Il la prie de considérer que l’antagonisme qui existe entre les sentiments de sa belle-sœur et de sa nièce ne peut amener que des résultats peu désirables pour la paix domestique, et il lui laisse à apprécier quel parti lui semblera le meilleur à prendre dans les circonstances présentes… Second message transmis textuellement. Temps employé : trois minutes. Un orage se présente. Une course d’un quart d’heure à faire à cheval pour atteindre le pavillon de chasse, madame, je vous souhaite le bonsoir.

Il salua plus bas que jamais, et, sans ajouter un mot, il partit tranquillement.

Le premier mouvement d’Anne, elle était bien excusable, la pauvre créature, fut tout de ressentiment.

– Merci à vous, sir Patrick ! dit-elle en regardant avec amertume la porte qui venait de se fermer. Vous avez beaucoup d’esprit. La sympathie de la société pour une femme malheureuse pouvait difficilement être exprimée d’une façon plus amusante !

Cette irritation passagère s’évanouit tout à coup. L’intelligence et le bon sens d’Anne lui firent voir les choses sous un jour plus vrai.

Elle reconnut dans le brusque départ de sir Patrick une bonne intention ; le gentleman avait voulu lui épargner le désagrément d’entrer dans des détails sur sa position à l’auberge. Il lui avait donné un avertissement amical, et fort délicatement, l’avait laissée libre de décider ce qu’elle pouvait faire pour l’aider lui-même à maintenir la tranquillité domestique à Windygates.

Elle s’approcha d’une table où se trouvait tout ce qu’il faut pour écrire.

– Je ne puis rien sur lady Lundie, pensait-elle ; mais j’ai plus d’influence que personne sur Blanche, et je puis prévenir le conflit que sir Patrick redoute si fort.

Elle écrivit :

Ma bien chère Blanche, j’ai vu sir Patrick, et il m’a transmis votre message. Je vous tranquilliserai l’esprit à mon sujet aussitôt que je le pourrai. Mais, avant toutes choses, laissez-moi vous supplier, et c’est la plus grande faveur que vous puissiez accorder à votre sœur et à votre amie, de ne pas engager de querelle à propos de moi avec lady Lundie. Surtout ne commettez pas l’imprudence, l’inutile imprudence de venir ici.

Elle s’arrêta. Le papier tremblait devant ses yeux.

« Ma chérie, pensa-t-elle, qui aurait pu prévoir que je pourrais jamais frémir et reculer à la pensée de vous voir ? »

Elle soupira lentement et continua sa lettre.

Le ciel s’était rapidement obscurci. Le vent soufflait de moins en moins bruyamment en passant sur le marécage ; il régnait dans toute la campagne un morne silence. C’est le signe précurseur le plus certain de l’orage.

12

ARNOLD

Pendant ce temps, Arnold était enfermé dans l’office. Il éprouvait un franc dépit de se voir dans cette position ridicule.

Pour la première fois de sa vie, il se cachait de quelqu’un, et ce quelqu’un était un homme. Deux fois, tourmenté par la pensée qu’agir ainsi et rester là, ce n’était pas se respecter soi-même, il était allé jusqu’à la porte, déterminé à se présenter hardiment devant sir Patrick.

Deux fois il avait abandonné cette idée par pitié pour Anne.

Il lui aurait été d’ailleurs impossible de se justifier aux yeux du tuteur de Blanche, sans trahir le secret d’une malheureuse femme, secret que son honneur l’obligeait à garder.

– J’aurais voulu pour tout au monde ne pas être venu ici ! dit-il, en allant se rasseoir avec mauvaise humeur sur le buffet.

Et il avait attendu que le départ de sir Patrick lui rendît sa liberté.

Après un espace de temps, de beaucoup moins long qu’il ne le craignait, il vit arriver un compagnon. Sa solitude allait être égayée par la visite du père Bishopriggs.

– Eh bien ! s’écria Arnold sautant à bas de son buffet, la côte est-elle libre ?

Il y avait des moments où l’oreille de Bishopriggs devenait tout à coup singulièrement dure.

– Comment trouvez-vous cet office ? demanda-t-il sans paraître avoir accordé la moindre attention à la question d’Arnold. C’est un réduit solitaire, n’est-ce pas ? une île de Pathmos dans le désert…

Son bon œil, qui avait commencé de regarder Arnold au visage, descendit et s’arrêta tout droit sur le gilet du jeune homme, à l’endroit de la poche, avec une muette mais éloquente fixité.

– Je comprends, dit Arnold, j’ai promis de vous payer votre Pathmos. Eh bien ! vous voilà payé.

Maître Bishopriggs empocha l’argent avec un sourire mais tout en remuant la tête d’un grand air de pitié. D’autres garçons à sa place se seraient acquittés par des remerciements.

Le sage de Craig Fernie s’acquitta par quelques courtes observations plus utiles que les actions de grâces. Admirable en beaucoup de choses, Bishopriggs l’était surtout pour sa prestesse à tirer des événements une déduction morale. En cette occasion, il tira une moralité de la libéralité même qu’il venait de recevoir.

– Me voilà payé, comme vous dites. Que le ciel nous protège ! Il nous faut toujours avoir l’argent à la main quand nous avons une femme sur nos talons. C’est triste à penser ! Nous ne pouvons jamais avoir de relation avec une personne de l’autre sexe sans que cela soit pour nous un sujet de dépense. Voici votre jeune dame, par exemple. Je présume qu’elle vous a induit dans de grands frais dès les premiers temps. Quand vous lui faisiez votre cour, c’était, j’en répondrais, la main ouverte. Les présents, les keepsakes, les fleurs, les bijoux et les petits chiens. Grosse dépense que tout cela !

– Peste soit de vos réflexions ! Sir Patrick a-t-il quitté l’auberge ?

Les réflexions de maître Bishopriggs n’étaient pas disposées à s’arrêter si brusquement dans leur cours ; elles continuèrent à couler de ses lèvres aussi lentement, aussi tranquillement que jamais.

– Maintenant que vous voilà marié avec elle, ce sont les chapeaux, les robes, les jupons, les rubans, les dentelles et les falbalas. Grosse dépense encore !

– Et quelle autre dépense faudrait-il faire pour mettre un terme à vos réflexions ?

– Troisièmement et pour finir.