Raconter cette vie aux « dimensions antiques » exigeait une méthode ; on pourrait l’appeler la règle de crise : « seuls les moments de crise, les moments décisifs comptent dans l’histoire d’une vie, c’est pourquoi le récit de celle-ci n’est vrai que vu par eux et à travers eux ». C’est pourquoi, aussi, cette magistrale enquête s’apparente à un roman vrai et passe pour le plus puissant des portraits d’une reine shakespearienne.
Au destin exceptionnel de Marie Stuart, « enivrée de sentiment », il fallait un biographe – un sismographe – non moins exceptionnel, capable de caresser les secrets d’une femme, de comprendre et d’illustrer que « ce n’est que sous l’effet de sa passion démesurée qu’elle s’élève au-dessus d’elle-même, détruisant sa vie tout en l’immortalisant. »
DRAMATIS PERSONÆ
ÉCOSSE
Jacques V, 1512-1542 : père de Marie Stuart.
Marie de Guise-Lorraine, 1515-1560 : sa femme, mère de Marie Stuart.
Marie Stuart, 1542-1587.
Jacques Stuart, comte de Murray, 1533-1570 : fils illégitime de Jacques V et de Marguerite Douglas, fille de lord Erskine, régent d’Ecosse avant et après le règne de Marie Stuart.
Henry Darnley Stuart, 1546-1567 : arrière-petit-fils d’Henri VII par sa mère lady Lennox, nièce d’Henri VIII. Second époux de Marie Stuart et comme tel élevé à la dignité de « roi consort ».
Jacques VI, 1566-1625 : fils de Marie Stuart et d’Henry Darnley. Roi légitime d’Ecosse après la mort de Marie Stuart en 1587, roi d’Angleterre après la mort d’Elisabeth en 1603, sous le nom de Jacques Ier.
James Hepburn, comte de Bothwell, 1536-1578 : par la suite duc d’Orkney et troisième époux de Marie Stuart.
William Maitland de Lethington : chancelier d’Etat de Marie Stuart.
Jacques Melville : diplomate et homme de confiance de Marie Stuart.
James Douglas, comte de Morton : régent d’Ecosse après l’assassinat de Murray, exécuté en 1581.
Mathew Stuart, comte de Lennox : père d’Henry Darnley.
Argyll | Lords, tantôt partisans, tantôt ennemis de Marie Stuart et ayant presque tous succombé de mort violente.
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Arran |
Morton Douglas |
Erskine |
Gordon |
Harries |
Huntly |
Kirkcaldy of Grange |
Lindsay |
Mar |
Ruthven |
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Marie Beaton | Les quatre Marie, compagnes de jeunesse de Marie Stuart.
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Marie Fleming |
Marie Livingstone |
Marie Seton |
John Knox, 1505-1572 : prédicateur de la « Kirk », principal adversaire de Marie Stuart.
Pierre de Chastelard : poète français à la cour de Marie Stuart, exécuté en 1563.
David Riccio : musicien et secrétaire à la cour de Marie Stuart, assassiné en 1566.
George Buchanan : humaniste et précepteur de Jacques VI, auteur de pamphlets haineux dirigés contre Marie Stuart.
FRANCE
Henri II, 1518-1559 : roi de France à partir de 1547.
Catherine de Médicis, 1519-1589 : sa femme.
François II, 1544-1560 : leur fils aîné, premier époux de Marie Stuart.
Charles IX, 1550-1574 : frère cadet de François II, roi de France après la mort de celui-ci.
Le cardinal de Lorraine | Les quatre Guise, oncles de Marie Stuart.
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Claude de Guise |
François de Guise |
Henri de Guise |
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Ronsard | Poètes, auteurs d’œuvres à la louange de Marie Stuart.
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Du Bellay |
Brantôme |
ANGLETERRE
Henri VII, 1457-1509 : roi d’Angleterre à partir de 1485, grand-père d’Elisabeth et arrière-grand père de Marie Stuart et de Darnley.
Henri VIII, 1491-1547 : son fils, roi à partir de 1509.
Anne de Boleyn, 1507-1536 : deuxième femme d’Henry VIII, déclarée adultère et décapitée.
Marie Ire, 1516-1558 : fille d’Henry VIII, née de son mariage avec Catherine d’Aragon, reine d’Angleterre après la mort d’Edouard VI en 1553.
Elisabeth, 1533-1603 : fille d’Henry VIII et d’Anne de Boleyn, déclarée bâtarde du vivant de son père, mais reine d’Angleterre après la mort de sa demi-sœur Marie en 1558.
Edouard VI, 1537-1553 : fils d’Henri VIII, né de son troisième mariage avec Jeanne Seymour, fiancé tout jeune à Marie Stuart, roi à partir de 1547.
Jacques Ier : fils de Marie Stuart, successeur d’Elisabeth.
William Cecil, lord Burleigh, 1520-1598 : le tout-puissant et dévoué chancelier d’Etat d’Elisabeth.
Sir Francis Walsingham : secrétaire d’Etat et ministre de la police.
William Davison : deuxième secrétaire.
Robert Dudley, comte de Leicester, 1532-1558 : favori et homme de confiance d’Elisabeth, proposé par elle comme époux à Marie Stuart.
Thomas Howard, duc de Norfolk : premier gentilhomme du royaume, prétendant à la main de Marie Stuart.
Talbot, comte de Shrewsbury : chargé pendant quinze ans par Elisabeth de la surveillance de Marie Stuart.
Amyas Paulett : le dernier gardien de Marie Stuart.
