Si, avec le temps, vous vous apercevez que vous ne pouvez pas vous entendre ensemble, s’il y a incompatibilité d’humeur, et si enfin vous en arrivez à désirer une séparation, vous porterez encore la main à votre poche, et vous vous mettrez d’accord moyennant finance. Cependant, il se peut qu’elle vous amène devant la justice et qu’elle poursuive cet arrangement par les voies hostiles. Montrez-moi une femme, et je vous dirai : il y a un homme qui n’est pas loin et qui a sur le dos plus de charges qu’il n’en croyait jamais pouvoir supporter.

La patience d’Arnold n’y tint pas plus longtemps, il se précipita vers la porte. Maître Bishopriggs, avec une égale vivacité, en revint à la question.

– Oui, monsieur, dit-il, sir Patrick est parti, votre dame est seule dans sa chambre et elle vous attend.

Un instant après, Arnold était rentré au salon.

– Eh bien, demanda-t-il, avec anxiété, qu’y a-t-il ? De mauvaises nouvelles de lady Lundie ?

Anne plia et mit l’adresse à la lettre qu’elle venait de finir.

– Non, répondit-elle. Rien d’intéressant pour vous.

– Que voulait sir Patrick ?

– Seulement me donner un avertissement. On a appris à Windygates que j’étais ici.

– C’est fâcheux.

– Pas le moins du monde. Je puis me tirer d’embarras parfaitement. Je n’ai rien à craindre. Ne pensez pas à moi, ne songez qu’à vous.

– Je ne suis pas soupçonné.

– Dieu merci, non ! mais on ne sait pas ce qui pourrait arriver si vous restiez ici. Sonnez immédiatement et demandez au garçon des renseignements sur l’heure des trains.

Frappé par l’obscurité inaccoutumée du ciel, à cette heure de la soirée, Arnold se mit à la fenêtre. La pluie était venue et tombait abondamment. Le marécage disparaissait au milieu d’une brume épaisse.

– Joli temps pour voyager ! dit-il.

– Le chemin de fer ! fit Anne avec impatience. Il se fait tard, informez-vous du chemin de fer.

Arnold s’approcha de la cheminée pour sonner. L’indicateur des chemins de fer accroché au mur s’offrit à ses regards.

– Là sont les renseignements dont j’ai besoin, dit Arnold ; si je suis assez habile pour les y trouver. Montant. Descendant. Matin. Soir. Quelle confusion maudite ! Je crois qu’ils le font exprès.

Anne le joignit aussitôt.

– Je m’y connais, dit-elle, et je puis vous aider. Ne m’avez-vous pas dit que c’était le train montant que vous deviez prendre ?

– Oui.

– Quel est le nom de la station à laquelle vous vous arrêterez ?

Arnold le lui dit. Elle suivit l’inextricable réseau de lignes et de chiffres du bout de son doigt, puis s’arrêta de nouveau et s’éloigna de la carte avec une vive expression de désappointement.

Le dernier train de la journée était parti depuis une heure. Au milieu du silence qui suivit cette découverte, un premier éclair vint à briller à travers la fenêtre ; un sourd roulement de tonnerre annonça que l’orage éclatait.

– Que faire maintenant ? dit Arnold.

Malgré l’orage, Anne répondit sans hésitation :

– Prendre une voiture et partir.

– Partir ! On compte 23 miles par le chemin de fer de la station à mon domaine, outre la distance qu’il peut y avoir de l’auberge à la station.

– Qu’importe la distance ! Mr Brinkworth, vous ne pouvez positivement pas rester ici.

Un second éclair brilla, et le bruit du tonnerre se fit entendre plus fort et plus rapproché. Le bon caractère d’Arnold ne le défendait plus d’un peu d’irritation contre l’empressement d’Anne à se débarrasser de lui. Il s’assit de l’air d’un homme qui a mis dans sa tête de ne plus bouger.

Anne maintint son opinion, mais pourtant un peu moins résolument.

– Après ce que vous avez dit à la patronne de l’auberge, fit-elle, pensez au cruel embarras de notre position si vous restez ici jusqu’à demain matin.

– Est-ce là tout ce qui vous met en peine ? répliqua Arnold.

Anne leva vivement ses yeux sur lui avec indignation.

Non. Il n’avait aucune conscience d’avoir rien dit qui pût l’offenser. Dans sa droiture naturelle, il allait tout droit son chemin sans s’arrêter aux subtilités et aux délicatesses féminines de sa compagne, et il considérait la position au point de vue pratique et rien de plus.

– Où est la difficulté ? reprit-il en montrant du doigt la chambre à coucher. Voici votre chambre et voilà le sofa, dans cette pièce, tout prêt à me recevoir. Si vous aviez vu l’endroit où je dormais à la mer !…

Elle l’interrompit sans façon. L’endroit où Arnold avait dormi à la mer lui importait peu. La seule chose à considérer, c’était le lieu où il dormirait cette nuit-là.

– S’il faut que vous restiez, dit-elle, ne pourriez-vous vous faire donner une chambre dans une autre partie de la maison ?

Il ne restait à Arnold qu’une maladresse à commettre, et l’innocent Arnold la commit.

– Dans une autre partie de la maison ? répéta-t-il sur le ton de la plaisanterie.