’il se trouvait en face de quelque drame domestique dans lequel sir Patrick était mêlé, probablement en sa qualité de tuteur. Aussi s’adressa-t-il amicalement à Anne sur le ton de la confidence.
– Ma foi, madame ! c’est une vilaine besogne que de se jouer de sir Patrick. Tant pis si c’est cela que vous avez fait. Il faut que vous sachiez que j’ai été autrefois attaché comme clerc à son étude, à Édimbourg.
La voix de Mrs Inchbare, appelant son premier garçon, se fit entendre sur un ton vibrant et impérieux. Le son venait du bureau de l’hôtel. Mr Bishopriggs disparut. Anne était restée debout devant la fenêtre, seule et rêvant aux difficultés de sa situation. Il était clair, cette fois, que le lieu de sa retraite était connu à Windygates. Le point douteux, maintenant, était celui de savoir s’il convenait ou non de recevoir sir Patrick et de s’assurer s’il venait à l’auberge en ami ou en ennemi.
11
SIR PATRICK
La question fut matériellement tranchée avant qu’Anne eût le loisir de prendre une résolution. Elle était encore dans la même attitude, debout à la fenêtre, quand la porte du salon s’ouvrit et livra passage à sir Patrick, introduit par l’obséquieux Bishopriggs.
– Vous êtes le bienvenu, sir Patrick, dit celui-ci. Oui, monsieur, on a toujours du plaisir à vous voir.
Sir Patrick se retourna et regarda Bishopriggs comme il aurait regardé quelque insecte importun qui, chassé par la fenêtre, reviendrait à la charge par la porte.
– Quoi ! c’est encore vous, drôle ! Auriez-vous enfin réussi à vous faufiler dans quelque honnête emploi ?
Maître Bishopriggs se frotta joyeusement les mains et régla sa riposte sur l’attaque de son supérieur avec une rare promptitude.
– Vous avez toujours raison, sir Patrick ! Vous êtes dans le vrai en parlant de l’honnête emploi dans lequel je me suis faufilé ! Mon Dieu, comme vous vous portez bien !
Sir Patrick congédia d’un geste Bishopriggs et s’avança vers Anne.
– Je commets une indiscrétion, madame, qui, je le crois bien, devra paraître impardonnable à vos yeux, dit-il.
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