Le bourreau de Londres.
Préface
Ce qui est clair et évident s’explique de soi-même, mais le mystère exerce une action créatrice. C’est pourquoi les figures et les événements historiques qu’enveloppe le voile de l’incertitude demanderont toujours à être interprétés et poétisés de multiples fois. La tragédie de la vie de Marie Stuart en est l’exemple classique par excellence. Peu de femmes, dans l’histoire, ont provoqué une éclosion aussi abondante de drames, de romans, de biographies et fait naître autant de discussions. Pendant plus de trois siècles, elle n’a pas cessé d’attirer les poètes, d’occuper les savants, et aujourd’hui encore sa personnalité s’impose avec force à notre examen. Car tout ce qui est confus désire la clarté, tout ce qui est obscur réclame la lumière.
Le mystère qui entoure la vie de Marie Stuart a été l’objet de représentations et d’interprétations aussi contradictoires que fréquentes : il n’existe peut-être pas d’autre femme qui ait été peinte sous des traits aussi différents, tantôt comme une criminelle, tantôt comme une martyre, tantôt comme une folle intrigante, ou bien encore comme une sainte. Chose curieuse, cette diversité d’aspects n’est pas due au manque de matériaux parvenus jusqu’à nous, mais au contraire à leur surabondance embrouillée, les procès-verbaux, actes, lettres et rapports conservés se comptant par milliers. Mais plus on approfondit ces documents, plus on se rend compte de la fâcheuse fragilité de tout témoignage historique. Car bien qu’ancien et certifié authentique, un document n’en est pas pour cela plus sûr et plus vrai au point de vue humain. Nulle part autant qu’ici on ne constate aussi nettement l’étonnante différence qui peut exister entre les récits faits à la même heure d’un seul et même événement par plusieurs observateurs. A chaque « oui » basé sur des pièces s’oppose un « non » s’appuyant sur des preuves, à chaque accusation, une justification. Le faux s’emmêle tellement au vrai, le fictif au réel, qu’il est possible de prouver avec la plus grande vraisemblance chaque façon de voir les choses : celui qui veut démontrer que Marie Stuart fut complice du meurtre de son époux peut produire des témoignages à la douzaine, de même que celui qui veut faire la preuve de son innocence. Si la partialité de la politique ou du patriotisme vient encore s’ajouter à la confusion des rapports, l’altération du portrait n’en est que plus grande. Et lorsque, comme dans le cas présent, les biographes de l’héroïne appartiennent pour la plupart à deux courants, à deux religions ou deux conceptions sociales en opposition, obligatoirement leur opinion est faite d’avance ; en général les auteurs protestants ne voient qu’une coupable en Marie Stuart, cependant que les auteurs catholiques accusent Elisabeth. Chez les écrivains anglais, la reine d’Ecosse est presque toujours dépeinte comme une criminelle ; chez les écrivains de son pays, comme l’innocente victime d’une infâme calomnie. Les uns attestent l’authenticité des « lettres de la cassette », chose la plus controversée, aussi énergiquement que les autres en certifient la fausseté ; le fait le plus insignifiant est matière à discussion. C’est pourquoi il est peut-être possible à celui qui n’est ni Anglais ni Ecossais, à celui que n’encombrent point les préjugés de race, d’être plus objectif et d’aborder cette tragédie avec toute la passion et l’impartialité de l’artiste.
A vrai dire, il serait osé de la part de celui-ci de vouloir prétendre connaître l’exacte vérité sur tous les événements de la vie de Marie Stuart. Ce à quoi il peut parvenir, ce n’est qu’à un maximum de vraisemblance et même ce qu’il jugera de bonne foi être purement objectif sera toujours subjectif. Les sources n’étant pas pures, il lui faudra faire jaillir la lumière de l’obscurité, les récits contemporains se contredisant, il devra, en présence du moindre détail de ce procès, choisir entre les témoignages à charge et ceux à décharge. Et aussi prudent qu’il puisse être dans son choix, il sera obligé en toute honnêteté d’accompagner son opinion d’un point d’interrogation et d’avouer que tel ou tel acte de la vie de Marie Stuart est demeuré obscur et le demeurera probablement à jamais.
Dans le présent essai, un principe a donc été rigoureusement observé, celui de n’accorder aucune valeur aux déclarations arrachées par la torture, la contrainte et la peur : un véritable psychologue ne doit jamais considérer comme complets ou véridiques des aveux de ce genre. De même les rapports des ambassadeurs et des espions (c’était presque la même chose à cette époque) n’ont été utilisés qu’avec la plus extrême prudence et l’on a commencé par mettre en doute chaque document. Si toutefois nous nous sommes prononcé pour l’authenticité des sonnets et de la plus grande partie des lettres de la cassette, ce n’est qu’à la suite d’un examen des plus sévères et en présence de motifs capables d’entraîner notre conviction personnelle. Chaque fois que nous avons rencontré dans les documents de l’époque deux affirmations opposées, nous nous sommes enquis soigneusement des sources et des raisons politiques de chacune d’elles : et lorsqu’une décision en faveur de l’une ou de l’autre était inévitable, notre dernier critérium fut toujours de nous demander dans quelle mesure tel ou tel acte pouvait s’harmoniser au point de vue psychologique avec l’ensemble du caractère.
Car, en soi, le caractère de Marie Stuart n’a rien de si mystérieux : il ne manque d’unité que dans ses manifestations extérieures ; intérieurement, il est rectiligne et clair du commencement à la fin.
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